Chapitre 37
Dans le courant de l'après-midi du jour suivant, pour assister au banquet du soir, Frode n'arriva pas seul au village. Aussi, la présence de Ketil énerva profondément Eirik, même si le fils du jarl était accompagné par Agathe et qu'il semblait -à sa manière- attentif à ce qu'elle se sente à l'aise.
Quand le crépuscule s'amorça à l'horizon, il se mit à neiger à gros flocons tandis que l'on cuisinait à la broche les offrandes animales tuées la veille, et qu'au Skali, Aslak, Frode et Sverre s'entretenaient sur les raids menés durant l'été. Malheureusement, la succession des indésirables se poursuivit, car Germund vint prévenir Aslak que Lennart arrivait par la mer et qu'il était accompagné par un moine en plus de son équipage.
Confiant, Lennart franchit le seuil du Skali en étudiant les préparatifs, mais son air était déterminé, à la limite de l'arrogance, surtout quand il étudia la table des jarls qui s'étaient tus à son entrée.
— Autant de jarls réunis pour la naissance d'un héritier, s'étonna-t-il.
— Je ne me rappelle pas t'avoir convié, répliqua Aslak quand Lennart se planta devant sa table.
— Tu ne l'as pas fait, confirma Lennart en affichant un sourire carnassier. Mais je ne suis pas ici pour réparer cet oubli, ironisa-t-il.
— Toujours la même grande gueule, grogna Sverre, accoudé à la table.
— Et j'ai aussi une grande et grosse queue, répliqua Lennart, amusé, en dévisageant la nouvelle épouse du vieux jarl.
— Ravale ta vantardise, soupira Frode, cherchant à tempérer les esprits.
— Qu'est-ce que tu veux, Lennart ? ajouta Aslak en soutenant son regard aiguisé.
— Je viens chercher ce qui m'appartient de droit, expliqua-t-il en faisant signe d'avancer au moine, d'origine Rus.
Celui-ci sortit un parchemin de sa poche intérieure de son épais manteau et le tendit à Aslak, qui brisa le sceau pour en faire la lecture. Le contrat était rédigé en Franc et en norrois (langue scandinave) et en bas était apposé les signatures du prénommé Edmond, frère d'Aliénor ; celle du moine et celle de Lennart.
— Et alors ? sourit Aslak en soutenant le regard froid de Lennart.
— Selon les clauses en vigueur, le frère d'Aliénor a fait de moi son futur et légitime époux, expliqua Lennart.
Aslak esquissa un sourire avant de rire ouvertement du jarl :
— Tu oses venir sur mes terres pour tenter de m'imposer des lois d'un pays dont je me fous royalement, s'esclaffa-t-il.
— Selon le peuple de votre guérisseuse, intervient le moine. Les femmes vivent sous l'autorité de leurs proches parents mâles, puis de leur époux. Le dénommé Edmond m'a fait témoin et rédacteur de ce contrat, qui stipule qu'il offre en mariage sa sœur, Aliénor.
— Et où est-il, ce prétendu frère ? demanda Aslak.
— Aucune idée, répliqua Lennart en plissant le regard.
À la façon dont les jarls se jaugeaient, Aslak sut qu'Eldrid avait raison quand elle affirmait que Lennart était responsable de l'attaque du village.
— Quand as-tu rencontré ce soi-disant frère ? ajouta Frode.
— Quand nous étions en raid, dans le village malade, répondit Lennart. Edmond était à la recherche de sa sœur enlevée par des Danois. En échange d'information sur le clan qui était susceptible d'avoir attaqué son village, il m'a proposé ce contrat et me vantant les qualités de sa ravissante sœur.
— Et tu as accepté ? s'étonna Sverre. Ça ne te ressemble pas, grogna-t-il.
— Je l'ai fait pour m'amuser et l'ai envoyé par mégarde chez les Rus, clama-t-il. Après mes hommes sont tombés malades et j'ai pu constater par moi-même la valeur marchande de votre guérisseuse.
— Ça remonte à la mi-été, feula Frode. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de faire valoir ton soi-disant accord ?
— Je m'étais montré négligent face à ce contrat, alors il m'a fallu du temps pour retrouver le moine et son précieux document, affirma Lennart.
Aliénor et Eirik qui étaient entrés avec d'autres curieux à l'annonce de la venue de Lennart, se dévisagèrent, cachés parmi la foule :
« Fuyons ! » lui chuchota-t-elle.
« Non » refusa-t-il, conscient que le moment annoncé par Toki, à la mi-automne, était sur le point de se produire.
— Le problème reste entier, affirma Aslak. Les lois de ce peuple ne s'appliquent pas ici, clama-t-il en jetant le parchemin aux pieds de Lennart.
Lennart jubilait intérieurement : il savait qu'Edmond avait acheté un équipage de Rus pour attaquer le clan d'Aslak, puisqu'il avait lui-même financé l'expédition, après avoir eu la preuve du talent de guérison d'Aliénor. En faisant ça, si leur raid avait fonctionné il n'aurait rien resté du clan d'Aslak et il aurait pu obtenir Aliénor, tandis que les Rus auraient gardé les femmes enceintes, selon les accords.
En cas d'échec, comme c'était le cas, en embauchant des Rus, Lennart s'était assuré que les autres clans Rus entreraient en conflit avec celui d'Aslak, en apprenant leur mort, mais Aslak avait réussi à faire disparaître les corps. Il lui restait donc l'ultime possibilité de faire jouer ce ridicule contrat pour exacerber les querelles entre clans, si l'accord n'était pas tenu, une guerre mettre Aslak et les siens à genoux.
— Je suis témoin des conditions de cet acte, objecta le moine Rus. Légalement, cette femme lui appartient et je suis ici pour faire respecter cet accord, insista-t-il.
— Tu n'es qu'un moine, ricana Sverre.
— C'est ma femme, grogna Eirik qui bouillonnait de rage et de folie meurtrière. Et tant que je vivrai, elle restera à mes côtés ! précisa-t-il.
— Alors qu'il en soit ainsi, clama Aslak. Ton guerrier contre le mien ! précisa-t-il à Lennart.
— Quoi ? hoqueta Aliénor.
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