Chapitre 18

Bien plus haut au nord, dans le Skali du clan de Lennart, Aliénor était agenouillée près de Germund, tombé malade la veille. Après l'avoir aidé à boire son remède, elle lui posa sur le front une bande de tissu trempé dans de l'eau fraîche. Le vieux guerrier était à demi-conscient et toussait à en cracher ses poumons.

Inquiète, Aliénor s'assit sur ses talons et balaya le Skali du regard, désolée par le nombre de malades. Çà et là des esclaves agitaient, selon les consignes de l'Enchanteresse, une natte d'herbes séchées censée repousser le mal. Une part d'Aliénor avait espéré que la magie de Freya, opérée le soir de leur arrivée, ait réussi à émouvoir les dieux, afin qu'ils les épargnent, mais la réalité n'avait eu cure de cet espoir.

Fatiguée et perdue dans ses pensées, le regard d'Aliénor s'attarda sur la lumière blanche qui provenait de la grande porte entrebâillée, et réalisa qu'un quatrième jour d'angoisse s'était levé depuis quelques heures à peine. Cependant, de cette ouverture lui parvenaient aussi les sons familiers de la vie quotidienne et les gazouillis des passereaux, ce qui lui rappela que la vie continuait hors du Skali.

Éprouvant le besoin de prendre l'air, au moins pour un court moment, elle demanda à l'une des esclaves mises à disposition par Lennart, de bien vouloir la remplacer.

Quand Aliénor franchit le seuil inondé de clarté, elle en fut éblouie, mais sa vision s'ajusta et le bon air frais la rassura un peu, alors qu'elle tournait machinalement le regard au loin, en direction de ce qui restait des trois potences et des corps calcinés. Toujours plus ou moins suspendues à leurs chaînes, les trois jeunes filles immolées par le feu servaient de pitance aux corbeaux.

Alors que les rayons du soleil lui caressaient le visage et que la brise jouait avec ses mèches rebelles à travers ses nattes, Aliénor se souvint de ce que Germund lui avait dit le matin qui suivit la macabre célébration :

« Ce qui reste des Offrandes ne doit pas être touché tant que nous n'aurons pas la certitude que la magie à opérer. Si les gens guérissent dans la journée, le clan ensevelira leur dépouille, mais si la maladie se répand encore, elles resteront là à nourrir les corbeaux. »

Olrik sortit Aliénor de ses pensées en lui proposant une tasse d'infusion fortifiante, mais qui n'avait que peu d'effet au vu du nombre croissant de personnes, qu'elle avait vu tomber malade en trois jours. C'est avec l'arrivée de la veille, de plusieurs personnes souffrantes d'un clan voisin, qu'Aliénor dut supplier Lennart de transformer le Skali en hospice. Ce n'est qu'à la vue de leur argent offert en récompense de l'aide de l'Enchanteresse et de sa guérisseuse, que le jarl accepta.

— Merci, Olrik, déclara Aliénor en prenant la tasse.

— Vous devriez aller dormir un peu, guérisseuse, lui conseilla-t-il.

Contrairement à Germund, Olrik n'arrivait pas à la tutoyer, car son « vous » était sa marque de respect envers sa profession.

— Tu as l'air souffrant, répondit-elle en soutenant ses yeux légèrement vitreux à cause d'un début de fièvre.

— Ça va, objecta-t-il en coinçant ses pouces dont son ceinturon. Comment va Germund ? demanda-t-il.

— Olrik... souffla-t-elle désolée qu'il refuse le diagnostic. Sa fièvre a baissé, mais sa toux est m'inquiète, avoua-t-elle.

— Au moins, il n'y a pas eu d'autres morts que les trois du chariot, se consola-t-il.

— Ce n'est plus le cas, soupira-t-elle en repensant aux suffocations qu'elle avait entendues dans le Skali. Il y a eu plusieurs décès cette nuit, les familles ne sont pas encore informées, mais ça ne saurait tarder.

Olrik afficha un petit air approbateur.

— Qu'est-ce qui te fait sourire ? s'étonna Aliénor.

— Votre accent, sourit-il. Je trouve qu'il est moins prononcé et votre danois est bien meilleur ! ajouta-t-il.

Ce compliment lui arracha l'ébauche d'un sourire, vite effacé par l'approche de plusieurs petits groupes, alors que Lennart et Freya discutaient plus loin. L'aura mystique qui entourait l'Enchanteresse ne cessait de la surprendre, d'autant plus que Freya, femme froide, portait encore son étrange couvre-chef qui lui masquait les yeux. Mais, le plus surprenant pour Aliénor, c'était de savoir que Freya vivait dans une roulotte une grande partie de l'année, comme le lui avait expliqué Germund :

« Les messagers des dieux sont assez rares, Oracles et Enchanteresses, se déplacent du printemps à la mi-automne pour offrir leurs services. Les Oracles, comme Toki, préfèrent l'hospitalité des jarls et les Enchanteresses vivent dans leur roulotte. D'après ce qu'on dit, ce qui s'y passe la nuit, entre elles et leurs esclaves, pour la plupart des femmes, a de quoi rendre n'importe quel mâle jaloux... le plaisir charnel des femmes n'a aucun secret pour elles. »

— Les familles, souffla Olrik comme pour aider Aliénor à garder les pieds sur terre.

— Ou d'autres malades, supposa-t-elle avant de prendre la direction du Skali.

— Il faut dormir, lui rappela Olrik un ton plus fort pour qu'elle l'entende.

Le soir venu, des bûchers funéraires furent allumés aux sons des tambours et des flûtes, tandis que les membres du clan les plus résistants assistaient à la crémation, en se demandant « à qui le tour, ensuite ? ».

Mais aucun n'avait de reproche à faire à l'Enchanteresse, qui avait suivi le conseil des dieux en gagnant le clan de Lennart, le jour même du retour du jarl et de ses hommes de leur longue expédition, ramenant un mal invisible et inconnu. Malheureusement, ce que Freya devait combattre était issu d'un autre peuple, d'une autre croyance, à laquelle sa magie se heurtait vaillamment. L'Offrande avait été son ultime recours pour combattre le sort jeté sur eux.

En réponse, les dieux avaient aidé Lennart à trouver et ramener une guérisseuse étrangère, susceptible de les aider, mais là encore, le problème était leur différence culturelle, car le remède « étranger » apporté n'était que peu efficace. D'ailleurs, les membres du clan et Lennart, lui-même, n'en voulaient à pas l'étrangère, car elle n'avait pas promis de les guérir, mais de les soulager de leurs symptômes et elle y était déterminée.


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à demain pour un autre chapitre ^^ et bon week-end à vous, si vous avez la chance de faire le pont :) sinon bon courage <3

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