Chapitre 23

Le jour suivant son rêve érotique, en fin d'après-midi, Aliénor était agenouillée près d'un malade et le seau d'eau fraîche à côté d'elle lui faisait envie. Elle jeta un coup d'œil discret dans le Skali pour vérifier que personne ne lui prêtait attention, puis elle y trempa son morceau de tissu pour se le plaquer sur le front, espérant faire disparaître son début de fièvre.

Aliénor écouta son corps en quête des autres symptômes de la maladie : frissons, nausée, vomissement, inflammation de la gorge. Mais elle ne souffrait que des crampes dues à son début de saignements et cela l'affligeait davantage que d'ordinaire à cause de la fatigue.

Assise sur ses talons, elle retrempa le petit linge tout en rejetant l'idée d'être malade, puis elle l'essora vivement pour l'appliquer sur le front du dernier patient de la rangée. Elle se releva chancelante, espérant avoir la force de reprendre son activité, car même s'il y avait bon nombre de gens assez remis pour reprendre une activité, Germund et ses cinq guerriers inclus, le Skali n'était pas vidé des malades, mais fort heureusement il n'y avait plus eu de morts depuis deux nuits.

Germund s'approcha d'Aliénor et la tint par la taille pour l'empêcher de récupérer le seau :

— Il faut te reposer, guérisseuse ! ordonna le vieux Danois, la voix encore un peu éraillée.

— Je vais bien, mentit Aliénor. Mais, j'aimerais prendre l'air, ajouta-t-elle, attirée par la clarté qui inondait le seuil.

Germund l'accompagna à l'extérieur et l'aida à s'asseoir sur un banc accolé à la façade.

Olrik lui tendit une tasse d'infusion :

— À ce qu'on dit, les guérisseuses font les pires malades, s'esclaffa-t-il pour dissimuler son inquiétude.

Aliénor avait envie de hurler à chaque fois que quelqu'un l'appelait « guérisseuse », puisqu'à ses yeux c'était une imposture. Pour elle, elle n'était qu'une rebouteuse et une barreuse de feu, en aucun cas ses faibles connaissances d'herboriste ne pouvaient lui autoriser le titre de guérisseuse. Preuve en était tous les gens morts depuis le début de l'épidémie, mais il fallait mentir et faire bonne figure :

— C'est ce que j'ai entendu dire, ricana Aliénor. Heureusement, je ne suis pas malade !

— Il te faut du repos, répliqua Germund.

— Je peux t'offrir le confort de ma maison, intervint Lennart, en approchant.

Aliénor serra l'avant-bras de Germund, réfléchissant à un moyen de se tirer de ce mauvais pas, mais fièvre et mal de tête l'empêchaient de penser correctement.

— Il faut contenir la maladie à un seul bâtiment, répliqua Germund.

— Il y a des grabats de libre, ajouta Olrik. Un petit somme vous ferait le plus grand bien, Madame !

— J'ai encore du travail, objecta Aliénor.

— Les autres femmes s'en chargeront, affirma Germund, le ton déterminé.

Aliénor soutint son regard sévère :

— Tu as raison, soupira-t-elle avant de boire sa tasse.

La guérisseuse alla s'allonger peu après et sombra dans un sommeil agité par la fièvre.


Dans son demi-sommeil, elle sentit une main lui appliquer un linge humide sur le front. Elle entrouvrit les yeux et croisa le regard de Lennart. Le jarl fit descendre le linge sur sa joue, puis sa gorge et sur le haut de son décolleté. Aliénor avait envie de le repousser, mais la fraîcheur du tissu lui faisait du bien.

Quand Lennart lui écrasa une larme sur la joue, elle comprit qu'elle était en train de pleurer, le sourire qu'il afficha lui confirma qu'il en connaissait la raison. Le jarl se pencha pour lui murmurer :

— Détends-toi, je préfère quand les femmes sont combatives et non à moitié inconscientes !

Écœurée, Aliénor dut rouler sur le flanc pour lui tourner le dos, seul moyen qu'elle avait de le fuir. Machinalement, elle posa la main sur le couteau de cou qu'Eirik lui avait offert et le serra fort contre elle.

Elle entendit Lennart soupirer avant d'appeler une femme pour qu'elle vienne à son chevet, puis il quitta le Skali.


L'aube suivante se leva, célébrée par le chant des coqs. Freya alla au Skali voir comment se portait la guérisseuse, car selon la volonté des dieux, hormis pour Aliénor, la maladie ne devait plus sévir et la totalité des malades seraient en voie de rétablissement.

Endormie sur le dos, accablée par la fièvre, la jeune femme souffrait aussi de ses pertes de sang, au vu de la tache sous son corps. L'Enchanteresse lui posa une main sur le bas-ventre et psalmodia avant de faire tinter ses cymbales de doigts.

— Arrêter tes saignements, c'est tout ce que les dieux m'autorisent à faire pour toi, murmura Freya avant de faire signe à des esclaves pour qu'elles viennent nettoyer la malade.


Aliénor dormit trois jours durant, avant de reprendre difficilement conscience. Quand elle ouvrit les yeux, les fumigations ondulaient toujours à travers la pénombre, mais le Skali semblait étrangement calme et silencieux. Dépourvue de toute notion du temps, elle roula sur le flanc pour mieux voir et comprit qu'elle n'était plus au Skali, mais qu'elle dormait dans un lit, à l'intérieur d'une petite maison. L'Enchanteresse franchit le seuil peu après et vint s'asseoir sur le bord du lit :

— Cette fois, tu es consciente, c'est bien, approuva Freya, en lui posant sa main sur le front pour jauger sa température.

— Où suis-je ? coassa Aliénor, affaiblie.

— Tu étais la dernière malade au Skali, Germund t'a transférée dans la maison d'un couple décédé récemment, expliqua-t-elle.

— Est-ce qu'il vous reste un peu de votre potion ? marmonna Aliénor, qui se sentait à bout de force et toujours fiévreuse.

— Pourquoi ? demanda Freya.

— Je veux le revoir une dernière fois, avoua Aliénor les larmes aux yeux.

— Qui ça ?

— Eirik... Je vais mourir et vous le savez, c'est pour ça que vous m'avez offert ce rêve... c'était si réel, réalisa-t-elle la voix tremblante de chagrin. Alors je vous en prie, laissez-moi le voir une dernière fois !

— Tu es trop faible pour accéder à l'écho des âmes, refusa l'Enchanteresse.

Aliénor gémit de tristesse et se plaqua les mains sur le visage ruisselant de larmes.

— Les tiens s'inquiètent, lança Freya pour la sortir de son chagrin. Lennart, Germund et Frode sont sur la plage, ils discutent du meilleur moment pour te ramener dans ton clan. Lennart pense que tu es encore trop faible pour être transportée...

— Il était là, la coupa Aliénor, en larmes.

— Dans ton rêve ? s'étonna Freya.

— Non... non, la nuit où je suis tombée malade, il m'a... il m'a... je ne sais plus, souffla-t-elle, honteuse en fixant les yeux bleus et attentifs de l'Enchanteresse.

Freya récupéra le collier de cou qui trônait sur la table de chevet et lui mit dans la main :

— Les dieux s'amusent de ta souffrance, si tu survis à la maladie, une ombre de ton passé cherchera à te nuire, la prévint-elle. Alors, garde-le à ta ceinture, affirma-t-elle.

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