Prologue
Partis tard après la procession à l'arbre aux prières, l'horizon se teintait de rouge et d'orange, alors que le soleil couchant semblait s'enfoncer doucement dans la mer.
Pour Aliénor, debout, face à la proue, le moment était magique, d'autant plus que le vent, et son air iodé, leur était favorable et gonflait la voilure du drakkar, ce qui donnait l'impression que le vaisseau volait plus qu'il ne glissait sur l'eau, tandis que ses cheveux bruns coupés au ras de la nuque, dernier vestige de sa vie d'esclave, virevoltaient au gré de la brise.
Dans cette lueur crépusculaire, Aliénor se tourna brièvement en direction d'Eirik, qui discutait avec Germund et Hakon, deux guerriers âgés mais loin d'être inutiles. C'est le cœur débordant d'amour pour son mari, au crâne rasé sur les côtés et orné d'une large et longue natte pour maintenir ses cheveux blond foncé, qu'elle reprit sa contemplation de l'horizon avec l'agréable sensation d'être différente, car l'arbre aux prières avait apaisé son âme et à présent, grâce à la mer, un sentiment grisant de liberté vibrait dans tout son corps.
La guérisseuse, petite brune aux yeux noisette, comprit sans peine et partagea même le besoin des guerriers Danois de partir en mer, même si d'ordinaire, lorsque son mari partait avec ses frères d'armes, ce n'était pas pour un voyage d'agrément... Cet aspect-là, elle l'avait vécu aussi, mais du côté opposé aux guerriers Danois et l'enfer du moment avait été terrible... Fait de feu et de sang.
Plus tard dans la nuit, la clémence des éléments leur offrit encore une fois la splendeur de l'immense voûte céleste scintillante. Eirik assis près de sa femme, l'enlaça et resserra son étreinte, veillant à ce qu'elle n'ait pas froid.
Il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter pour elle, car malgré ses dires rassurants sur son état de santé, il était incapable d'oublier la vision d'elle inconsciente chez Frode, moment douloureux où il avait craint d'assister impuissant à sa mort.
— Merci, lui souffla-t-elle en français, le visage blotti dans le creux de son cou. Ce voyage m'a fait énormément de bien, ajouta-t-elle. Tu as raison, on revient de cet endroit sacré purifié.
— Tant mieux, se rassura-t-il en lui caressant l'épaule.
— J'ai tout aimé, s'enthousiasma-t-elle en s'écartant pour le dévisager. Tant le lieu magnifique que le cérémonial des Adoratrices, vous avez de belles coutumes, se réjouit-elle.
— Certains rites anciens sont plus difficiles, soupira-t-il en levant les yeux vers le firmament.
— Difficiles comment ? s'étonna-t-elle.
Eirik soupira, agacé contre lui-même d'avoir lancé le sujet :
— Nous en reparlerons plus tard, répondit-il.
Germund, qui ne parlait pas la langue d'Aliénor, les interrompit en leur tendant un sac de biscuits secs. Malgré ses cheveux courts grisonnants et sa carrure moyenne pour la norme du clan, Germund affichait toujours un regard aiguisé sous des sourcils épais, même si l'un était barré d'une longue cicatrice qui courait du front jusqu'à l'orbite inférieur de l'œil, cette blessure aurait dû lui couter son œil, mais selon Eirik, Germund, fils d'une devineresse (morte à un âge très avancé), avait toujours été chanceux, que ce soit aux jeux comme à la guerre.
La jeune femme qui faisait de plus en plus de progrès le remercia en danois, ce qui amusa l'intéressé. Elle reprit en français pour parler à son mari, quand Germund s'éloigna un peu :
— Je me sens bien mieux, je vais pouvoir commencer à soigner le clan de Frode et à enseigner aux femmes qu'il a libérées.
— Tant que nous sommes d'accord sur le fait que tu n'iras jamais seule là-bas et que tu n'y resteras pas plus d'une demi-journée, j'y suis favorable, affirma-t-il.
— Tout ira bien, d'après Frode, Ketil est parti en mer, soupira-t-elle. Ce qui m'inquiète en revanche, c'est que tu vas bientôt repartir, ajouta-t-elle en se tournant pour mieux lui faire face.
— Nous devons profiter de l'été pour ramener le plus de vivres possible, nos hivers sont rudes, expliqua-t-il.
— Tu m'emmèneras un jour ? demanda-t-elle.
— Oh que non, s'étrangla-t-il de surprise.
— Mais...
— Tu formes Eldrid et Erma, alors il est hors de question de te mettre en danger, insista-t-il l'air sévère.
— Alors je t'interdis de faire de moi une veuve, répliqua-t-elle, l'air tout aussi dur.
En guise de réponse, Eirik plaqua ses lèvres sur les siennes avec ferveur, puis il lui embrassa le creux de l'oreille :
— Revenir à toi est ma seule volonté, lui souffla-t-il.
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