Chapitre 44
L'aube brumeuse du cinquième jour d'occupation poignait à peine, dévoilant un ciel morne. Iseult s'était levée en même temps qu'Esther. Depuis que Liv ne partageait plus la chambre de son grand-père, Iseult avait le droit de dormir dans le lit. Quand elle avait demandé à l'Ancien si elle pouvait le partager avec la nonne, le vieux Danois bougonna et depuis il lui parlait constamment en narrois, contrairement à Esther, à qui il parlait en saxon.
Esther fila très vite pour aller à la prière avec les deux cousines du roi de Mercie, alors Iseult se chargea d'aider l'Ancien à se préparer, puis ils descendirent au rez-de-chaussée et se séparèrent dans le hall : l'Ancien fila dans la grande salle pour y attendre son repas, tandis qu'Iseult alla voir la jeune fille malade, Cassy.
Son père l'avait veillée toute la nuit, lui faisant prendre le remède que la Gwrach lui avait préparé, mais selon lui la fièvre n'avait pas baissé, ce que confirma Iseult après avoir examiné la jeune fille. Elle lui remit un linge imbibé d'eau fraîche sur le front et sortit après s'être assurée qu'Horace ne manquait de rien et lui promettant un meilleur remède.
Aux cuisines, Iseult s'activait pour préparer un fortifiant pour les deux prisonnières de sang royal. Joar arriva et étudia brièvement les femmes qui fourmillaient là à préparer pain et bouillon pour le repas du matin, puis il riva ses yeux bleus dans ceux d'Iseult et s'approcha d'elle tout en hochant de la tête, acceptant les salutations des saxonnes qui travaillaient ici, contre leur volonté.
Etonnamment, la présence de Joar ne les angoissait plus, car, contrairement aux autres païens, le jarl Danois leur parlait sans brusquerie et paraissait plus tolérant, tout comme il n'avait contraint aucune d'entre elles à le satisfaire durant la nuit, car elles l'avaient toutes compris : il n'avait d'yeux que pour sa Gwrach.
Joar passa derrière elle pour récupérer une pomme, lui embrassant la tempe au passage, puis il étudia ce qu'elle préparait.
— Comment va Cassy ? lui demanda-t-il alors qu'elle pillait ses herbes odorantes dans un mortier.
— Vous connaissez le nom de ma patiente ? s'étonna-t-elle, en le dévisageant de surprise et consciente qu'ils étaient écoutés par les Saxonnes qui faisaient mines de rien.
— Tu l'as évoqué hier, se justifia-t-il en mettant un pied sur le banc pour s'accouder à sa cuisse et manger son fruit.
— C'est vrai, réalisa-t-elle, étonnée qu'il l'ait écoutée. La fièvre persiste et elle a de la toux depuis cette nuit, ajouta-t-elle concentrée sur sa préparation.
— C'est pour elle ? s'intéressa-t-il en croquant une nouvelle bouchée.
— Je prépare le fortifiant, objecta-t-elle. Pour le remède de Cassy, il me faudrait de la mauve et de l'écorce de sureau noir.
— Tu en as ici ?
— Non, je vais devoir sortir de la forteresse et aller voir en forêt si j'en trouve, avoua-t-elle.
— Je demanderai à Sven de t'accompagner, répondit-il inquiet à l'idée qu'elle sorte.
Iseult opina, l'air pensif.
— Tu penses qu'elle ne survivra pas, lui déclara-t-il, l'air grave.
— Pas si j'arrive à faire baisser la fièvre, avoua Iseult.
— Est-ce que c'est contagieux ? demanda-t-il, le visage fermé par cette idée.
— Non, objecta Iseult, surprise par ses questions.
— Alors pourquoi sembles-tu si soucieuse ? insista-t-il.
Iseult pinça les lèvres, hésitant à répondre, car elle se savait écoutée par les Saxonnes qui chuchotaient et riaient pourtant entre elles.
— Je pense que votre grand-père m'en veut, mais je ne sais pas pour quoi, soupira-t-elle.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Depuis que je partage sa chambre, il ne me parle qu'en narrois et me jette des regards furieux parce que je ne comprends pas, alors qu'avec Esther il parle saxon.
— Je lui parlerai, éluda Joar qui n'avait pas évoqué avec elle leur mariage et ses conséquences.
— Je préférerais que vous ne vous en mêliez pas, lui chuchota-t-elle.
— Pourquoi ? s'amusa-t-il, en répondant sur le même ton.
— Je ne veux pas que votre grand-père pense que je me plains de lui, expliqua-t-elle.
— Mais ce n'est pas ce que tu fais ? la taquina-t-il.
Iseult ouvrit la bouche d'indignation :
— Le fortifiant est prêt, éluda-t-elle avant de verser le jus dans deux coupelles.
— Je m'en occupe et je t'envoie Sven, lui affirma-t-il avant de s'en saisir. Sois prudente, lui déclara-t-il avant de lui embrasser la tempe et de partir pour la geôle des cousines du roi.
*
Du côté de Siger, il s'était levé bien avant l'aube pour prendre son tour de garde, ennuyeux à mourir et durant lequel il avait eu le temps de repenser au passage de Liv dans sa chambre. La fille de Joar le Valeureux était bien plus attirante que les esclaves de la cité et les sensations qu'elle lui avait procurées l'avaient comblé au-delà de ses attentes, mais cela ne pouvait pas se reproduire, il le savait. Il n'avait jamais été homme à vouloir se marier ; même avec Freyja, son amour d'enfance, car il ne se sentait jamais plus vivant qu'entre voyages et conquêtes.
Siger gagna le Skali pour manger un morceau, il voulait s'attabler seul, mais il repéra Eirik l'Ancien, installé avec quelques Danois.
— Vous êtes matinal, lui déclara-t-il en s'approchant de sa table pour le saluer.
— Mes vieux os usés fourmillent d'impatience et ne me laissent que peu dormir, répondit l'Ancien. Mais prends place, Siger, installe-toi et parle-moi de nos hôtes, lui suggéra-t-il.
Siger étudia les guerriers Danois qui se levèrent pour les laisser discuter, aussi il dut s'asseoir pour ne pas insulter l'Ancien.
— La vie en captivité de ces femelles ne vaut pas un grand discours, soupira Siger.
— Cela fait cinq jours et il n'y a pas l'ombre d'une délégation, Siger, clama l'Ancien.
— Ils viendront, affirma Siger. Que ce soit le capitaine de cette forteresse ou le roi de Mercie, l'un d'eux viendra !
— Et si toi et ton frère aviez eu tort ? l'interrogea l'Ancien.
— Si demain, il ne se passe rien, répondit Storm en se plantant devant leur table. Alors, nous brûlerons cette forteresse et ses habitants, puis nous prendrons chacun une princesse que l'on revendra au mieux disant, ajouta-t-il en s'asseyant à côté de son frère. Qu'elles finissent putain ou esclave, cela m'importera peu du moment qu'on m'en offre un prix correct.
— Ce n'était pas ce qui était convenu, soupira l'Ancien.
— Attendons encore un jour ou deux, tempéra Siger en apercevant Guthred marcher vers eux.
Le Danois s'installa à leur table après les avoir salués :
— Les troupes commencent à manquer d'activités, se plaignit-il en acceptant le repas distribué par une esclave.
— S'ils ne veulent pas participer aux affrontements proposés par Joar, qu'ils aillent récolter les cultures qui entourent la cité, proposa l'Ancien.
— Nous ne sommes pas des fermiers, bougonna Guthred.
— Pourtant, ça les occupera, feula Storm en lui jetant un air sévère.
— Et ça nous fera plus de nourriture à nous partager, ajouta Siger.
— Je m'en occuperai, concéda Guthred, peu convaincu.
*
Dans sa chambre, endormie sur le ventre, Liv se réveilla en entendant des bruits de pas dans le couloir. Elle se souvint qu'elle n'était plus seule dans la maison et qu'en rentrant la veille, elle avait vérifié que les trois Norvégiennes n'avaient pas fouillé dans ses affaires et qu'elles n'avaient rien volé.
Elle roula sur le dos en repensant à son père, car elle avait rêvé de lui, et ce, malgré le fait qu'elle ait succombé à l'attirance qu'elle éprouvait pour l'homme du Nord. Elle comprit que sans la mort de son père, jamais elle n'aurait renoncé à sa virginité et elle avait l'impression d'avoir trahi la confiance que Joar le Valeureux avait placée en elle.
Liv entendit des voix au rez-de-chaussée et reconnut celle de son frère, puis elle l'entendit monter les marches en bois les faisant craquer, alors elle se leva en chemise, passa son manteau pour ne pas avoir froid et alla lui ouvrir dès qu'il frappa à sa porte :
— Que veux-tu ? lui demanda-t-elle, réprimant la honte de lui taire la vérité sur elle et Siger.
— J'ignorais que tu vivais avec les guerrières Norvégiennes, lui déclara-t-il, l'air surpris par son choix.
— Elles se sont imposées hier soir, soupira-t-elle.
— Elles sont aussi sociables que toi, ça devrait bien se passer entre vous, ironisa-t-il.
— Il est trop tôt pour plaisanter sur ce sujet, bougonna-t-elle, alors qu'elle acceptait mal le choix des Norvégiennes.
— Toujours fâchée ? lui demanda-t-il.
— J'ai mal dormi, avoua-t-elle.
— Eh bien, ce que j'ai à te dire te fera sans doute beaucoup de bien, sourit-il.
— La délégation est là ? se réjouit-elle, ayant hâte de se vêtir pour y participer.
— Non, soupira Joar.
— Eh bien, parle, souffla-t-elle, déçue.
— J'ai fait ajouter deux baquets pour les bains, lui expliqua-t-il.
— Avec de l'eau chaude, se réjouit-elle.
— Oui, s'amusa-t-il.
— Je vais en profiter dès ce matin, approuva-t-elle.
— Je savais que tu apprécierais, sourit-il.
Il opina et fit volte-face :
— Joar, attends-moi, j'aimerais te parler !
— Fais vite, concéda-t-il.
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