28. Tempête et drame - Partie 2
La pluie ne semble pas faiblir tandis que les phares des voitures réunies près du barrage ne semblent pas suffire à l'éclairage du site qui menace de céder, entraînant certainement l'inondation de tous les champs et de toutes les cultures du village. Tout le monde est sur le pied de guerre tandis qu'on sort les lampes torches, les cordes, les outils, les planches de bois. Il est presque minuit et ici, c'est un champ de bataille. Une course contre la montre.
- L'important c'est de renforcer les côtés gauche et droit pour qu'ils puissent maintenir la pression de l'eau montante. Donc on y va, on s'accroche les uns aux autres, on fait attention où on met les pieds et on pose ces foutus bouts de bois avant de rentrer chez nous, ok ?
- Ouais !
Je me demande encore comment j'ai pu me laisser entraîner dedans. Non pas que je m'en foute, mais je n'ai aucune force dans les bras. C'est à peine si j'arrive à ouvrir un pot de confiture. A quoi vais-je servir ?
- Cléo ! Merci d'être venu ! C'est sympa de donner un coup de main. Où est Basile ? lance alors Manuel, les cheveux devant les yeux
- Basile est resté à la maison, répondis-je sèchement.
Abruti. Qu'aurait fait Basile au beau milieu de ce joyeux bordel ? Ce n'est pas comme s'il était d'une quelconque utilité. D'ailleurs, plus vite on en termine, plus vite je pourrais retourner le voir. Je suis presque certain qu'il s'inquiète déjà. Ma petite Madame Irma à moi. A croire qu'il a vu dans sa boule de cristal qu'il allait m'arriver une merde sur la gueule.
- Tiens, t'es là toi, je ne t'avais pas vu. Fait gaffe le rat des villes, tu pourrais te faire emporter par le courant.
- C'est clair que ce n'est pas ton cas, vu le ventre que tu te payes, tu as une fonction bouée intégrée, non ?
- Wow les garçons ! On se calme, OK ? On n'est pas là pour se disputer. Manu soit gentil et prends les planches à l'arrière pendant que Gabriel, tu attrapes les cordes et les outils dans le coffre.
Je lui clouerais bien le bec avec mon marteau à celui-là. Monsieur est-il jaloux parce que je suis arrivé dans la vie de Basile comme une fleur ? Ou parce qu'il n'a pas eu l'occasion d'avoir les fesses en choux-fleur comme les miennes ? C'est peut-être la partie la moins glamour du truc maintenant que j'y pense.
- Faites attention les garçons ! Les abords de la rivière sont boueux donc ça glisse. Allez-y doucement.
Oui, maman.
- Tu veux que je te tienne par la main pour y aller ou tu as peur de te faire mouiller ? me siffle Manuel en mettant déjà un pied dans l'eau tandis que je descends la petite rive argileuse
- Étant donné que tu nous fais perdre un temps précieux, Manuel, on est tous les deux déjà trempés. Donc mouillé pour mouillé...
- Ça doit te changer de ta ville, non ? Normalement quand il pleut, les citadins courent de partout, agités, comme s'ils étaient en sucre et que la moindre goutte d'eau leur tombant dessus était une menace même à leur existence.
- Les préjugés de fous que tu as, c'est dingue.
- Disons que t'es clairement pas le premier mec à passer dans le coin...Ni même dans la vie de Basile.
Retiens-moi ! Retiens-moi ! Je vais aller lui casser ses deux dents de devant à celui-là ! Tu cherches la bagarre, c'est ça ? Hein, tu cherches la bagarre ? Bah tu vas la trouver la bagarre mon gars !
Gaby, ce n'est pas le moment. Je suis presque certain que s'il me dit ça maintenant, c'est certainement parce qu'il s'attend à la moindre réaction de ma part et je ne vais certainement pas lui faire ce cadeau-là. Alors, je ne vais pas broncher, ni même sourciller et je vais continuer à m'accrocher à lui comme une moule à son rocher pour me sortir de ce bourbier sans nom.
- Oh ? Pas une réaction. Basile m'avait pourtant dit que t'étais un réactif.
- C'est fou quand même ! Tu brasses tellement d'air qu'avec le vent qu'il y a je suis presque certain que tu te fatigues pour rien.
Je rêve de lui répondre, là n'est pas le souci, mais à quoi ça m'avancerait ? Si je réponds à Manuel ou si je le blesse de par mes paroles, Basile en entendra forcément parler et ça me retombera dessus par la suite. Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas blesser Basile avec mon comportement d'enfant de cinq ans et demi. Je veux lui montrer que je fais des efforts, que je prends sur moi et que j'essaye, mais que j'essaye vraiment, de prendre sur moi. D'agir en adulte. Alors qu'il suffirait là, tout de suite, de couper la corde qu'il y a entre nous pour le voir partir, emporté par le courant de la rivière.
"Comme un homme ! Sois plus violent que le court du torrent"
Ouais bah Mulan et son avalanche, c'était vachement plus cool comme moment que moi et ma pauvre petite rivière qui semble me geler les parties intimes.
- Bon alors ces planches, ça vient ? Qu'est-ce que vous foutez les garçons ?!
Voilà. On va se faire disputer.
- On arrive, on arrive !
Comment avancer quand on est à contre-courant et que le moindre pas en avant menace de nous faire glisser. Le moindre pas en avant est un danger. Le moindre pas en avant pourrait alors avoir un effet domino sur tout ce qui va se passer. Si l'un de nous deux glisse, il entraînera forcément l'autre avec lui.
Néanmoins, les renforcements du barrage avancent, chaque bras musclé y met du sien malgré les conditions météorologiques qui semblent contre nous. Ça crie. Ça ordonne. Ça gueule.
- Allez on se dépêche ! Poussez-moi ça !
Les cordes frottent contre les roches et d'une minute à l'autre, l'un de nous va partir. Je ne sais même pas pourquoi je pense à ça maintenant, mais on dirait l'émission "Le maillon faible". Le premier qui se casse la gueule, bye bye.
- Gabriel, aide Manu à viser ce putain de barrage !
Alors le portugais ? On a besoin d'aide ? On sait faire des cabanes, mais on ne sait pas réparer un trou ?
- Je n'ai pas besoin de ton aide ! J'y arrive très bien tout seul !
- Ferme ta gueule et tiens-moi cette planche pendant que je la cloue aux autres ! Plus on tarde, plus c'est dangereux. Je doute que le voyage retour se fasse sans souci.
- Pourquoi t'es pessimiste comme ça ? Porte-malheur !
Je ne le suis pas spécialement, mais il doit le sentir autant que moi, la corde qui nous lie tous les deux est en train de lâcher.
- Ecoute, quoi qu'il arrive, ne lâche pas cette planche, tu m'entends Gabriel ? Lâche pas !
- Tu me prends pour un demeuré à ne pas savoir que ce truc c'est ma bouée de sauvetage ?
Si je lâche, je pars. Et honnêtement, cela devient de plus en plus difficile d'avoir de la force dans les jambes. Chaque mouvement est comme une vague puissante qui nous tacle. Chaque coup de tonnerre est un sursaut que j'essaye de maîtriser pour rester là alors que je n'ai qu'une envie au final : Prendre mes jambes à mon cou. Je n'ai jamais rien entendu de tels. Les éclairs eux-mêmes nous servent de spots luminaires quand ils s'offrent au dessus de nos têtes. C'est horrible.
C'est alors dans ce genre de moment que je me demande pourquoi je suis venu ici ?
- OK ! C'est bon pour moi ! Hé Paul, Gabriel et moi on va y retourner ! Ça va aller pour vous ?
- Ouais t'inquiète pas ! Allez-y on arrive !
Mais on n'y voit rien. La pluie nous balaye notre champ de visibilité et attendre chaque éclair pour faire un pas en avant dans une rivière complètement déchaînée semble être une torture que je ne connais pas.
- Avance Gabriel !
- J'aimerais bien t'y voir, mais j'y vois rien ! Je ne sais même pas où je mets les pieds !
Un moindre faux pas et...
- Manuel !
Soudain, j'ai senti la corde tirée à l'arrière et en quelques secondes même pas, tout mon corps s'est retrouvé plongé sous l'eau. Le courant m'entraîne et m'entraîne tandis que j'essaye malgré moi de m'accrocher à un rocher, à quelque chose. Quelque chose, vite. Quelque chose.
- Gabriel ! Gabriel !
Quand je ressors la tête de l'eau, Cléo est de l'autre côté de la rive, m'éblouissant le visage avec sa lampe tandis qu'elle me fait de grands signaux.
- Où est Manu ?! Manu ! Il était avec toi !
J'ai l'impression d'avoir déjà donné toute la force qu'il me reste dans les bras et les jambes tandis que Manuel semble être l'élément déclencheur de toute cette catastrophe.
Un hurlement de terreur me parvient tant bien que mal tandis que j'aperçois le barrage cédant totalement et l'eau, violente, dangereuse et mortelle, s'approcher de moi en un tsunami déferlant.
- Gabriel attention !
Trop tard. Me voilà reparti pour un tour de machine à laver. La vague m'emporte et tout mon corps semble faire du rafting contre les rochers, les branches et autres obstacles ne servant pas à arrêter ça. L'eau semble pénétrer progressivement dans mon corps tandis que l'air vient à me manquer quand soudain, une nouvelle fois, je m'arrête, à bout de souffle, à bout de force, contre un tronc d'arbre se trouvant miraculeusement sur ma route.
Je me sens vidé et alors que j'ai envie de tout abandonner, je vois le corps flottant de Manuel me passer sous le nez.
Laisse-le. Laisse-le partir. Tu ne peux rien faire pour lui. Tu n'es pas un héros. Si tu tends le bras, si tu fais le moindre mouvement, tu sais que tu vas partir. Ne joue pas au héros Gabriel. Laisse ça à d'autres.
D'autres ? Qui ? Qui viendra pour lui ? Si je le laisse partir...alors...Alors...Non, non. Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas avoir ça sur la conscience.
Dans un ultime effort, je tente tant bien que mal d'attraper Manuel à bout de bras, tout en m'assurant de rester accrocher à mon tronc d'arbre, mais voilà, je le manque de quelques centimètres même pas.
- Fais...chier...
Je me laisse porter et m'envahir par le courant pour le rattraper et alors que je l'atteins, le pousse contre un rocher non loin de là. Là où le courant ne déverse pas sa colère.
Les forces m'abandonnant progressivement, je me laisse partir, sombrer dans cette eau devenant de plus en plus trouble. De plus en plus dangereuse. De plus en plus mortelle pour moi.
Je me sens partir. Je me sens coulé.
Et puis quand ma tête percute un rocher à proximité, c'est le trou noir complet.
Je n'aurai jamais dû partir. Je n'aurai jamais dû décrocher le téléphone. Je n'aurai jamais dû monter dans cette voiture. Et surtout...surtout...
Je n'aurai jamais dû être près d'un barrage voué à céder.
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