26. Promets-le-moi
Il y a des jours, des jours comme celui-ci, où être un petit garçon me manque. Il y a des jours où j'aimerais être ce gamin de 5 ans qui n'a aucun souci mise à part celui de ne pas rentrer dans la maison avec les bottes pleines de boue. Il y a des jours où j'aimerais ce garçonnet de 8 ans qui n'a aucun souci mis à part celui de savoir s'il prend un BN à la fraise ou une tartelette pour le goûter. Il y a des jours où j'aimerais ce garçon de 11 ans qui apprend encore de ses parents.
Mais je suis assis là, sur le banc au fond du jardin, regardant le soleil se coucher derrière les champs plus loin tandis qu'un soupir m'échappe. Je ne sais plus quoi penser. Je ne sais plus quoi faire. Il n'y a pas si longtemps j'avais une vie toute tracée. Une vie qui n'attendait que moi. Une vie qui me tendait les bras et ça m'allait. J'étais venu ici en espérant avoir cette vie si longuement planifiée et préparée, mais deviner quoi ? Rien ne va jamais dans notre sens. On se prends la tête et on se fait des plans sur la comète, et tout ça pour quoi ? Pour se voir gâcher la moindre petite occasion. Pour se retrouver avec le cul entre deux chaises. Pour être comme un con, assis au fond d'un jardin ne sachant pas quoi faire.
Je déteste ce sentiment. Je déteste être pris entre deux choix comme celui-là. En fait, je déteste avoir le choix. Je suis pas le genre qui aime prendre de décision, car me connaissant, je prends régulièrement la mauvaise, mais j'ose à croire qu'en disant "non" cette fois, j'ai pris la plus judicieuse. Que cela vexe Cléo, Basile ou Pierre, Paul et Jacques, je m'en bats les cacahuètes. Je veux...je veux...Qu'est-ce que je veux ? Je ne sais même pas. Je suis incapable de le savoir.
Qu'est-ce que je veux ? Que ma grand-mère aille mieux, que son cancer dégage, la fin de la guerre et la paix dans le monde ? Ouais, ça fait de moi un idéaliste, utopiste et bisounours de première catégorie, mais je ne suis pas naïf au point de croire à l'existence ou la possibilité d'un monde parfait.
Ma grand-mère va mourir. Demain, dans une semaine, dans un mois. La vérité est là. Jacqueline se prépare pour son dernier grand voyage et je ne sais pas comment l'en empêcher. J'aurai envie de me mettre au milieu de sa route vers le tunnel de la fin, mais je ne sais pas comment m'y prendre. Non, c'est faux, quand j'y pense, j'en suis tout bonnement incapable. Je ne sais pas comment retarder son sort et je ne sais pas comment m'enlever cette douleur que j'ai dans la poitrine quand j'y pense.
Pendant combien de temps vais-je avoir aussi mal comme si quelque chose, un mal inconnu venu de je ne sais où me rongeais ?
Ah. Je suis perdu. Totalement largué, dépassé, distancé par la situation. C'est comme essayer de s'agripper à de la fumée. C'est impossible. Je ne peux rien faire. Je peux juste avoir mon cul sur une chaise à regarder en bon spectateur que je suis.
Je déteste ça. Je déteste voir des choses se produire autour de moi et n'avoir aucun contrôle dessus. Je déteste vraiment ça.
- Depuis combien de temps es-tu là ? demandé-je
Bizarrement, je prends conscience de la présence de Basile dans mon dos. Je ne sais pas depuis combien de temps il se tient là, à quelques mètres de moi, n'osant pas approcher.
- Je suis venu voir comment tu allais et...je veux aussi m'excuser pour tout à l'heure, répondis Basile
- T'excuser ? Pour ?
- Je sais que je ne devrais pas me mêler de ta vie et...
Ah. Il veut parler de ça. Basile n'est pas en faute, c'est moi qui me suis emporté. Je sais que lui et Cléo essayent de m'encourager et de faire en sorte que je fasse ce qu'il me plaise ou ce pour quoi je suis venu jusqu'ici et je sais que je n'ai pas été franchement sympa avec eux.
"Basile se débrouillait déjà tout seul bien avant ton arrivée."
C'est vrai. Basile n'a pas besoin de moi. Il n'a jamais eu besoin de moi. Qu'adviendra-t-il le jour où je m'en irais ? Retournerons-nous respectivement à nos vies d'avant et arrivera-t-on à s'oublier ?
- Dis-moi Basile, qu'est-ce que l'on va faire toi et moi ? Qu'est-ce que l'on va devenir ? Je ne sais même pas ce que l'on est...Je ne sais pas...
Je ne sais même pas si toi et moi, c'est fait pour durer.
On dirait une petite amourette de vacances. Tu sais, l'un de ces amours de colonie que l'on vit toujours à fond, passionnément, et ce, sur un court laps de temps. Un de ces amours duquel on se détourne quand les vacances se terminent. Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas te voir comme un amour de vacances, mais tu sais quoi ? Là encore, j'ai l'impression de ne pas avoir le choix. Même si je prends une année de congé, je veux finir mes études, je veux aller jusqu'au bout de ce parcours pour lequel j'en ai quand même bavé et je ne peux décemment pas te demander de me suivre en ville. J'ai vu ce que la ville te faisait comme effet et je n'ai pas envie de te voir dans la peine, dans la souffrance ou dans la galère. Je serais alors bien égoïste de te demander de me suivre comme tu le serais de me demander de rester ici alors que rien ne me retiendra prochainement.
Pas même toi.
J'entends ses pas dans l'herbe tandis qu'il se rapproche de moi, suffisamment pour que je sente mon dos se caler contre lui.
- Ce n'est pas comme si nous étions un couple pourtant, c'est indéniable que toi et moi partageons quelque chose. Appelle ça une alchimie, où je ne sais pas quoi, mais quand tu es dans les parages tout est plus...vivant. Amusant. Honnêtement Gabriel, je t'en veux, car en si peu de temps tu as foutu un bordel monstre dans ma vie, mais pas seulement dans ma vie. J'ai le même désordre dans mon cœur et...Je ne sais pas comment le remettre à l'endroit. Je ne sais pas comment exprimer ce que je ressens correctement.
- Et si on laissait le désordre régner ? Qu'est-ce que ça te ferait ?
- Je n'en sais rien...Je n'ai jamais essayé, mais ça me fait un peu peur. Jusqu'à présent, j'ai toujours eu le contrôle sur ce que je ressentais et je n'aime pas...je n'aime pas ne pas avoir le contrôle.
Donc, je ne suis finalement pas le seul.
- Qu'est-ce que l'on fait du coup ? Je dois te donner un petit papier sur lequel je te ferais cocher "oui" ou "non" pour être mon amoureux ?
- Sauf que tu oublies un truc...
Je lève la tête pour le regarder tandis que ses doigts font plusieurs fois le tour de ses yeux.
- Je ne pourrais pas lire ton papier.
- C'est vrai. Mais tu n'es pas sourd, alors je peux toujours te le faire entendre.
- Ah oui ? Et comment tu comptes t'y prendre ?
Attrapant alors les mains de Basile, je le fais venir devant moi jusqu'à l'asseoir sur le banc à côté de moi.
Je sors mon MP3 de la poche arrière de mon jean et lui mets les deux écouteurs respectivement dans chacune de ses oreilles avant de choisir une chanson. LA chanson.
"Je vais t'aimer comme on ne t'a jamais aimé. Je vais t'aimer plus loin que tes rêves ont imaginé. Je vais t'aimer. Je vais t'aimer ! Je vais t'aimer comme personne n'a osé t'aimer. Je vais t'aimer comme j'aurai tellement aimé être aimé."
Tu vois, moi je suis prêt à t'aimer comme ça.
Basile enlève les écouteurs et souris timidement, les yeux légèrement rosées. C'est à peine distinctif et pourtant, ça se voit. C'est là.
- Je vais faire pâle figure maintenant ! C'est bien joué de ta part.
- Pâle figure ? Ne me dis pas...
C'est à son sourire en coin que je devine naturellement alors que Basile et moi étions sur la même longueur d'onde.
- A ton tour de t'asseoir et de m'écouter, car je ne le dirais qu'une fois.
- D'accord...Tu sais Basile, dit comme ça, ça me ferait presque peur.
- Mais non !
On échange de place sur le banc tandis que je prends la sienne et que Basile prend une grande inspiration juste devant moi, allant jusqu'à gonfler ses poumons, bombant ainsi son torse.
- On dirait que tu vas me crier dessus...
Je ne peux m'empêcher de rire devant une telle scène. Qu'est-ce qu'il mijote ? À quoi il pense ? Qu'est-ce qu'il va me dire ?
- Je ne sais pas de quoi l'avenir sera fait Gabriel. Je ne suis pas médium et je ne suis rien de moins qu'un homme, mais j'aimerais que l'on se fasse une promesse tous les deux. Une sorte de vœux plutôt.
- Si tu veux...
- Dans ce cas...
Il s'approche de moi, prends mes mains dans les siennes en les serrant aussi fermement que possible, comme s'il ne souhaite pas les lâcher. Comme si...Comme si Basile s'apprête à me dire quelque chose que je ne veux finalement pas entendre.
- Promettons-nous de ne pas nous attendre. Souhaitons-nous tout le bonheur du monde et enfin...
Lâchant enfin mes mains et dans une étrange grimace comme déchiré par ce qu'il s'apprête à me dire, il finit par conclure :
- Quand Jacqueline partira. Je veux que tu partes d'ici. Sois heureux Gabriel, tu le mérites. Ton bonheur ne se trouve pas ici, le village n'a rien à t'offrir. Ton bonheur ne dépend pas de moi, je n'ai rien à te donner. Tu iras faire ta vie, tu quitteras ce trou perdu et surtout...Surtout...Tu ne te retourneras pas. Promets-le-moi.
Alors, c'est ça, hein ? Nous ne sommes qu'une amourette de vacances toi et moi ?
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