Chapitre 1

Le jour suivant marqua la fin de sa troisième semaine de convalescence. Aliénor suffisamment remise entreprit sa première visite sur les terres de Frode.

Le petit groupe composé d'Aliénor, Erma, Germund et Hakon partirent avant l'aube et voyagèrent au galop dès les premières lueurs du jour pour arriver rapidement sur les terres du vieux jarl.

Soucieuse de prendre ce nouveau départ du bon pied, Aliénor profita du trajet pour abandonner ses dernières réticences envers Frode. Après tout, depuis sa tentative d'empoisonnement, elle avait souvent revécu en songe le moment où le vieux jarl n'avait pas hésité à frapper violemment son propre fils, pour lui épargner une terrible agression sur son corps affaibli.

Le visage de Frode prit toute sa place dans ses pensées : ses traits burinés par le temps durcis par ses longs cheveux gris plaqués à son crâne par un bandeau de cuir marron, orné d'une amulette d'Odin en or ; ses joues rasées de près accentuant sur son long nez légèrement tordu, signe d'une fracture mal réduite. De fait, le voyant très précisément, elle éprouva une étonnante bouffée de compassion pour lui.

Arrivés par la voie des chevaux qui surplombait le village côtier, la lumière encore rasante de l'astre diurne retirait lentement le voile la nuit, révélant les masures aux toits végétaux et pentus, dont les cheminées crachaient les dernières volutes de fumée.

Sur place, et malgré l'accueil chaleureux du vieux jarl, le nombre de patients était moindre puisque la plupart des sujets de Frode restaient méfiants vis-à-vis de la jeune étrangère.

Aliénor et Erma ne perdirent pas de temps et mirent très vite au travail : Agathe, Francine, Esmée, Mathilde, Rachelle et Violette : les six femmes enlevées le même jour qu'Aliénor, puisque le vieux jarl les avait délibérément affranchies, pour lui prouver qu'il savait faire preuve de clémence.

Une fois les petits maux traités sur la supervision de la guérisseuse, Aliénor passa à l'enseignement et expliqua dans le détail l'usage des plantes qu'elle leur avait apportées.

Au vu de l'ampleur de la tâche, Aliénor comprit qu'une demi-journée tous les deux jours ne serait pas suffisante pour former ses six élèves correctement : elle allait devoir négocier avec Eirik et Aslak, afin de dormir sur place pour optimiser son temps de présence et transmettre ses connaissances, et elle allait devoir convaincre Frode d'accepter que ses élèves la suivent chez elle, afin de leur offrir un enseignement digne de ce nom.


La demi-journée passa très vite et le zénith de l'astre leur donna le signal de départ, mettant à l'épreuve l'endurance des chevaux sur le trajet du retour. Le groupe rentra en toute fin d'après-midi.

Aliénor mit pied à terre et guida sa monture vers les écuries, tout comme son escorte, ils bouchonnèrent les équidés avant de reprendre leurs activités quotidiennes.

La jeune guérisseuse jeta un regard à Eirik qui était concentré dans son combat à l'épée, car Aslak avait encore prévu une expédition en mer. Le jour du départ arrivait à grands pas, aussi, les guerrières et les guerriers se devaient d'être prêts.

Soucieuse à l'idée de devoir convaincre son mari, puis son jarl, Aliénor lâcha un petit grognement d'exaspération, avant que son regard ne s'attarde sur Eldrid, guerrière Danoise, enceinte et épouse d'Aslak. Elle était en pleine séance de tir à l'arc, sous les yeux perçants de son mari.


En ce milieu d'été, la future mère affichait une jolie petite rondeur au niveau du ventre, même si la naissance de l'enfant était attendue pour l'hiver.

Erma, la femme de Haldor, guerrière émérite et nouvelle apprentie guérisseuse, prit Aliénor par le coude et l'entraîna vers Eldrid :

— Un peu d'entraînement ne te fera pas de mal, lui affirma-t-elle pour éviter toutes protestations.

Aliénor capitula, en espérant être très rapidement interpellée pour soigner un petit bobo quelconque.


Eldrid et Erma lui donnèrent des instructions, plus que des conseils, pour qu'elle se positionne correctement pour tirer.

Après plusieurs tentatives infructueuses mêlées aux ricanements des curieux et d'Aslak lui-même dans son dos, Aliénor se tourna vers ses amies :

— Il faut se rendre à l'évidence, déclara-t-elle agacée, je ne suis pas douée !

— Tu dois persévérer, s'esclaffa Erma. Si c'était inné, nous ne passerions pas autant de temps à l'entraînement, déclara-t-elle rayonnante en bandant son arc.

— Tu es une femme Danoise dorénavant, ajouta Eldrid en souriant, tu dois savoir te battre.

— Me battre ? répéta Aliénor dubitative.

— Il te faut apprendre à te défendre, reprit Erma avant de lâcher sa flèche qui fit mouche.

Les épaules d'Aliénor s'affaissèrent de dépit :

— Entre mon métier de guérisseuse et l'enseignement que je donne au clan de Frode, s'il faut en plus que j'apprenne à me battre, je me demande bien quand je vais pouvoir dormir ? maugréa-t-elle.

— Personne ne lui demande de se battre, intervint Aslak qui était resté silencieux jusque-là. Mais il vaut mieux éviter l'usage du poison à tout va, conclut-il avant de s'éloigner.

Aliénor repensa à ce qui s'était passé chez Frode. La jeune femme soupira en grimaçant et redonna l'arc à Eldrid, pour aller s'asseoir à l'ombre d'un grand chêne :

— Je préfère vous regarder, déclara-t-elle, pour inviter ses amies à reprendre leur entraînement.


Eirik qui avait suivi la conversation de loin s'approcha de sa femme. Il s'assit à côté d'elle et regarda Eldrid et Erma, alors qu'un gros corbeau vint se poser à la cime d'un des arbres les plus proches, rejoignant ainsi plusieurs de ses congénères.

— L'avantage de l'arc, commença-t-il en étudiant les guerrières, c'est d'atteindre ton ennemi à distance. Malheureusement, en cas d'attaque en grand nombre, il est impossible de tous les arrêter, certains se rapprocheront inévitablement.


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