25. Les jardins clos de solitude

Je ne vais pas te mentir, j'ai mille et une choses en tête pour l'instant. J'en ai tellement que je ne saurais te dire laquelle me viendrait à l'esprit si jamais tu dois me poser la question. Je pense, tout simplement. Je pense à tout et à rien. À tout un tas de choses. Je me pose pas mal de questions. Je réfléchis. Je pèse le pour et le contre. J'essaye de me fixer et de me projeter, mais tu sais quoi ? Tout ça est bien trop compliqué pour moi.

Je suis venu ici avec une idée en tête, bien précise et bien claire, et alors que je dessinais les contours d'une vie future qui s'annonçait prometteuse, voilà que m'envol à peine prit, on me coupe les ailes. Je suis censé faire quoi ? Accepter ? Reprendre cette vie là où je l'ai laissée et tourner le dos à ce qui m'attend ? Je suis censé prendre ce studio en oubliant que mon déménagement entraînera mon départ : Loin de Jacqueline, loin de toi. Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas d'une vie où l'on me demande de faire des choix impossibles. Choisir entre mes études futures et ma grand-mère mourante. Choisir entre rester et partir. Choisir entre aller de l'avant et se bloquer dans le temps.

Je ne veux pas choisir. J'ai peur de choisir. Peur de me tromper, de faire le même choix et mettre le mauvais pied devant moi. J'ai peur de tomber et de remarquer que personne ne sera alors là pour me relever. Je crois que je réalise petit à petit que soudain, j'ai peur. Peur de faire une vie seul. Je l'attendais depuis tellement longtemps, tu vois, que maintenant qu'elle se présente à moi avec toutes ses opportunités, je me demande forcément ce que je ferais après.

Et après ? Qu'adviendra-t-il de moi ?

- On y est...C'est l'adresse. Je présume que le mec doit être dans le coin, je vais l'appeler. Vous restez près de la voiture les garçons, d'accord ?

- Oui, maman !

Cléo s'en va nous laissant toi et moi tandis que mon regard se perd sur cette étrange figure que tu fais. Quelque chose ne va pas. Je le sais, je le vois. Mais quoi ?

- Basile ?

Pourquoi fais-tu cette tête-là ? Comme si tu souffrais quelque part ? Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que tu ne me dis pas ? Tu es resté silencieux tout le trajet durant ou alors je n'ai pas pris la peine pour t'écouter un instant.

- Je suis désolé...C'est juste que...dit-il presque faiblement

Tu te baisses, te mettant presque en boule contre la voiture, mettant tes mains dans tes bras et je réalise...Nous sommes en ville. Basile n'a pas l'habitude du bruit de la ville. Il a toujours été dans cette campagne profonde équivalente au trou du cul du monde. Basile est aveugle, pas sourd, mais qu'entend-il ? Que ressent-il ?

- Hé...Je suis avec toi.

Mais moi se retrouve rapidement couverte par une voiture qui passe, par les braillements d'enfants à proximité, par les klaxons de la rue d'en face. Basile ne m'entend pas.

Je couvre alors ses oreilles avec mes deux mains en appuyant aussi fort que je peux tandis qu'il relève la tête vers moi à mon contact. Mon front vient se poser sur le sien comme pour le rassurer tandis que ses bras viennent s'entourer autour de moi. J'ai été trop idiot. Pas un seul instant je n'ai pensé à son confort. Tout ce que je voulais, c'était qu'il vienne avec moi et il ne m'a même pas repoussé. Il m'a suivi en sachant certainement ce qui allait se passer pour lui.

Cléo revient et nous retrouve tous les deux assis sur le trottoir tandis que Basile se tient toujours à ma chemise.

- Qu'est-ce qui se passe ? Basile est souffrant ? panique Cléo en nous regardant

- Le bruit...lui fis-je remarquer

- Ah ! Autant entrer à l'intérieur, l'agent immobilier nous attend justement. Ça ira sûrement mieux. Tu veux un coup de main ?

Bas les pattes ! Propriété privée !

- Ça va aller, je te remercie. Basile ? Tu peux te lever ? lui demandé-je en le relevant On va rentrer.

Il y a des marches à l'entrée de l'immeuble et Basile qui se retrouve sans repaire, manque de se retrouver par terre en ratant la dernière et ce n'est que mon bras qui le retiens. C'est alors là que je me rends compte à quel point il doit être habitué à vivre là-bas. Ici, il se retrouve sans rien. Il ne connait rien. Chaque coin de rue, chaque marche d'escalier est un potentiel danger pour lui.

Si je venais à vivre ici...Je ne pourrais me résoudre à lui demander de me suivre comme je ne pourrais pas rester pour le surveiller.

Jacqueline avait raison...J'ai été gourmand et un jour viendra où je m'en mordrais les doigts. Je vais devoir laisser Basile derrière moi et cette idée ne me plaît pas.

On entre dans le studio que l'on visite en quelques minutes même pas. C'est un coin vraiment chouette...vraiment sympa....vraiment...

- Non, je ne le prends pas. Ça ne va pas le faire.

- Quoi ?! Gabriel ! siffle Cléo en me foudroyant du regard

Je ne peux pas. Je suis désolé, mais je ne peux pas.

- Vous savez, vous n'êtes pas les seuls pour ce studio et...

- Excusez-nous cinq minutes, il faut que mon ami et moi discutions.

Cléo m'entraîne dans le couloir en prenant grand soin de laisser Basile avec l'agent immobilier tout en refermant la porte derrière elle.

- Mais tu es fou ma parole ? C'est le meilleur studio que tu puisses trouver ! En plus, le prix est correct, le quartier est sympa...

- Je suis désolé Cléo. Je sais que tu t'es donné du mal pour m'aider et je t'en remercie, mais...

- Quoi ? Quoi ? Non, ne me dis pas. Je ne veux pas savoir. Parce que je sais déjà que tu vas refuser l'offre et je ne veux pas l'entendre.

- Écoute, ma grand-mère est malade, Basile est tout seul...Je ne peux juste pas.

- Oh par pitié ! Basile se débrouillait déjà seul bien avant ta rencontre. Ne l'utilise pas comme excuse.

Touché. Coulé.

Est-ce que j'utilise vraiment Basile comme prétexte ? Peut-être que Cléo a raison au final, je ne fais que retarder la chose. Je devrais signer. Je devrais prendre ce studio et emménager. Je devrais quitter ce hameau perdu dans le trou du cul du monde. Je devrais faire ma vie ici. Ce n'est pas une "grande" ville, mais je pourrais aisément me trouver de quoi m'occuper en dehors des cours. Oui, je pourrais.

Comme je pourrais aussi tout plaquer pendant un an, m'accorder une année sabbatique et tout reprendre plus tard. Rien ne presse. J'ai 23 ans et toute la vie devant moi. Je pourrais profiter de ma grand-mère. Je pourrais l'aider au magasin. Je pourrais être avec Basile encore un peu plus longtemps.

Mon dieu...Je suis une Princesse Disney faisant tout un drame d'un rien.

Décide toi bordel !

- Écoute Cléo, c'est vraiment gentil...Mais je crois que je vais faire ce qui me plait de faire et je ne te dois aucune explication. C'est ma vie, j'en fais ce que j'en veux.

- Alors toi...

Je sais. Je n'en fais qu'à ma tête. Mais peut-on m'en vouloir ?

On revient dans la pièce principale tous les deux tandis que cette dernière garde son air boudeur de petite fille fâchée.

- Merci Monsieur d'avoir pris du temps pour nous, mais je laisse ce studio à qui le voudra !

Alors que Cléo est partie devant, Basile accroché à mon bras, s'arrête au milieu du hall d'entrée de l'immeuble.

- Tu m'expliques ? À entendre Cléo, c'était le meilleur choix possible, non ?

- Je vais mettre mes études en stand-by. Faire une pause. Un break.

- Gabriel !

Désolé Basile, mais je veux pouvoir botter le cul de ma grand-mère le moment venu. Je veux pouvoir lui dire tout ce que je pense et tout ce que je ressens. Je veux pouvoir lui dire que ce n'est qu'une vieille croûte idiote.

- Si tu fais tout ça à cause de ce qu'il s'est passé hier soir entre nous, je te préviens...

Ma main attrape fermement sa fesse droite tandis que j'esquisse un petit sourire satisfait.

- Ce qu'il s'est passé hier soir n'était qu'un tour de chauffe. Prépare-toi. Et pour te répondre, non, notre petit moment de folie n'a rien à voir dans l'histoire. Je veux seulement...Seulement partir quand le moment sera le bon.

Je veux partir sans avoir de regrets, tu comprends ?

- Je peux m'accorder une pause dans ma vie. Ça ne va pas me tuer de prendre du temps pour moi.

- Cela ne plairait pas à ta grand-mère.

- Alors qu'elle vienne me le dire en face !

J'ai toujours eu horreur de ça. Qu'on dise tout haut ce que telle ou telle personne aurait dit. Elle n'est pas là ma grand-mère justement, OK ?! Et j'ai assez l'âge de me faire sermonner par tout le village. Basile compris.

- Gabriel...

- Quoi ?!

- Ne m'en veux pas.

- Je ne t'en veux pas, mais j'ai passé l'âge de me faire reprendre. Si mes choix ne vous plaisent pas alors...

Je m'arrête au milieu de phrase en prenant une grande inspiration. Par le passé maintes et maintes fois les mots m'ont échappé, je n'ai pas envie de faire un faux pas avec Basile alors que jusqu'à ce matin même on passait un si bon moment tous les deux.

- Je suis un grand garçon, je me débrouillerais. Je me débrouille toujours. Je me débrouillais déjà bien avant.

"Basile se débrouillait déjà seul avant ta rencontre", voilà que les mots de Cléo me reviennent en pleine figure et je comprends soudain son point de vue. Basile et comme moi, on a l'habitude d'être seuls, alors qu'adviendra-t-il de nous si l'on s'attache à l'autre ? Que se passera-t-il si l'un de nous devient un peu trop dépendant à l'autre ? Est-ce possible d'être aussi accro à quelqu'un que l'on connait tout juste ?

Hé Basile, dis-moi, est-ce qu'il existe un monde où je puisse vivre sans toi ?

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