13. Pic-nique et coups bas

Si Cléa repassait en début d'après-midi, cela ne nous laissait pas beaucoup de temps à Basile et moi pour manger et nous préparer et je dois bien avouer que pendant tout le trajet retour, je me suis demandé si Basile est plus short de bain ou petit slip kangoroo.

- Bon, voyons ce que Jacqueline a laissé dans le frigo comme restes. Ce n'est pas tout ça, mais je ne pars pas à la guerre le ventre vide moi, fis-je en ouvrant la porte du réfrigérateur.

- Quelle guerre ? Avec Cléo ? me demande Basile alors assis à la table de la cuisine.

- Cette fille a une case en moins.

- Elle n'est pas méchante pour un sou, tu sais. Tu la connais pas donc tu juges sur ta première rencontre.

- Ne dit-on pas que tout est question de première impression ?

Du moins, c'est dans un monde de jugement que j'ai grandi et évolué. J'ai appris, généralement à mes dépens, que cette fameuse "première impression" comptait énormément. Plus que je ne l'aurai souhaité. Il fallait entrer dans le moule, dans le cadre, pour plaire. Pour se faire accepter. Il fallait se plier aux règles d'un monde déréglé pour avoir sa petite place bien à soi et malheur à celui ou celle qui en sortait. Malheur à celui ou celle qui faisait un doigt à tout ça.

Je m'affaire alors sur le plan de travail de la cuisine pour réchauffer le reste de petits pois carotte qu'a laissé ma grand-mère tandis que Basile semble occupé avec un livre. Un livre en braille.

- Comment tu fais ?

- Pour ? Lire ? J'ai appris, tout simplement. Comme toi.

Plus je regarde Basile et plus je le confonds avec Ben Affleck et DareDevil. Je me demande ce que ça donnerait de le voir en tenue de cuire rouge moulante.

Ouiiii !

- Aïe ! Pu...naise.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu t'es fait mal ?

- Je me suis brûlé, ce n'est rien.

Gaby ! Tu choisis vraiment tes moments pour sortir toi !

- C'est grave ?

- Non, ne t'inquiète pas. Un coup d'eau froide et d'aloe vera puis ça passera. Ça m'apprendra à avoir la tête ailleurs.

Zou ! Zou ! Dehors de ma tête les pensées diverses. On se concentre sur les petits pois ! C'est bien les petits pois. C'est comme des petites boules.

Miam ! Miam !

Toi aussi va-t'en ! Laisse-moi tranquille là. Je ne t'ai pas demandé de venir et je me porte bien mieux quand tu n'es pas là.

Je mets la table pour me concentrer sur autre chose que les petits pois et sers Basile en lui mettant la fourchette dans la main pour l'aider.

Après avoir fini, je le regarde d'un œil monter à l'étage et je le soupçonne d'aller se préparer pendant que je fais la vaisselle.

Plus vite ! Frotte-moi ça ! Je vais rater le spectacle ! Je vais tout rater ! Stupide Gabriel joufflu !

- Mais fous-moi la paix bordel de merde !

- Tout va bien ?

- Oui, je me parlais à moi-même...

- Ok...ça t'arrive souvent ce genre de chose ? Ça surprend un peu quand même.

- Tu n'imagines pas.

Il va sérieusement falloir que je discute avec mon for intérieur, les yeux dans les yeux.

Quand je monte à mon tour, je le vois tranquillement allongé sur son lit tandis que j'attrape mon short dans le placard.

- Tu es déjà prêt ? demandé-je avec une légère lueur d'espoir.

- Je n'allais quand même pas t'attendre. Tu sais, à mon âge, je suis encore capable de m'habiller tout seul.

- Non, mais sait-on jamais...

- Je te trouve bien attentionné depuis ce matin, me dit-il sur un petit ton amusé et suspicieux

- Uniquement parce que je n'ai pas envie d'avoir Jacqueline sur le dos. Ne va pas te faire d'idées saugrenues !

- Mais bien sûr. Je te l'ai dit hier, mais tu ne peux pas me mentir.

- Parfait, viens me tester si tu veux.

Pur bluff. Je sais que si je lui propose de venir prendre mon pouls, il ne se lèvera certainement pas. Il ne me prend pas au sérieux de toute façon.

Je le regarde alors se redresser sur le lit puis se lever carrément. Merde.

- Ah ! Ah ! Je le savais !

- Quoi ? Quoi ?

- Tu as reculé !

- Pas du tout.

- Le parquet a craqué, je l'ai entendu. Tu as reculé. Trouillard.

- Tu sais des fois le parquet il craque tout seul, hein. Faut dire que c'est une vieille bâtisse.

- Mais bien sûr. Allez, habille-toi donc, Don Juan.

J'aurai essayé.

On se retrouve alors tous les deux, l'un à côté de l'autre, dans la cour devant la maison tandis qu'une petite camionnette arrive dans un nuage de poussière et je soupçonne que ce soit notre transport du jour.

- Les voilà.

Elle s'arrête devant nous et la tête de Cléa apparaît par la fenêtre arrière.

- Alors ? Vous montez ?

Deux grands gaillards et une petite ado tassés à l'arrière valent tous les sketchs du monde tandis que mon regard croise celui de Cléo dans le rétroviseur.

- C'est bon tonton, vas-y !

- Vous êtes attachés ?

- Euh...

Il y a des ceintures au moins dans cette épave ? Je cherche vers Basile et n'en voit aucune tandis que Cléa me fait mine de ne rien dire. Parfait. Si on a un accident de la route, on finira tous en crêpe sur le pare-brise.

- Je vous dépose à la rivière les enfants, c'est bon pour vous ?

- Oui, oui. Merci Monsieur de nous prendre au passage.

- Oh tu peux m'appeler JP ! Je préfère.

On roule pendant une vingtaine de minutes avant d'arriver sur les bords de la rivière tandis qu'à peine descendus de la voiture, cette dernière repart. Colis largué.

- Nous y voilà !

À peine ai-je fait un pas devant moi pour m'approcher que je sens comme un croche-pied et me voilà par terre broutant l'herbe. Cléo me passe alors à côté me riant.

- Eh oui, ici ce n'est pas la ville, il faut faire attention où l'on met les pieds.

Sale peste. Je suis sûr que c'est de son fait.

- Je vais la noyer.

- Laisse-la, me souffle Basile.

- C'est la guerre. Je vais lui faire avaler les pissenlits par la racine à la fermière.

Pas de soucis ma cocotte, tu veux jouer, je suis ton homme.

Cléa installe le pic-nique tandis que Basile se pose sous un arbre, à l'ombre, lunettes de soleil sur le nez. Il a presque un côté canon avec cette chemise à demi ouverte et ce petit short bleu turquoise. Pendant ce temps, je suis de corvée de remplissage des gourdes d'eau avec Cléo qui me fusille du regard sans me lâcher.

- T'as un souci, sorcière ?

- Va falloir que tu fasses attention au courant, il est assez violent dans le coin et ça serait dommage que tu te fasses emporter.

- Que t'es mignonne ! T'inquiètes bichette, je sais nager.

- On verra ça. Il y a déjà eu des incidents dans le coin tu sais. Alors, sois prudent.

Elle me menace là, non ? Pour moi c'est tout comme en tout cas. Elle devrait s'étouffer avec ses carottes la lapine au lieu de me prendre le chou.

Je la vois retourner auprès de sa soeur tandis que je m'en vais voir Basile qui n'a pas bougé d'un pouce. Toujours au pied de son arbre.

- Quelle peste.

- Qu'est-ce qu'elle t'a fait encore ?

- Rien. C'est moi qui vais lui faire un sort à cette broûteuse d'herbe. Il en va pour ma vie.

- Tu sais, tu pourrais aussi t'excuser pour ton comportement et tout rentrerait dans l'ordre.

- Et puis quoi encore ? Je ne m'excuse pas ! Jamais !

- Pourtant, tu l'as bien fait avec moi.

- Toi, t'es différent.

Toi t'es mon petit dessert. Ma crème chantilly. Ma cerise sur le gâteau. Mon coulis au caramel, mon...

Oh Gaby ! On se calme.

- Je vais prendre ça comme un compliment. Pourtant, je ne suis pas si différent de Cléo. Peut-être plus compréhensif, mais il n'en reste pas moins que si tu as été odieux avec elle, elle mérite des excuses. Tu ne crois pas ? Et puis peut-être qu'elle s'excusera à son tour, qui sait ?

- T'as de la chance, c'est mon jour de bonté. Je vais aller la voir.

- Tiens-moi au courant.

Prenant mon courage à deux mains, je me dirige vers les filles quand les deux lèvent au même moment les yeux vers moi.

- Qu'est-ce que tu veux ? m'agresse Cléo

- Te parler. Viens avec moi.

Je la prends par le bras et l'entraîne légèrement plus loin. Je n'ai pas envie que tout le monde profite de la scène non plus.

- Basile m'a dit d'être plus ouvert alors...Voilà : Je te pardonne d'avoir été d'une insolence incroyable avec le client que j'ai été. Affaire conclue.

- Je te demande pardon ?

- C'est bien toi qui m'a balancé ton truc à la figure.

- Je n'y crois pas. Tu te crois pour le centre de l'univers, hein ?

- Bah, théoriquement, de mon propre univers, oui, c'est déjà pas mal.

- Tu t'es comporté comme un gros connard et je dois me faire pardonner de t'avoir remis à ta place ? Tu rêves !

- Écoute, si je n'avais pas été agressé par une folle psychopathe qui cherchait absolument à savoir si j'allais faire pipi ou caca, ça se serait beaucoup mieux passé !

- J'essayais d'être serviable !

- Ah, tu essayais ? Qu'est-ce que ça doit être quand tu réussis !

Respire. Inspire. Expire. Respire. Ça va bien se passer. Cette discussion aboutira forcément sur ses excuses les plus cordiales et sincères.

- Je crois qu'au fond, t'as juste un souci d'égo Gabriel le gros costaud.

- Tu peux parler Cléo : "je suce pour 3 euros".

- Quoi ?!

- Faut calmer un peu ta jupette hein. Tous les hommes du coin ne sont pas là pour s'envoyer en l'air avec la petite serveuse mignonne du bar/café.

Une baffe s'en va trouver ma joue droite tandis qu'elle détourne les talons. Inconsciemment, mon pied se lève et vient trouver sa jambe tandis qu'elle chute de façon lamentable.

- Je te le rends ton croche-pied ! Sorcière !

- Tu l'auras cherché.

Elle me tacle les jambes et nous voilà tous les deux dans l'herbe, à rouler, à nous chamailler tandis que Cléa arrive en trombe en nous voyant.

- Arrêtez tous les deux ! Ça suffit !

- Je vais t'arracher un œil et te l'enfoncer dans tes trous de nez !

- Mais espèce de malade ! Arrête sale folle !

- Arrêtez de vous battre ! Allez !

Le truc dans les chamailleries, c'est que l'on ne se rend jamais compte de rien. On oublie, le temps d'une bagarre, ce qu'il y autour de nous.

On oublie qu'on roule dans l'herbe. Encore et encore. On oublie qu'il y a les rochers de la rivière au bout de la pente sur laquelle on glisse.

- Attention !

On oublie, très vite, qu'un petit incident peut rapidement devenir un drame.

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