Chapitre 31

Les petits navires des défunts furent embrasés au cœur de la nuit, sous un firmament scintillant, tandis que la brise charriait les petits vaisseaux, les emportant dans le sillage des bateaux en flamme.

Le clan au complet observa cette ultime traversée et quand les morts disparurent à l'horizon, ils retournèrent au Skali pour une dernière célébration, puis la salle commune se vida peu à peu, permettant aux familles de se retrouver dans l'intimité de leur foyer.

Comme à l'accoutumée, l'aube fut célébrée par le chant de la basse-cour et des oiseaux. Tandis que la lueur crépusculaire du soleil, étirant doucement ses rayons à l'horizon, offrait une agréable pénombre à la masure, elle tira Aliénor de son profond sommeil. Groggy par le manque de repos et pas totalement réveillée, elle constata qu'elle avait la tête sur le ventre d'Eirik, qui dormait presque assis, adossé à l'oreiller, sans doute à cause de la douleur dans son dos.

Elle le regarda dormir, amoureuse comme jamais, car même dans son sommeil il rayonnait de force. La jeune femme éprouva le besoin d'être forte pour lui, pour qu'il n'ait plus à s'inquiéter pour elle. Elle voulait être forte pour lui, pour rester auprès de lui, sans qu'il n'ait à redouter qu'elle se sente diminuée par les agressions successives, qu'elle avait vécues.

Consciente qu'à l'extérieur, la vie diurne reprenait son cours, Aliénor se blottit contre son torse bandé pour attendre qu'Eirik se réveille, et savoura la quiétude de leur foyer. Soulagée de l'avoir retrouvé, elle posa une main sur le cœur du Danois. Le sentant battre sous sa paume, elle ferma les yeux pour puiser un peu de sa puissance et de son courage.


Dans son sommeil perturbé par une fièvre naissante, les images s'entremêlaient mais ne collaient pas entre elles, car Eirik était à nouveau avec la danseuse à la peau d'ébène, prêt à céder à sa pulsion, sauf qu'Aliénor était là aussi.

Ensanglantée, peinant à marcher, elle s'appuyait contre le mur tout en le fixant, les larmes aux yeux. À ses pieds gisaient deux cadavres, ceux qu'il avait vus dans la maison d'Adi, l'un étant le demi-frère d'Aliénor, l'autre un Rus, salement poignardé à la gorge et le sexe à l'air.

La bouffée de rage qu'il avait éprouvée contre ces hommes dans la réalité, lui donnant envie de mutiler leur cadavre, était cette fois dirigée contre lui-même, car il savait qu'il devait rejoindre Aliénor, mais il restait assis.

Son attention se tourna une fois encore vers la danseuse qui se frottait contre son sexe en érection. Alors qu'il la tenait par les hanches pour accompagner ses va-et-vient érotiques, il sentit dans sa paume le couteau de cou qu'il avait offert à Aliénor. Elle s'en était servi contre le Rus, laissant l'arme plantée dans son agresseur.

Eirik l'avait lui-même retiré avant de faire sortir les cadavres de la maison d'Adi, sans dégradation aucune. En rendant le couteau à sa propriétaire, Aliénor avait baissé les yeux, gênée d'apprendre qu'il avait vu ce qui restait du moment épouvantable qu'elle avait vécu, et comme dans la réalité, son cœur se serra et il eut envie de la prendre dans ses bras. Pour ça, il devait repousser l'esclave sexuelle, mais la douleur rayonna dans son dos, comme s'il venait d'être cloué au mur.

À nouveau, la danseuse attira son attention, lui faisant oublier la souffrance en effleurant ses lèvres des siennes, c'est alors que les murs de l'auberge s'effondrèrent autour d'eux, faisant disparaître la foule pour mieux révéler la proximité d'une falaise, tandis que la musique et le capharnaüm des voix se mêlaient au souffle du vent.

Quand Eirik embrassa la danseuse, Aliénor toujours spectatrice ensanglantée se retourna pour se tenir chancelante au bord du précipice. Contrairement à son cauchemar récurrent, il assistait à la scène assis confortablement et excité par la danseuse qui avait la main sur son sexe durci.

Étonnamment, Arnold, le premier époux d'Aliénor apparut, il le dévisagea et se tourna pour observer Aliénor tanguer au gré du vent, puis le maréchal-ferrant vint s'asseoir à côté de lui, tandis que l'esclave l'embrassait dans le cou.

— Je l'aimais et je suis mort pour elle, déclara Arnold, le visage tourné vers Aliénor. Et toi, Danois, lança-t-il en le fixant droit dans les yeux. Qu'as-tu fait pour elle, hormis lui apporter souffrance et malheur ? demanda-t-il.

Face à son silence, Arnold sourit de toutes ses dents :

— Elle aurait dû me rejoindre dans la mort, clama-t-il avant de pointer l'index en direction d'Aliénor qui se retourna vers eux deux.

Pâle et couverte de sang, c'est les joues ruisselantes de larmes qu'elle se laissa tomber dans le vide.


Eirik se réveilla brutalement, le cœur affolé par son cauchemar et sa culpabilité, tandis que de la douleur lancinante de sa plaie lui rappelait que sa vie était éphémère. Il lui fallut un moment pour réaliser qu'il était bel et bien de retour chez lui, auprès de sa femme. Malgré le mal de crâne qui lui martelait les tempes, il sourit en ressentant sa douce étreinte. Il lui caressa le dos, alors Aliénor releva la tête pour lui sourire.

— Bonjour, lui dit-elle, rayonnante de bonheur.

— Tu as bien dormi ? lui demanda-t-il, le souffle un peu court et toujours déboussolé par son cauchemar.

— Oui, et toi ? répondit-elle.

— Tu as eu un sommeil agité, Aliénor, répliqua-t-il, inquiet.

Aliénor se redressa et releva sa chemise de nuit pour s'asseoir à califourchon sur lui, alors il lui caressa les cheveux tendrement.

— J'ai besoin de ta force, lui susurra-t-elle avant de l'embrasser. J'ai besoin de ta puissance, ajouta-t-elle, tout en défaisant le lien de son pantalon de toile. Et j'ai surtout besoin de toi ! enchérit-elle, en lui jetant un regard aguicheur, avant de presser sa langue contre son torse ceint d'un épais bandage.

Aliénor se figea quand il grogna de douleur.

— Désolée, s'excusa-t-elle.

Eirik se redressa et lui prit le visage entre ses mains :

— Je vais bien, Aliénor, mentit-il presque suppliant.

— Eirik, tu as de la fièvre, objecta-t-elle en étudiant son regard vitreux, la paume sur son front.

Elle s'écarta de lui dans l'idée d'aller préparer une décoction, mais il la retint :

— Reviens ici, grogna-t-il en l'aidant à s'installer sur lui.

— Il faut soigner ta blessure, insista-t-elle.

Eirik lui glissa une mèche de cheveux derrière l'oreille tout en la dévisageant :

— Je ne veux pas quitter cette terre sans t'avoir donné un enfant, avoua-t-il, soucieux d'avoir de plus en plus mal.

— Ne parle pas comme ça, s'inquiéta-t-elle en lui prenant le visage entre ses petites mains.

— Je t'aime, Aliénor, clama-t-il.

— Je t'aime et je ne pourrai pas vivre sans toi, déclara-t-elle inquiète.

— Si tu le peux, sourit-il en posant sur elle un regard empli d'amour et de dévotion. Pour notre enfant, tu le pourras, affirma-t-il soulagé par cette pensée.

Blême, Aliénor recula et sortit du lit pour préparer le remède d'Eirik, qui voulut se lever mais ne put que s'asseoir au bord du matelas, le souffle raccourci par la douleur :

— Parle-moi, Aliénor, insista-t-il.

— Il faut soigner ta blessure, marmonna-t-elle.

— Aliénor, viens t'asseoir et dis-moi ce qu'il y a ! la supplia-t-il.

— Freya...

— Qui ? grogna-t-il en tentant de se lever puisqu'elle voulait rester près de la table.

— L'Enchanteresse, soupira-t-elle alors qu'il restait désespérément incapable de se lever à cause de la douleur qui s'était bel et bien réveillée.

— Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? grogna-t-il, l'air inquiet en voyant Aliénor baisser la tête.

Eirik eut l'impression que la distance qui les séparait était bien plus vaste que celle entre le lit et la table.

— Aliénor ! insista-t-il.

— Elle a dit que ta semence était forte, mais que mon corps était faible, soupira-t-elle en évitant de le regarder.

— Elle t'a probablement dit ça pour te vendre un charme, supposa-t-il. Mais, si tu veux...

Aliénor qui fronçait les sourcils et pinçait les lèvres de colère, l'interrompit :

— Si tu veux un enfant, ça ne sera pas avec moi !

— Je n'ai besoin que de toi, Aliénor ! répliqua-t-il.

Ils se dévisagèrent en silence à travers la douce pénombre de leur maison, alors que sa sincérité l'avait touchée au cœur pour mieux l'apaiser.

— Alors, laisse-moi te soigner, parce que je ne veux que toi, Eirik, affirma-t-elle.

Eirik lui adressa un sourire rassurant :

— Fais de moi ce que tu veux, clama-t-il en s'adossant à l'oreiller.

Alors qu'Aliénor lui rendit son sourire et se mit à préparer remède et nouveau bandage, Eirik réalisa qu'Arnold se tenait près de la porte : « Je l'aimais et je suis mort pour elle, répéta le fantôme. Et toi, Danois, qu'as-tu fait pour elle, hormis lui offrir souffrance et malheur ? » lui demanda-t-il avant de disparaître.




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je publierai les deux autres en fin d'aprèm, je n'arrive pas à les finaliser alors je fais une grosse pause ^^

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