21. Crise de panique et prise de cœur

Je me demande ce qui se passe quand on a trop pleuré. Mis à part avoir le visage d'un poisson-ballon et les yeux rouges du drogué du quartier. Je me demande si c'est normal de se sentir aussi vide, épuisé, comme si chaque larme ayant coulée s'est fait la malle avec un bout de nous-mêmes. Si c'est le cas, je me suis perdu dans le couloir de l'hôpital.

- On devrait appeler Cléo. Lui dire de venir nous chercher.

- Je n'ai pas envie de rentrer. Rentre tout seul si tu veux. Je l'appelle.

Je n'ose même pas quitter le fauteuil dans lequel je me suis enfoncé en attendant. En attendant quoi ? Que ça passe. Mais ça ne passe pas. Mon chagrin ne passe pas. Il est juste là, accroché à moi. Collé. Il ne veut pas se défaire.

Je n'ai pas envie de rentrer à la maison, car chaque petit recoin va me faire penser à ma stupide grand-mère. Je ne me sens pas d'humeur à me battre contre un pot de fleurs ou une poutre en bois. Je ne me sens pas d'humeur à être au milieu de tout ça et à me dire "Prépare-toi." Me préparer à quoi ? Au pire ? Est-ce qu'au moins on peut se préparer à ce genre de chose ? Non. On ne peut pas. On peut juste le laisser venir et nous faucher au passage. Voilà. C'est tout. Je ne veux pas me préparer à l'éventualité où ...À vrai dire, je ne veux même pas y penser.

- Je reviens, hein.

Je dois avoir le corps d'un escargot ou d'une limace. Je me sens mou et à chaque pas que je fais, j'ai l'impression qu'au prochain je vais m'effondrer par terre. Je me sens petit à petit drainé de toute force de vie. Le couloir est long et pénible à traverser. Il me paraît interminable comme...comme un couloir de la mort. Comme si elle planait là tout autour de moi, attendant patiemment autour de ces patients déjà plongés dans un sommeil dont la plupart ne ressortiront pas. Je ne veux pas de ça pour Jacqueline. Je ne veux pas qu'elle reste là, branchée. Je ne veux pas qu'elle finisse sa vie ici. Non.

À l'extérieur de l'hôpital, juste devant je me trouve un banc sur lequel m'asseoir et remercie le ciel, car j'aurai été bien incapable d'aller plus loin. C'est à peine si j'ose composer le numéro de Cléo. Je vais lui envoyer un texto.

"Viens nous chercher stp à l'hôpital."

Voilà. C'est envoyé.

Maintenant, je n'ai plus qu'à attendre. Je pourrais attendre dehors des heures, mais rapidement, je me souviens que j'ai Basile aussi à gérer. Basile. Comment il fait d'ailleurs ? Il parait si détendu, comme si pour lui tout ça n'est qu'une vulgaire promenade de santé. Rien ne semble l'atteindre. Le toucher. Je l'envie. Vraiment, je lui envie cette force qu'il a de laisser les événements lui couler dessus comme ça. Comme si son cœur était devenu imperméable.

En retournant dans le couloir, je m'aperçois que Basile n'est plus là et je ne sais pas pourquoi, mais je me suis soudainement mis à paniquer.

- Basile ? Basile ?!

Ayant perdu Basile de vue, je me suis retrouvé au milieu de ce couloir qui me parut si oppressant que par réflexe, je me suis mis en boule, recroquevillé sur moi-même au milieu de quelques personnes passant ici et là.

- Hé ! Tout va bien ?

Je ne remarque que la tenue rose pastel et des crocs jaunes fluo devant moi tandis que le souffle me manque.

- Ce jeune homme fait une crise de panique. S'il vous plaît, écartez-vous. Écartez-vous.

Avant même que je n'aie eu le temps de dire "ouf" me voilà conduit dans une pièce à part, loin des regards indiscrets.

- Ça va aller...Respirez...Lentement...C'est ça. Allez-y à votre rythme.

Sa voix à quelque chose d'apaisant. De relaxant. Il me suffit de l'entendre me parler pour réussir à reprendre le contrôle sur moi-même. J'ai honte. J'ai vraiment honte. Me retrouver par terre au beau milieu d'un couloir tout ça parce que j'ai perdu le seul repère que j'avais.

- Vous êtes le jeune homme avec qui le docteur Grégoire discutait tout à l'heure, c'est ça ? Où est votre ami ?

- Je...Je ne sais pas. Je ne...

- Je vais aller le chercher pour vous, ne vous en faites pas.

- Il..Il est aveugle. Il faut l'aider.

Et s'il était tombé quelque part lui aussi ? S'il était tout seul ? Oh mon dieu mon esprit pollué me balance les pires images possible et ma vie prend un tournant de film d'horreur. Je n'aime pas ça.

La porte de la chambre s'ouvre à nouveau quelques minutes plus tard tandis que j'entends l'infirmière me dire :

- Et voilà ! Trouvé ! Vous êtes de nouveau réunis !

Elle semble heureuse et pourtant, dès que Basile s'approche du lit avec son aide, la première chose qui me vient à l'esprit c'est de le taper. De lui asséner je ne sais combien de coups sur le torse. De l'engueuler. De lui crier dessus. Pourquoi est-ce que je m'énerve ainsi sur Basile ? Il ne m'a rien fait. Il n'a pas à être le réceptacle de ma colère.

- Où est-ce que tu étais bon sang ?! Je t'avais dit de ne pas bouger et...Quand je suis revenu, tu n'étais plus là ! Tu m'entends ? Tu n'étais plus là !

Mais Basile ne dit rien. Au lieu de ça, il attrape mes mains dans les siennes et me les sert si fort.

- Je suis là maintenant.

- Je vais vous laisser. Vous pouvez rester ici tant que vous le souhaitez !

- Merci ! C'est gentil.

L'infirmière repartie vaquer à ses occupations, Basile s'approche du lit et se met entre mes jambes tandis que ses bras viennent me saisir et me plaquer contre lui. C'est la deuxième fois que Basile me prend dans ses bras et bizarrement, j'ai l'impression que ce simple geste, cette simple accolade, me coupe du monde. Comme si je trouvais un sentiment de sécurité. Une sensation de paix.

- Qu'est-ce que l'on va faire maintenant ? Je veux dire...murmuré-je en reniflant

- On va attendre. C'est tout ce que l'on peut faire. Je ne suis pas croyant donc je ne peux pas prier, mais si tu veux le faire, vas-y.

Je ne crois pas en dieu. Mais je me dis que si vraiment il y a quelqu'un là-haut, quelqu'un qui veut bien me prêter une oreille le temps d'un instant, alors oui, je prierais. Je prierais pour ma grand-mère. Je prierais pour qu'elle ait une belle fin de vie. Je prierais pour qu'elle ne soit pas emplie de souffrance et de désolation. Je prierais aussi pour Basile.

- Le haut de ta chemise est tâchée Basile.

- Oh...ça doit être le lavabo, j'étais aux toilettes.

Sauf que ce ne sont pas des traces d'eau, ou du moins, pas de l'eau du lavabo. Basile s'est exilé, seul aux toilettes, pour pleurer. Pourquoi? Pour ne pas à avoir à pleurer devant moi ? Parce qu'il veut jouer à l'homme fort de la maison alors qu'il m'a dit de ne pas craquer.

- Tu sais, pleurer, c'est humain. C'est ce qui montre que tu ressens les choses. Que tu les vis. Tu n'as pas besoin de te cacher pour. Surtout te cacher de moi.

- Comment tu sais que...

- Les petites taches rondes sur ta chemise.

Il sourit timidement et hausse des épaules.

- C'est que tu as l'oeil Sherlock.

- C'est élémentaire, mon cher Watson.

Alors pour la première fois depuis que nous avons mis un pied ici, nous avons ri.

- Et il faut bien que l'un de nous puisse compléter l'autre. Je serais ta vue.

- Et moi ? Je serais quoi ? me demande-t-il amusé

- Ma force.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top