20. Quand l'heure viendra...
Pas peu fier de ma trouvaille, je me décide d'aller annoncer la bonne nouvelle à ma grand-mère et à Basile. Cléo a raison sur le fond, je devrais leur dire de venir avec nous demain pour la visite, au moins qu'ils sachent où je vais vivre. Je ne sais pas si Basile sera franchement intéressé par ce genre de chose, mais je me dis que tout compte fait, ça ne coûte rien d'essayer de lui proposer et au pire, il refusera et préférera rester avec Cléa au village ou peut-être bien même à la maison.
- C'est moi !
- Gaby ? Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as besoin de quelque chose ? me demande ma grand-mère en train de tailler un bouquet
- Non, non ! Je reviens du café. Cléo m'a aidé à choisir un studio et on doit aller le visiter demain, vous voulez venir ?
Un silence passe tandis que ma question demeure sans réponse. Basile qui se tenait derrière le comptoir, à proximité de la caisse semble avoir cessé toutes activités alors que ma grand-mère s'approche de moi et va jusqu'à poser sa petite main sur mon front.
- Tu vas bien ? Tu es souffrant ? Tu as mal quelque part ? C'est ta tête qui te joue des tours, c'est ça ?
- Quoi ?
Et soudain je réalise.
- Oui, j'ai sympathisé avec Cléo. Disons que l'on a enterré la hache de guerre !
- C'est chouette ! Qu'est-ce qui vous a décidé ?
Mon regard se perd alors sur Basile qui ne dit toujours rien tandis que ma grand-mère semble suivre mon regard.
- Je vois.
- Donc ? Vous voulez venir ?
- Pourquoi pas ? Cela nous fera sortir un peu et puis toutes nos commandes sont faites donc on peut se permettre de fermer la boutique pour une journée.
- Cool !
Soudain, l'idée d'être tous ensemble semble m'exciter plus que je ne le devrais. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens subitement content que ma grand-mère accepte de m'accompagner. C'est juste une visite, ça n'a rien de capital non plus. Mais ça me rend heureux.
- Et puis ça fait longtemps que Basile n'est pas allé en ville. Ça lui fera du bien.
- Je n'aime pas la ville, bougonne le principal concerné.
- Tu sais, rien ne t'oblige de venir si tu ne souhaites pas, fis-je
- Non, mais si c'est pour toi Gabriel, je veux bien venir.
"Si c'est pour toi" ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce qu'il fait passer mon intérêt en priorité ?
- C'est gentil, merci.
Le petit Gaby à l'intérieur de moi danse certainement la rumba pendant que je tente tant bien que mal de rester calme et digne. J'ai bien compris qu'y aller franco avec Basile, ça ne fonctionnait pas. Il me faut une autre tactique et j'en ai une, parce que tout à fait entre nous, j'ai plus d'un tour dans mon sac. Je vais jouer la carte du mec calme, posé, limite un peu distant. Ça va attirer sa curiosité et il va indéniablement venir vers moi.
Je suis tellement génial que je m'épate moi-même par moment.
- Tiens Gabriel, tu peux mettre ses pots sur les étagères pendant que je vais en chercher d'autres dans l'arrière-boutique ? me demande ma grand-mère.
- Bien sûr ! Donne moi ça, je vais le faire.
En fait, c'est juste parce que je suis grand. Je sais qu'on sert à ça nous les grandes perches. Attraper le paquet de PQ sur le rayon du haut ou le pot de confiture dans le placard au dessus de l'évier de la cuisine. Y'a pas de souci, j'ai l'habitude.
- Donc ? Tu pars, hein ?
- Je suis venu pour ça à la base. Finir mes études et avoir mon master.
- Et ensuite ?
Te faire l'amour tellement de fois que tu seras incapable de te relever mon petit gars !
Gaby ! Voyons !
- Je n'en sais rien. Je vis au jour le jour.
Alors ? Alors ? Tu mords ou pas ? La carte du mec distant elle fonctionne à tous les coups !
- Au jour le jour, hein ? Tout ce que je te souhaite, c'est de réaliser tes rêves. Vraiment.
- Merci.
Pourquoi tu ne mords pas ? Je donne tout là ! Je suis pas tout à fait à mon maximum, mais presque.
- Tu sais, je...
Notre conversation est brutalement arrêtée par un bruit de fracas à l'arrière.
- Mamie ?
Je me précipite le premier et retrouve ma grand-mère allongée par terre, recouverte de cartons, entourée de bouts de verres, une étagère à moitié sur elle.
Oh non. Pas ça. S'il vous plaît. Pas ça.
- Mamie !
Mon premier réflexe est d'attraper mon téléphone portable pour composer le numéro des secours.
Allez vieille croûte, tu ne vas quand même pas me claquer entre les doigts. Je t'interdis de me faire quoique ce soit maintenant alors qu'il y a à peine 5 minutes, j'étais le petit garçon le plus heureux du monde à l'idée de te faire découvrir ma nouvelle vie.
*****************
Je ne sais pas depuis combien de temps on est là. Assis. A attendre qu'un mec ayant un bac+8 vienne nous donner des nouvelles. Est-ce que ça fait une heure ? Peut-être deux ? Bien même trois. Je n'en sais rien. Pourquoi est-ce si long ? Pourquoi ils ne viennent pas ? Pourquoi ils ne nous disent rien ? Est-ce qu'ils nous cachent quelque chose ?
- Gabriel, calme-toi.
- Je suis tout à fait calme.
Comment peut-il me dire ça ? Comment puis-je être calme une seule seconde ? Je n'ai pas envie d'être calme d'abord ! J'ai envie d'éclater la tête d'une de ces blouses blanches pour mettre autant de temps à ramener son cul dans cette foutue salle. Pourquoi est-ce si long ?
La main de Basile vient doucement, mais calmement se poser sur la mienne qui s'est fermement accrochée à l'accoudoir du fauteuil tandis que ma jambe tremble d'elle-même. Je trépigne, oui je sais !
- Gabriel...
- Je sais ! Je sais !
Je ne devrais pas penser au pire. Je ne dois pas penser au pire. Tout va bien. C'est comme pour moi, non ? Elle a fait une mauvaise chute et...
- La famille de Madame Gérard ?
- C'est nous !
Je me précipite comme un enfant impatient dès que j'aperçois le médecin et je n'ai qu'une envie, lui demander s'il a bien profité de sa petite pause café.
- Vous êtes son petit fils, c'est ça ?
- Oui. Comment va ma grand-mère ? Est-ce que c'est grave ?
- Pouvez-vous venir avec moi dans mon bureau, s'il vous plaît ?
Dans son bureau ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Je n'aime pas la tête qu'il fait.
Je le suis dans ce couloir qui me paraît immense tandis que l'on croise infirmières et aide-soignants qui sont au pas de course. Il ouverte une porte en bois et un grand bureau apparait devant nous tandis que j'aide Basile à s'installer dans un fauteuil à côté du mien.
- Êtes-vous au courant de la situation de votre grand-mère ?
- La situation ? Quelle situation ?
- Je vois, cela répond à ma question. Elle ne vous a rien dit ?
- Non ! Enfin, je viens d'arriver pour des vacances et...
- D'accord, écoutez...Je pense que votre grand-mère a essayé de vous préserver en vous cachant son état de santé et...
Son état de santé ? C'est à dire ?
- Votre grand-mère a un cancer et cela ne va pas en s'arrangeant. Elle refuse les traitements qui pourraient l'aider, la soulager et l'épisode d'aujourd'hui n'est qu'une petite vague annonçant sans doute...
- Vous me dites quoi là ? Que ma grand-mère est en train de mourir ?! C'est ça ?!
- Gabriel, calme-toi !
- QUE JE ME CALME ?! TU LE SAVAIS C'EST CA ?! Depuis le début t'étais au courant et tu t'es bien gardé de me le dire !
- Ce n'était pas à moi de t'en parler !
- Ah ça t'arrange bien de me dire ça maintenant ! Tu veux qu'on parle à coeur ouvert, mais pour les choses importantes, y'a plus personne !
- Je t'en prie...Ne dit pas des choses qui dépassent ta pensée et que tu pourrais regretter.
- Regretter ? Vraiment Basile ? Tu me sors le regret maintenant ?!
- Écoutez messieurs, ce n'est pas un endroit pour les disputes. Respectez l'hôpital, je vous prie.
J'ai envie de les fracasser. Tous les deux. Ce médecin qui n'est pas capable de forcer une petite vieille à prendre son traitement et cet aveugle devenu subitement muet sur l'essentiel. Comment on a pu me cacher ça ? A moi ?
Les larmes me viennent subitement comme un flot me submergeant et je suis incapable de les retenir. Incapable de me dire que ça va aller. Que je n'ai pas à pleurer. Ma grand-mère ne me ferait pas ce genre de coup tordu. Ce n'est pas son genre. Pas elle.
Pas mamie Jacqueline.
- Combien...Combien de temps ?
Ma voix est coupée. Brisée. C'est à peine si les mots suivent.
- Quelques semaines, quelques mois tout au plus.
- Quelques mois ?
Mon dieu, non. Je ne suis pas prêt. Comment le dire à maman ? Je ne peux pas lui mettre ça sur le dos en plus. Je ne peux pas...Je ne peux pas...
- Excusez-moi...J'ai besoin...besoin de sortir.
Je sors du bureau en refermant la porte derrière moi, me laissant tomber le long du mur, recroquevillant mes jambes contre ma poitrine. J'ai envie de hurler. J'ai envie...
Ma vision est troublée par les larmes, par les pleurs tandis que je mords fermement mon tee-shirt pour m'empêcher de crier. De faire le moindre son. Tout ce que je peux faire, c'est sangloter au milieu de ce couloir qui me paraît soudainement bien silencieux.
- Je suis là. Je suis là.
Les bras de Basile viennent m'entourer et je me laisse progressivement aller. Je m'en veux lui avoir aboyé dessus. Je m'en veux tellement. Je suis qu'un petit con. Qu'est-ce que je vais faire sans ma grand-mère ? Comment je vais m'en sortir ?
- Je veux pas qu'elle meure Basile. Je ne veux pas qu'elle meure.
- Je sais.
- Je ne veux pas être tout seul.
- Tu ne seras pas tout seul. Je suis là moi, non ?
Hé Basile, dis-moi, comment tu fais toi ? Comment tu fais pour supporter ça ? Moi j'ai si mal.
- Écoute-moi Gabriel, je vais te dire quelque chose qui ne va pas te plaire, mais je veux que tu m'écoutes.
Tu peux me dire tout ce que tu veux, je suis bien incapable de bouger de toute façon. J'ai juste envie de me laisser aller. J'ai juste envie...Envie de tout laisser couler.
- Il faut que tu sois fort, d'accord ? Quand Jacqueline sera avec nous, il ne faut pas que tu laisses tes larmes venir. Si ta grand-mère ne t'a rien dit, c'est parce qu'elle veut passer un maximum de temps avec toi et que tu gardes la meilleure image possible d'elle. Ça va être dur, très dur, mais hé, tu n'es pas tout seul. Tu ne seras jamais, ô grand jamais, tout seul. Tu m'entends ? Je suis là et je serais là jusqu'au bout. Cléo et Cléa seront là aussi. Les gens du village aussi. Cette boule que tu as en travers de la gorge, ravale-la. Sois fier. Sois fort et laisse ta grand-mère s'en aller avec dignité. Parce qu'elle est comme ça, tu sais ? C'est pour ça qu'elle ne t'a rien dit.
Mais je ne suis pas fort. Je ne suis pas tout ça. Je ne peux pas faire ça non plus. Comment pourrais-je ? Non, non, non. Je ne veux pas !
- Laisse-la partir Gabriel.
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