14. Hérisson

En toute honnêteté, je ne me vois pas dans mon état actuel expliquer à ma grand-mère comment je me suis retrouvé aux urgences et de toute façon, vue comment elle me hurle dessus depuis au moins une demi-heure, elle n'a pas l'air très enclin à m'écouter. Je présume que je n'ai qu'à attendre que la tempête passe. La tornade Jacqueline. Elle est terrible. Il n'y a pas une once de compassion dans son discours, seulement des reproches sur le fait que j'ai été inconscient, que je n'ai plus l'âge d'avoir un tel comportement et qu'on a échappé de peu au drame. Au véritable drame.

J'ai quand même trois points de suture sur mon crâne, elle veut en parler du drame capillaire ? Non parce qu'on a dû me raser un petit bout carré pour pouvoir faire la suture correctement, du coup, maintenant, je ne ressemble plus à rien.

- Je vais chercher Basile.

Voilà comment elle conclut. Basile. Lui il n'a rien à se reprocher, il n'a rien fait. De toute façon, que pouvait-il faire ?

- Je suis désolée, siffle Cléa en passant le rideau derrière lequel on m'avait caché aux urgences.

- Tu n'y es pour rien, ne t'en fais pas. C'est de ma faute, ça m'apprendra.

- Oui, mais...en tout cas, tu as sûrement sauvé la vie de ma soeur. Je t'en suis reconnaissante.

- C'est gentil, mais crois-moi, j'aurai largement préféré que nos positions soient inversées.

J'ai un mal de crâne horrible, selon le médecin, c'est normal et ça me passera sûrement après une bonne nuit de sommeil. C'est ça, oui, dormir résout tous les maux c'est bien connu.

Jacqueline n'a pas dit un mot sur la route nous ramenant à la maison et personne n'a dit un mot. Personne n'a osé, je pense et moi le premier. Je ne sais pas ce que j'aurai pu dire et honnêtement, je m'en foutais pas mal. C'est ma tête qui a pris un bon gros coup et pas celle de Cléo. Tant mieux d'un certain côté. Même si je déteste cette fille, elle ne mérite pas de finir assommer par un rocher plus gros que moi.

- Je vais préparer le repas.

- Je passe. Je vais me coucher.

- Gabriel !

- Gronde-moi autant que tu veux Jacqueline, mais fais-le vite. Je suis crevé, j'ai mal à la tête comme si j'avais une gueule de bois de lendemain de soirée du 31, mais sans les bénéfices et j'ai gâché mon après-midi à sauver une fille qui ne le méritait probablement pas. Alors la chauffe tu me la passe maintenant ou tu attends que je me sois levé.

Au moins, ça a le mérite de lui en boucher un coin. Suffisamment pour me laisser le temps de monter dans la chambre et de me coucher. Je ne me suis même pas changé. J'enlève juste ma chemise qui a le col plein de sang et la jette en boule dans un coin. J'ai juste envie d'oublier cette journée de merde. Rien ne va dans ce coin paumé. Absolument rien.

J'ai envie de rentrer. Je devrais rentrer. Je n'ai rien à faire ici. Je retournerais à la fac près du centre-ville pour passer mon Master et je retrouverais ainsi ma chambre, ma mère et mes petites habitudes douillettes de citadin moyen. Ouais, je pense que je préparais mon sac quand je me réveillerais. Pas de suite. Je suis incapable de réfléchir et de savoir combien font 1+1.

- Gabriel ?

La douce voix de Basile qui semble chuchoter me tire de mon sommeil quand je le vois assis au bord de mon lit. Je ne l'ai même pas senti. Depuis combien de temps est-il ici ?

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Sa main tendue vient se poser délicatement sur le haut de mon crâne où se trouve le pansement couvrant ma plaie. Je le vois alors faire une grimace. Au même moment, ma main vient trouver la sienne.

- J'ai la tête dure. Ça va aller.

- Même. Je voudrais m'excuser.

- Pourquoi ? Tu n'as rien fait.

- Justement. Je n'ai rien fait. En fait, je ne peux rien faire.

J'ai l'impression que Basile semble s'en vouloir pour une raison qui m'échappe. Il n'est pas fautif. Il n'a rien à voir dans ma bêtise, bien au contraire. C'est moi qui ai été bien trop con pour entrer dans le petit jeu de Cléo et me battre avec elle comme si j'avais quatre ans et que je me trouvais au jardin d'enfants. Basile a essayé de me prévenir. Il m'a conseillé et moi, eh bien moi, dans toute ma splendeur, je ne l'ai pas écouté.

- Ne te rejette pas la faute Basile. Ça ne sert à rien et puis je suis toujours là ! Tu vois ? Je suis toujours là.

- Mais ça a failli...Les médecins ont dit que...

- Ah les médecins ! Qu'ils aillent au diable ! Ils disent toujours n'importe quoi et exagèrent beaucoup de choses. Vraiment, je vais bien, tu n'as pas à t'en faire pour moi. Je suis seulement explosé. Littéralement explosé. T'as déjà eu la gueule de bois Basile ?

- Une fois.

Oh ! Je me demande à quoi ça ressemble Basile avec la gueule de bois. Déjà Basile ivre ça doit être quelque chose, derrière son apparence de petit garçon sage, je suis certain que se cache quelque chose de plus gros.

- Eh bien c'est la même chose, mais sans le fun. Je vais dormir et ça ira mieux.

- Tu as besoin de quelque chose ?

Puis-je abuser ? Vraiment ? Suis-je en position d'abuser ou pas ?

- Non, ça ira. Je te remercie.

- Je peux rester sur le bord de ton lit ?

- Tu sais que c'est un lit une place et que je monopolise déjà quasiment tout l'espace ?

- Je me ferais tout petit.

- T'es bizarre Basile. Tu es sûr que ce n'est pas toi qui t'es cogné la tête ?

Il rit tout doucement comme s'il se retenait de peur de réveiller toute la maison. Tu peux y aller franco coco, à part trois personnes, cette vieille baraque ne compte pas d'autres habitants.

Je referme les yeux en me demandant pourquoi Basile tient tant que ça à rester à côté de moi, mais je ne vais pas m'en plaindre, bien au contraire. C'est mieux que la compagnie de cette stupide peluche hérisson. D'ailleurs...Où est-ce qu'elle ? Il ne manquerait plus que Basile la trouve caché quelque part dans mon lit.

- Tiens, c'est quoi ça ? Une peluche ?

Merde !

- Gabriel, c'est la tienne ?

- Hein ? Non, non. Je n'ai plus l'âge de dormir avec une peluche, voyons ! Tu me prends pour qui ?

- Je me demande à quoi elle ressemble, j'ai du mal à percevoir sa forme.

- C'est un hérisson.

Mais tais-toi bon sang ! C'est dans le coma que tu aurais dû tomber abruti pas dans un ravin.

Je le vois sourire amusé tandis que je tente de rattraper ce qui vient à l'instant de m'échapper.

- J'ai des yeux que tu n'as pas.

- Mais bien sûr. C'est la tienne, n'est-ce pas ?

- Quand bien même ce serait le cas ?

- Simple curiosité.

Mon cul oui ! Je suis certain qu'il va se servir de cette information contre moi tôt ou tard.

- Je trouve ça mignon, s'amuse Basile

Cette peluche, elle est spéciale pour moi. Ce hérisson je l'ai eu deux jours avant que papa ne meure. Je l'ai eu et je ne l'ai plus lâché depuis. Je ne sais pas pourquoi. Quelque part, je crois que la savoir près de moi semble me rassurer d'une certaine manière. M'apaiser. Alors oui, j'ai beau avoir 23 ans piges, je dors encore avec une peluche et alors ?

- Au fond, tu lui ressembles un peu. À ta peluche. Tu es comme un hérisson. Tu sembles inoffensif, mais quand on s'approche de trop près, tu piques. Je trouve que ça te va bien...Le hérisson.

- Je vais prendre ça pour un compliment.

- Quand j'étais petit, j'en avais un. Il venait souvent dans mon jardin et je jouais avec. Comme je ne voyais déjà pas, il me suffisait de tendre mon petit bras pour savoir quand il était à proximité.

- Tu dois avoir de sacrés penchants sado-masochiste pour aimer te faire mal sur un hérisson.

- Disons que c'est ce qui se rapprochait le plus de ce que j'appellerais un ami.

Ça en ai presque triste. Désolant. Quel enfant a pour ami un hérisson ? Pourquoi n'y avait-il pas d'autres enfants dans son entourage ? Que faisait-il de ses journées à part ramper dans son jardin ? Il y a soudainement une vague de questions qui me retournent le cerveau tel un tsunami. J'ai besoin de savoir. De savoir qui est Basile. Quelle est son histoire ? D'où il vient et comment il a fini dans les pieds de mon acerbe grand-mère ?

- Si tu veux, je peux être ton ami, bougonné-je

Je l'entends cette fois. Le rire cristallin de Basile. Je n'entends que ça d'ailleurs. Ça et les battements de mon cœur en fond sonore.

- Va pour l'amitié alors. Mais elle commence étrangement.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Je sais que je te plais.

Et à cet instant, j'oublie que Basile tient ma main. Que son doigt et à hauteur de mon poignet. À cet instant, j'oublie que Basile détient la capacité de lire en moi. Mais lui semble en avoir pleinement conscience tandis qu'il affiche un petit sourire satisfait.

- Et inutile de le nier, j'en suis convaincu. Tu n'es pas très discret quand tu dragues.

- Alors d'une, je ne drague jamais. Et de deux, si ça se trouve, c'est toi qui en pinces pour moi et tu te sers de moi comme alibi. Hein Basile ?

Il marque une pause, mais son sourire, lui, ne disparaît pas.

- Qui sait Gabriel ? La réponse pourrait bien nous surprendre tous les deux.

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