Chapitre 5
Au crépuscule, les villageois délaissèrent leur activité diurne pour prendre leur repas au Skali. Dans la grande salle, les discussions aminées tournèrent rapidement autour des anecdotes martiales des uns et des autres.
En verve, Eirik délecta ses compagnons de tablée de récits brutaux qui les firent rires, à l'exception d'Aliénor qui s'assombrit et l'écouta d'une oreille distraite pour mieux se perdre dans le souvenir de son unique expérience d'un de ces raids Danois.
Quand un peu plus tard, Aliénor et Eirik quittèrent le Skali, pas un brin d'air ne vint soulager la chaleur nocturne inhabituelle qui s'était également invitée dans la grande salle.
Le couple marcha côte à côte, s'éloignant lentement des rires et des chants étouffés du Skali. Silencieuse depuis le repas, Aliénor leva les yeux pour observer la voûte céleste, car le firmament s'était couvert de son voile noir et la lune, pleine et brillante, était ornée d'un large halo.
Alors qu'Aliénor marquait un temps d'arrêt pour contempler le ciel, Eirik eut une nouvelle fois le sentiment d'être épié. Il tourna le regard en direction d'une petite allée, nichée entre deux bâtisses, et plissa les yeux croyant apercevoir une silhouette plus noire que la nuit elle-même.
— C'est beau, souffla-t-elle alors qu'Eirik portait la main à son scramasaxe (long couteau).
— Il est tard, rentrons, répliqua-t-il, en comprenant que son esprit lui avait joué un tour.
Eirik lui prit la main, ignorant le petit soupir d'exaspération, presque un grognement, qu'elle poussa.
« Le jour du départ approche à grand pas, je commence à être aux aguets » pensa-t-il pour donner un sens à ce qu'il croyait avoir vu.
Comprenant qu'il entrait instinctivement dans la première phase de l'expédition, Eirik ne se soucia pas de l'état d'âme d'Aliénor jusqu'à ce qu'ils soient rentrés chez eux.
La sentant peu incline à vouloir faire l'amour, Eirik se déshabilla et enfila son pantalon de toile pour se mettre au lit. Accoudé, il observa Aliénor enfiler sa chemise de nuit :
— Tu es bien trop silencieuse, soupira-t-il. Qu'est-ce qui t'arrive ? demanda-t-il.
— Un détail m'échappe, répliqua-t-elle en avançant vers le lit.
— Lequel ? sourit-il alors qu'elle écartait les draps pour s'y glisser.
— Pourquoi vous parlez tous de vouloir mourir au combat ? clama-t-elle en roulant sur le flanc pour lui faire face.
— Seuls les plus valeureux combattants, qui meurent durant la bataille, reçoivent l'honneur de franchir les portes du palais du Walhalla, expliqua-t-il.
— C'est votre Paradis ?
— Pas exactement, sourit-il. Le Walhalla est un palais situé au plein cœur d'Asgard, le royaume des dieux. Les Walkyries sont chargées de choisir parmi les plus braves des guerriers morts au combat, puis elles les conduisent au Walhalla, où Odin lui-même se charge de préparer les guerriers pour le Ragnarök.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Ce nom évoque une prophétie, expliqua-t-il.
— Mais encore, insista-t-elle.
— Après un hiver de trois ans sans soleil, commença Eirik. S'ensuivra une grande bataille où il est dit que la plupart des dieux et la quasi-totalité des humains mourront. La mort des dieux entraînera un déséquilibre : les flots submergeront le monde et ce qui en restera sera détruit par les flammes.
— Ça équivaut à l'apocalypse selon ma religion, affirma-t-elle, soucieuse.
— Selon ta croyance, la fin des temps ne peut être arrêtée, selon la mienne, les guerriers qui entrent au Walhalla auront un rôle à jouer pour permettre à Odin de contrecarrer la prophétie et gagner la bataille finale.
Aliénor se redressa pour s'asseoir dans le lit, les sourcils froncés :
— Et toi, tu veux mourir au combat et entrer au palais du Walhalla ? lui demanda-t-elle.
— Seuls les plus braves auront cet honneur, répliqua-t-il, cherchant à comprendre son ire.
— Donc quand tu me dis que ta seule volonté est de revenir vers moi, tu mens ! clama-t-elle.
Accoudé sur le flanc, Eirik la dévisagea en lui prenant la main pour lui embrasser la paume :
— À l'issue de la dernière bataille, il faudra repeupler le monde, affirma-t-il en lui adressant un sourire carnassier.
— Pas ce soir, feula-t-elle en se laissant tomber sur le dos.
— Je t'aime, Aliénor, tenta-t-il en lui posant la main sur le ventre.
— Je me lève tôt, répondit-elle en se tournant sur le côté pour lui tourner le dos.
— Je sais et tu pars pratiquement deux jours, insista-t-il en se collant à elle.
— Je n'ai pas envie, Eirik ! affirma-t-elle.
Il soupira et s'éloigna d'elle pour s'allonger sur le dos :
— Bonne nuit, conclut-il.
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