Chapitre 48

Il se tient là devant moi, comme si tout est normal, alors que je ne comprends rien à ce qui se passe. Nous continuons de nous observer sans dire un mot. Je suis perturbée car je ne reconnais en rien l'homme qui se tient en face de moi. Cet homme qui me dévisage avec tant de haine dans le regard et que j'ai de plus en plus de mal à soutenir. Mais pour autant, je refuse de baisser les yeux devant lui.

Voyant que je ne prends pas la parole, Ulrik rompt le silence. Mais encore une fois, ce regard, cette posture me sont totalement inconnus même sa voix me semble changée. Il est si dur, si froid, si distant.

_ Tu ne comprends ce qui t'arrive ? Tout ne tourne pas comme tu le pensais petite princesse ? Mais ce n'est que le début, et tu vas souffrir autant que j'ai souffert Aslaug, termine-t-il en se tenant droit devant moi.

_ Mais de quoi parles-tu ? Je ne me suis jamais comportée comme telle. J'ai vécu comme une esclave au service de ta famille depuis ma naissance. Tu perds la tête . . .

_Tout est de ta faute ! Me hurle-t-il dessus à présent.

Je ne sais plus quoi dire. Je reste interdite. Jamais je ne l'avais vu ainsi. Il lui était arrivé par le passé de se montrer colérique ou virulent mais jamais son visage n'avait trahi telle haine, telle fureur. Ses yeux couleur écume des mers lançaient des éclairs qui ponctuaient chacun de ses mots. Je ne comprends pas le moins du monde ce changement d'attitude. Toute ma vie, j'avais vu en lui un protecteur. Quelqu'un qui ne ferait jamais de mal, qui serait toujours là pour moi, quelque soit le danger. Mais cet homme là, celui qui se tenait devant moi a les traits de mon ami d'enfance pourtant il reste un étranger à mes yeux.

J'ai beau chercher, je ne trouve pas mais surtout je ne comprends pas ce que j'ai pu faire pour le mettre dans une colère aussi noire. Je m'étais toujours bien comportée avec lui et les membres de sa famille, qui était en quelque sorte la mienne aussi. La preuve pour sauver sa jeune sœur, je n'avais pas hésité une seule seconde à prendre sa place.

_ Comment cela tout est de ma faute ? Articulais-je doucement encore sous le choc de ce qu'il venait de me dire. Et pour la première fois depuis ma naissance, j'avais peur de celui que je considérais comme mon plus vieil ami.

Il s'approche dangereusement de moi puis il stoppe d'un coup s'adressant à la personne qui se cache toujours derrière moi.

_ Qu'en penses-tu ?

Instinctivement, je tourne la tête pour découvrir son interlocuteur mais attachée comme je le suis, je ne peux pas le voir. L'homme ne dit rien mais je perçois comme un mouvement dans mon dos. Puis Ulrik s'approche de moi comme un fauve prêt à dévorer sa proie. Quand il se penche vers mon visage, je me recroqueville sur moi-même.

_ Alors tu n'as toujours pas d'idée ? Me murmure-t-il à l'oreille agacé.

J'essaie de lire ce qu'il ressent vraiment dans son regard. Ses yeux ne pouvaient pas mentir. Même s'il m'en voulait, il ne pouvait pas m'en vouloir à ce point. Il ne pouvait pas avoir jouer la comédie pendant toutes ses années. J'ai l'envie de croire que si je lui rappelle ce que nous étions l'un pour l'autre, notre enfance au Danemark, il comprendra que je ne suis pas son ennemie et . . . il reviendra à la raison. Mais  en cet instant, je doute de tout et le crois capable de tout.

_ Ulrik, commençais-je, quoique j'ai pu dire ou faire et qui aurait pu te blesser toi ou un membre de ma famille, je m'en excuse. Va puiser au fond de toi pour me pardonner. Tu ne peux pas balayer toutes les années que nous avons partagées toi et moi. Tous les moments bons ou mauvais. Nous avons toujours été là l'un pour l'autre. Alors je refuse de croire ce que je vois. Tu ne peux pas avoir menti pendant toutes ses années, terminais-je le visage baigné par des larmes de tristesse, de douleur et de colère.

Je n'arrive pas à le croire alors qu'il se tient devant. Mais tout cela me paraît impossible. Ulrik ne me ferait jamais le moindre mal. Il me protège depuis ma plus tendre enfance, veillant jalousement sur moi. Pendant une petite seconde, je crois apercevoir le Ulrik que je connais mais ce changement est malheureusement trop furtif.

_ Tu ne vois vraiment pas où est le problème ? Souffle-t-il à la fois fatigué et agacé que je comprenne pas.

Je secoue la tête de droite à gauche pour lui signaler que je comprends absolument rien à ce qu'il se passe. Il prend alors une chaise et vient s'asseoir en face de moi. Suffisamment près pour que ses genoux frôlent les miens. Je n'ose plus rien dire voyant qu'il va me parler et qu'il semble redevenir maître de lui-même.

_ Et bien allons-y. Tout ce qui se passe, tout ce qui t'arrive est entièrement de ta faute et celle de ta mère. Cette femme était une diablesse. Elle a séduit mon oncle, l'incitant à couper tout contact avec sa famille, à demander le divorce. Et par amour pour cette sorcière, il a scindé le clan, ma famille en deux. Nous obligeant à nous détester alors que nous sommes du même sang. Sans elle, mon clan serait uni et j'en aurai été le digne héritier, le chef . . . Mais à cause de leur amourette, et de ta naissance, j'ai tout perdu, ma famille a tout perdu. Magnar a perdu la tête pour une irlandaise. Ma famille a explosé, s'est déchiré. Eux ici prospérant et nous au Danemark survivant. Mais cela ne lui a pas suffit, il a fallu qu'il veuille te retrouver. Il a voulu retrouver l'héritière, . . . sa petite bâtarde . . .

Plus il avance dans son récit, plus il redevient virulent, froid et distant. Une colère sourde monte en lui, et lorsqu'il se lève brusquement, sa chaise tombe en arrière me faisant sursauter. Il reprend son récit en faisant les cents pas cette fois.

_Alors il a envoyé son autre bâtard, adopté cette fois, pour te retrouver. Et pour prouver qu'il est un bon fils, il a exterminé ma famille, mon village, mon clan. Il a tué sans distinction femmes, enfants, . . . tout cela pour te trouver toi, termine-t-il dédaigneux.

C'est vrai que Thorsten avait ravagé notre village mais si Ulrik est honnête. Il sait très bien que si les situations avaient été inversées, son clan aurait agi exactement de la même façon que celui de Thorsten. Et ils auraient trouvé tout cela normal. Une vengeance logique est nécessaire.

Pourtant ce que me blesse le plus, c'est que dans son récit, Ulrik ne parle absolument pas de ce que moi j'avais vécu, de ce que ma mère avait subi simplement pour avoir aimé un homme qui lui était défendu.Cette annihilation de la douleur que je pouvais ressentir ou de ce qu'avait pu vivre ma mère fait monter en moi un sentiment de colère. Je parle sans retenue alors que je suis pour le moins dans une mauvaise posture. Je ne réfléchis ni à moi, ni à l'enfant que je porte.

_ Je suis désolée pour les membres de ta famille, pour ta mère ou ton frère. Tu sais très bien que je les chérissais comme ma propre famille. Mais reconnais que nous aurions fait pareil sans nous poser la question si la situation avait été inversée. Tu aurais agi exactement de la même façon et nous avons tous souffert dans cette histoire ? Hurlais-je presque quand je suis stoppée net par un violent coup dans le dos qui me coupe le souffle.

_ Pourquoi la laisses-tu te parler ainsi, tonne l'homme qui vient de frapper. Je le sens faire le tour sur le côté et se placer à côté d'Ulrik. Quand je lève les yeux je ne suis pas plus surprise que cela.

_ Audar, j'aurais du m'en douter, articulais-je difficilement en reprenant mon souffle.

Mais Audar n'est pas Ulrik. Ce dernier n'apprécie guère que je prenne la parole sans y être autorisée. Alors il me fait taire d'une violente gifle qui me laisse un goût de sang dans la bouche. Je redresse doucement mon visage douloureux à cause de ce geste. Je croise le regard d'Ulrik qui ne semble pas perturbé le moins du monde par ce qu'il vient de voir.

_ Chez moi, une esclave ne parle que lorsqu'on l'y autorise. Tu vas apprendre à rester à ta place, claque Audar violemment.

_ Alors, reprend-t-il en se tournant cette fois vers Ulrik, où en sommes-nous ?

_ Tout se passe comme nous le pensions. Je me suis arrangé pour que Thorsten soit ivre, il se mariera sans se poser de question.

_ Parfais d'ici quelques heures, je serai le chef de ce clan réunifié et toi tu auras ta vengeance sur l'homme qui a détruit ta famille, annonce Audar.

J'aimerais en savoir plus, poser des questions mais je prendrais trop de risques avec Audar dans la pièce. Je dois penser à ma survie et à celle de mon enfant. Mais alors que j'essaie de deviner quel est leur plan et comment ils pourraient atteindre Thorsten. Je boue intérieurement de ne pouvoir rien faire. Mais je sais aussi que mon père et Thorsten sont des hommes pleins de ressources et qu'ils ne se laisseront pas faire. Ce sont de braves et vigoureux vikings.

Alors que j'arrive peu à peu à retrouver un peu de calme pour réfléchir à comment me sortir de cette situation. Je ne suis pas au bout de mes peines quand une troisième personne entre dans la pièce. À sa vue, je me sens quelques peu défaillir mais j'essaie de rien montrer.

_ Alors ? demande Ulrik, comment se passe les préparatifs au château ?

_ Tout se passe normalement. Thorsten est parti chercher un remède chez Eimund car il a trop bu. Magnar et Vidrün s'occupent des hôtes importants. Quand à Sigfrid, elle joue parfaitement son rôle de future mariée, répond Ragna sans même m'accorder un seul regard.

Je sens le sol s'effondrer sous mes pieds, un multitude de petits points noirs apparaissent devant mes yeux. Je refuse de perdre à nouveau connaissance mais mon corps en décide autrement . . .







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