16. Vivre sans avoir de regrets
Je me suis assis sur la balançoire en fixant les champs à l'horizon et j'y suis resté une bonne partie de l'après-midi. Je présume que je traverse un processus de digestion et que les mots de Basile sont encore là. C'est fou, quoi qu'il puisse dire, j'ai l'impression que ses paroles trouvent un écho en moi. J'ai l'impression que Basile me comprend et c'est sans doute ce qui m'a tout de suite plu chez lui. Cette facilité qu'il a de dire les choses, cette sagesse, ce calme comme si un rien ne pouvait le perturber. J'envie depuis toujours les gens qui arrivent à avoir suffisamment de recul pour laisser les petites piques de la vie leur glisser sur la peau. Ne pas s'énerver au quart de tour, ne pas tout prendre pour soi. Avoir ce moment où l'on se dit "C'est comme ça et alors ?"
Pourtant, si la mer est calme chez lui, j'ai eu l'impression d'avoir jeté un caillou et de ne voir seulement que l'impact maintenant.
- Tu es là, je te cherchais.
Je ne les ai même pas entendu rentrer. Quand j'ai réalisé que l'après-midi m'est passé sous le nez, ma grand-mère est déjà devant moi.
- Qu'est-ce que tu fais tout seul ici ?
- Je réfléchis.
- A quoi ?
Elle sait à quoi. Je n'ai pas besoin de lui faire un dessin.
Jacqueline décide donc d'attraper une chaise en plastique pour la mettre devant moi.
- Gaby, ne le prends pas personnellement ce que t'as dit Basile dans la boutique. C'est juste que ce garçon est constamment sur la défensive. Tu sais, malgré ce qu'il te montre, il a ses propres peurs et ses propres faiblesses.
- J'aimerais bien savoir lesquelles ! En 3 jours j'ai l'impression qu'il me connait déjà par cœur alors que moi, dès que je fais un pas vers lui, il en fait trois en arrière.
- Dis-moi, comment te sentirais-tu si vos positions étaient inversées ?
- C'est à dire ?
- Si Basile n'était que de passage. Si tu savais qu'il allait partir, s'éloigner.
- J'en sais rien, mais me connaissant, je crois que j'essayerais de profiter de chaque instant.
- Te "connaissant", oui, mais parfois pour comprendre le monde, il faut savoir se mettre dans les chaussettes des autres. Basile n'est pas toi et tu n'es pas lui. Vous vivez différemment. Pensez différemment. Ressentez sans doute différemment aussi. Quand je t'ai dis que je protégerais le cœur le plus fragile, tu sais que je parlais de lui parce que Basile en amour, il n'a pas eu de chance. Tu t'en doutes un peu, non ? Il est difficile pour quelqu'un ayant un handicape quelconque de se faire une place dans ce monde. Le monde n'est pas adapté à eux et nous qui les entourons le sommes encore moins.
Elle marque alors une brève pause en me regardant avec tout l'amour et la bienveillance possible. Je dois avouer que ça me change de la voir comme ça.
- Tu dis qu'il n'a pas eu de chance, mais il bien l'autre maçon là.
- Ne sois pas comme ça. Comprends-le. Comprends son monde. Son histoire.
- Et comment je peux la comprendre ? Il n'en parle pas.
- Lui as-tu déjà posé des questions ? T'es-tu déjà intéressé à ça ? C'est normal qu'au bout de 3 jours il ne te dise rien de personnel, vous ne vous connaissez pas encore. Vous apprenez, bien maladroitement, à vous connaître. Comme si vous vous apprivoisiez mutuellement. Tu sais qu'il est différent, essayes de te faire comprendre avec sa façon. Les choses seront peut-être différentes.
Je n'en sais rien grand-mère. D'un certain côté je meurs d'envie de savoir, de l'autre je ne cesse de me dire "à quoi bon?", ils ont tous les deux raisons. Je vais partir. Je ne reste pas. Je ne ferais pas ma vie ici et je doute avoir suffisamment de week-ends de libre pour revenir. Mon porte-monnaie ne survivra pas à tant d'aller-retour.
- Et puis, tout à fait entre nous, ça ne te ressemble pas de baisser les bras alors que le combat ne fait que commencer. Je pensais que ta mère t'avait élevé mieux que ça. Tu sais Gabriel, l'amour c'est ça : C'est un combat perpétuel, un défi quotidien à relevé si l'on veut avancer. Si tu abandonnes à la moindre difficulté, alors mon garçon, sache-le, tu ne seras jamais heureux.
Peut-être bien. Mais je ne sais pas non plus si c'est ce que je veux. Est-ce que je pourrais me lancer corps et âme dans une bataille à l'issue incertaine ? Je n'en sais rien.
- Tu devrais aller le voir maintenant.
- Pour lui dire quoi ? "Hé ! Je comprends ton point de vue, mais je ne lâche pas l'affaire pour autant?" Non, sans façon, je passe.
- Tu y mets la forme que tu veux, mais crois-moi Gabriel, avec mon grand âge, on réalise qu'il vaut mieux vivre avec des remords pour des choses que l'on a faites, qu'avec des regrets pour des choses que l'on a pas faites justement.
- Sûrement.
Je me demande juste si c'est une bonne idée de confronter Basile maintenant. Juste le savoir dans la même pièce que moi m'angoisse, car j'ai l'impression que quelque chose s'est légèrement fissuré depuis la boutique et honnêtement, je n'ai jamais été très doué pour réparer les choses et les faire fonctionner comme avant.
J'abandonne donc ma grand-mère au fond du jardin, la laissant profiter du soleil couchant tandis que je passe la grande baie vitrée qui donne sur la terrasse. De suite, je remarque que Basile est dans le salon, couché sur le canapé. On pourrait presque croire qu'il dort dans cette position avec les mains croisées sur le torse.
Il a même l'air d'un mort.
Alors, je ne dis rien, je me contente de rester adossé à la vitre en le regardant.
- Je sais que tu me regardes.
Et cette façon qu'il a de toujours tout deviner m'agace sérieusement. Ce mec est pire qu'un ninja ou alors il a l'ouïe d'un animal.
- Je suis en terre inconnue, j'attends, j'observe avant de pouvoir tâter le terrain.
- Écoute Gabriel, à propos de ce qui s'est passé tout à l'heure...
- Tu avais raison.
Je ne vais pas fuir, ni mentir ou encore me cacher derrière de faux prétextes pour ne pas avoir à entendre certaines choses qui ne me plairont pas forcément. Je ne fuirais pas. Autant arracher le sparadrap d'un coup, ça fera moins mal.
- Je vais partir. Je vais vous laisser ma grand-mère et toi dans...un petit mois, je dirais ? Je vais m'en aller et je vais recommencer une nouvelle vie. Loin de celle que je connaissais déjà, mais pas trop loin de celle que je commence à avoir ici. Donc, tu as raison. Il y aura des gens bien après moi. Qu'importe qui s'est, je m'en moque et ça ne me regarde pas. Je n'ai aucun droit sur ta vie non plus. Qui suis-je pour toi si ce n'est le petit-fils de ta patronne ? Hein ? Je suis un pote de colonie de vacances, qui est de passage le temps d'un petit voyage trop cool. On se fera forcément pleins de souvenirs ensemble, on rigolera, on se disputera sûrement, mais au final, on aura passé un bon moment avant de se séparer chacun de son côté. C'est comme ça. Je ne peux pas lutter contre tout ce qui va nous arriver dessus.
C'est ce que l'on appelle la vie. Elle est faite ainsi.
- C'est vrai. Tu me plais. Je ne te connais pas plus que ça, je ne sais rien de toi si ce n'est que t'avais un pote hérisson quand tu étais gamin. Voilà la seule information que j'ai de toi Basile. Je ne sais pas quand est ton anniversaire. Je ne sais pas ce que tu aimes, ce que tu détestes, tes goûts, tes rêves, tes passions. Ton histoire. Je ne sais rien de tout ça. Je ne te connais pas. Mais c'est vrai, au bout de trois jours seulement, tu m'as fait de l'oeil et c'est une bien singulière expression à dire devant un aveugle, je le reconnais.
Il sourit légèrement et je présume que je viens de marquer un demi-point dans son cœur.
- Et c'est aussi vrai que tu ne me dois absolument rien. Je n'ai pas à me mêler de ta vie, ni même à interférer dans cette dernière, même si, tout à fait entre nous, ton pote le portugais ? Il est vilain, mais ça, ça reste mon avis.
En fait non, il n'est pas si "moche" que ça. Il a une peau hâlée qui lui sied bien, de grands yeux noirs qui pourraient vous dévorer sur place et qu'il balade habilement sur vous et un sourire sorti d'une pub de dentifrice. Mais ça, Basile, il ne le sait pas.
- Donc voilà, tu avais raison.
Et au final, dire tout ça, le sortir sans être interrompu, je crois que ça me fait le plus grand bien. J'en ai le cœur qui bat la chamade parce que c'est sans doute la première fois que je suis honnête avec quelqu'un et que je lui parle autant, mais ça me soulage véritablement.
- Vient à côté de moi Gabriel.
Il tape légèrement le canapé tandis qu'il se redresse pour me faire une place et je ne me fais pas prier pour venir m'installer à ses côtés.
- Je crois que c'est à mon tour, de te raconter une petite histoire.
Père Castor, raconte-nous une histoire !
- Mon histoire.
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