Chapitre 43

Je suis là . . . interdite, immobile me retrouvant dans la situation que je redoutais le plus. Thorsten, l'homme dont j'étais tombée follement amoureuse, était là devant moi. Il se tenait devant moi, le visage oscillant entre déception, tristesse et rancœur. Et malgré toutes ses émotions, ses magnifiques yeux bleus restaient ancrés dans les miens.

Puis subitement son regard qui était encore doux, se fait plus dur alors qu'il avance vers moi avec une lenteur mesurée. La révélation sur mon identité semblait l'avoir dégrisé en quelques instants. Il arrive à ma hauteur quand Magnar intervient de nouveau agacé de ne pas comprendre ce qui se passe devant ses yeux.

_ Aslaug, ma douce enfant, peux-tu m'expliquer ce qu'il se passe ? Et pourquoi mon fils s'obstine à vouloir t'appeler Eivor ? Me questionne ce dernier en se redressant sur sa couche pour mieux apprécier la situation.

Je suis si mal à l'aise que je ne sais pas quoi faire ni quoi dire d'ailleurs. Car si je suis la fille de Magnar et que ce statut me sauvera probablement la vie. Je ne peux pas penser qu'à moi, je me dois d'essayer de protéger Ulrik et Ragna. Et alors que je cherche un moyen de me sortir de cette situation en faisant le moins de mal possible. Thorsten me prend de vitesse.

_Oui Eivor, . . . Oh pardon Aslaug, dois-je dire maintenant. Oui comme mon père, je suis impatient de savoir et de comprendre pourquoi tu réponds à ces deux prénoms, reprend-t-il durement.

Son regard est si noir et le ton de sa voix est si cassant que je recule de deux pas en baissant les yeux. Distance qu'il comble avant de reprendre avec mépris.

_Enfin Aslaug, . . . puisque c'est ton nom. On ne se comporte pas ainsi quand on est la digne fille d'un jarl . . . En reculant et en baissant les yeux, ainsi, devant moi, tu te comportes comme une pauvre petite esclave perdue et soumise. Mais où est donc passée l'impétueuse et mordante Eivor.

Je serre les poings le plus fort qu'il me soit possible de faire. Mes ongles rentrent dans la chair tendre de mes paumes. La douleur dans mes mains me permet de ne pas penser à la brûlure annonciatrice de mes larmes. Je me mords l'intérieur des joues jusqu'au sang pour retenir les flots qui risquent de dévaler sur mon visage. Et alors que j'allais balbutier un semblant de réponse à peine audible, c'est Magnar qui prend la parole à son tour.

_Thorsten, cesse toute de suite ce petit jeu et explique toi, tonne-t-il.

La voix forte et dure de Magnar semble rappeler à Thorsten que nous ne sommes pas seul. Son regard quitte mon corps pour la première fois depuis qu'il est rentré dans la pièce. Il se tourne alors vers son père et c'est alors que je le vois . . . que je revois le viking froid et conquérant qui avait réduit en cendres mon petit village natal. Et c'est à ce moment précis que je comprends que tout ce que nous avons pu vivre ou partagé vient de voler en éclat. Comme si ce qu'il s'était passé sur notre îlot rocheux ou dans la cabane dans la forêt n'avait jamais existé . . . comme si tout cela n'était qu'un rêve . . . qui me torturerait jusqu'à la fin des temps.

_ Alors tu lui expliques Eivor, . . . oh pardon Aslaug . . . ma très chère . . . sœur, termine-t-il en appuyant volontairement sur le mot sœur.

C'est là que mon cœur se brise. Je prends conscience que je vais devoir agir comme si nous n'étions rien l'un pour l'autre. Je me ressaisis en pensant à Ragna et Ulrik. Au fait que je suis responsable de leur survie. J'ouvre la bouche pour lui répondre mais surtout pour expliquer à mon père ce que j'avais fait, mais surtout pourquoi je l'avais fait. Mon but n'avait jamais été de me faire passer pour ce que je ne suis pas mais de sauver une enfant d'à peine neuf ans d'une mort certaine.

Mais encore une fois Thorsten me prend de vitesse. Il commence son récit,celui de son arrivée dans mon village en se rapprochant de notre père. Ce dernier le regarde et écoute attentivement chaque parole de son récit. Il est captivé par l'histoire que lui conte Thorsten tout comme moi d'ailleurs.

Au fond de moi, je lui en veux de m'enlever cela. Je lui en veux de m'empêcher de m'expliquer. Et pourtant je l'écoute patiemment raconter comment il avait accosté sur les côtes danoises avec sa flotte et comment il avait soumis tout un village viking en quelques heures à peine. Au fur et à mesure de son histoire, je frémis d'effroi revivant les moments de l'attaque. Revoyant la panique dans le regard des villageois mais surtout dans le regard de la fillette que je me devais de protéger au péril de ma propre vie. Je suis là inerte, l'écoutant raconter la mise à sac de ce village qui était celui de mon enfance.

Je l'écoute expliquer à notre père comment j'avais usurper l'identité d'Eivor sans savoir qu'au fond j'étais celle qu'ils recherchaient. Celle pour qui ils avaient saccagé tout mon village. Mais là, le moment où il dépasse les limites c'est quand il parle sans émotion de la façon dont il a ôté la vie à deux innocents, Inga et Haagon, la femme et le fils cadet de mon jarl. Je venais de comprendre qu'ils étaient morts par ma faute. Thorsten les avait fait tuer sans le moindre remord ni même la moindre hésitation.

Suite à la violence de ce récit, je m'effondre sur le sol prise de violentes nausées.

_ Aslaug ! Crie mon père.

Tout tourne autour de moi, je suis incapable de bouger ou de parler. J'entends mon père donner des ordres mais je ne comprends pas tout. Puis je sombre dans le néant. Je ne sais pas combien de temps je reste évanouie. Mais quand j'ouvre les yeux, je ne suis plus dans les appartements de mon père. À la pierre qui constitue les murs, je sais que je suis encore dans le château. Et quand j'observe la taille de la pièce et la qualité des meubles, je suis sûrement dans les appartements d'une personne de haute naissance.

Je me redresse lentement jusqu'à être assise sur le lit où l'on m'a installée. Je remarque aussi que l'on a changé ma chemise. Celle que je porte est faite d'une douce étoffe que je ne connais pas. Je reste sans voix quand je vois Ragna s'avancer vers moi en me faisant de gentilles remontrances pour que je me rallonge suivie de près par Dagny.

_ Aslaug, rallonge toi tout de suite. Tu as besoin de repos après ce que tu viens de vivre, reprend Ragna avec le sourire mutin que je lui connaissais depuis toujours.

Voyant que je ne bouge pas, Dagny s'approche de moi et s'assoit sur le bord du lit.

_ Aslaug, tu as fait un malaise. Ce n'est rien de grave . . . mais tu dois te reposer, . . . c'est le plus important, m'explique-t-elle sur un ton mais qui reste très professionnel.  

Je la quitte quelques instants des yeux pour observer le manège des serviteurs qui amène des malles dans les appartements où je me trouve. Et Ragna va voir ce qu'il se passe.

_Où suis-je Dagny ? Et à qui sont donc toutes ces affaires ? Finis-je par lui demander d'une petite voix sentant la lassitude me gagner de nouveau.

Dagny me regarde mais ne me répond pas. Elle semble soudain mal à l'aise et parcourt la pièce du regard comme si elle cherchait quelque chose. Je suis son regard et vois qu'elle ne cherche pas quelque chose mais quelqu'un. Ragna qui donne des consignes aux serviteurs comprend rapidement que Dagny a besoin d'elle. Mon amie d'enfance que je croyais avoir perdue vient s'asseoir à côté de Dagny qui se lève d'un bond. Ragna se rapproche de moi et prend mes mains dans les siennes.

_ Aslaug, tu es la fille du jarl de ce clan donc tu as été installée dans l'une des ailes du château, commence-t-elle.

Elle me regarde avec douceur comprenant que j'ai du mal à intégrer tout ce qu'elle me dit. Puis elle poursuit toujours en me tenant les mains et sans jamais quitter mes yeux.

_ Maintenant ce sont tes appartements. Tu loges au château auprès de ton père.

Voyant que mon visage se décomposer et faire de lents gestes de gauche à droite. Comment allais-je survivre seule dans ce château ? Trop proche de Vidrün, de Sigfrid mais surtout de lui Thorsten. La panique m'envahit, je ne pourrais pas, . . . j'arriverai pas à vivre ici . . . au milieu de personnes qui me détestent. Saisissant mes craintes et mon mal être, Ragna reprend en douceur.

_Aslaug, tu ne seras pas seule. Magnar pense qu'Ulrik et toi êtes ensemble. Il a donc demandé à ce qu'il s'installe avec toi. J'allais l'interrompre quand elle me fait signe de la laisser poursuivre. Donc Ulrik sera prêt de toi et crois moi, mieux vaut pour toi que tout le monde pense que vous soyez ensemble . . . Et Ulrik ne sera pas le seul auprès de toi. Magnar a demandé à ce que je sois moi aussi près de toi. Tu ne seras pas seule. Je serais prêt de toi comme quand nous étions enfant.

_ Comment ça ? Réussis-je à dire.

Ragna inspire un grand coup et reprend.

_ Magnar veut que tu sois entourée des personnes que tu connais depuis ton plus jeune âge . . . Et il a accepté que . . . que je sois unie à Gunnar, termine-t-elle avec un sourire qui illumine son visage.

_Mais Ragna c'est magnifique . . . et . . . combien de temps suis-je restée évanouie ? Terminais-je calmement.

Malgré les désastres qui arrivent les uns après les autres dans ma vie, je suis incapable de ne pas me réjouir du bonheur de mon amie.

_Tu vas vivre au château alors ? Demandais-je le cœur battant.

_Oui, Gunnar fait installer nos affaires quelques portes plus loin, le sourire toujours aux lèvres.

Puis elle marque une pause et reprend sur un ton sérieux que je ne lui connaissais guère. Pour moi, elle avait toujours était une jeune fille insouciante, rebelle . . . Mais il semblerait que mon amie d'enfance était encore pleine de surprises.

_ As-tu compris ce que cela implique pour Ulrik et toi ? Insiste-t-elle.

J'avais compris les grandes lignes mais je ne comprenais pas pourquoi elle insistait autant.

_ Je pense oui. Mais pourquoi es-tu aussi insistante ? Finis-je par lui demander en m'allongeant car je sentais un nouvel étourdissement arriver.

_ Aslaug . . . Ulrik va vivre avec toi en attendant que soit célébrer. . . votre . . . votre union . . ., termine-t-elle en me scrutant pour voir mes réactions.

À ces mots, mon visage se crispe et j'essaie de me redresser. Mais Ragna m'arrête dans mon geste et son regard bienveillant m'incite à faire ce qu'elle me dit.

_Tu dois te reposer. Je reste avec toi, me dit-elle en prenant ma main dans la sienne. Puis elle se met à fredonner cette chanson que nous chantions pour nous rassurer quand nous étions enfant. Bien que j'essaie de lutter, je m'endors submergée par la fatigue.

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