Chapitre 39

Nettoyer la blessure s'est avérée plus difficile que je ne l'aurais cru. Il m'a fallu ouvrir à nouveau la plaie ce qui a été extrêmement douloureux pour le jarl. Heureusement il s'est rapidement évanoui, ce qui m'a permis de pouvoir terminer sans encombre. Ensuite, Dagny m'a aidée à lui faire boire la décoction que nous avions préparée. Puis je termine en étalant l'onguent cicatrisant et désinfectant avant de recouvrir la plaie par un bandage propre.

Une fois fini, je me sens épuisée et le visage fatigué de Dagny m'indique que cela fait un moment que nous nous occupons de lui. Ainsi que la lune haute dans le ciel.

_ Et ensuite ? Me demande Dagny.

Je soupire et regarde mes mains ensanglantées puis je lève à nouveau les yeux vers elle.

_ Il faut attendre. J'ai fait tout ce que je pouvais. Mais surtout j'espère ne pas l'avoir fait souffrir inutilement en nettoyant la plaie. Mais si on veut avoir une chance que cela marche, il faut le faire aussi pénible que cela puisse être.

_ Et pour les soins ? Que faudra-t-il faire ? Poursuit-elle.

_ Il faudra mettre l'onguent que j'ai préparé trois fois par jour jusqu'à la cicatrisation complète. Et lui faire boire l'infusion aussi souvent que possible. Les linges humides devront être changés plusieurs fois par jour jusqu'à ce que la fièvre tombe complètement, terminais-je en changeant encore une fois les linges.

Puis je m'éloigne de lui et commence à préparer les ingrédients pour faire plus d'onguent. Du coin de l'œil, je vois Dagny qui dodeline de la tête, assise sur une chaise. Je laisse ma préparation et m'approche doucement d'elle.

_Dagny, . . . Dagny, tu devrais rentrer dormir, lui murmurais-je doucement pour ne pas la brusquer.

Elle s'éveille et papillonne du regard quelques instants.

_ Oh ! Excuse moi Eivor. Va te reposer tu es épuisée. Je te promets de ne plus m'endormir, se reprend-t-elle rougissante.

_ Non, toi file te reposer. Je dois terminer la préparation de l'onguent et faire encore de la tisane. Tu . . .Tu . . . peux peut être prévenir Vidrün que les soins de son époux sont terminés pour l'instant et qu'elle peut venir le voir si elle le souhaite, terminais-je en baissant la voix à l'évocation de ce prénom qui me fait trembler.

Je n'étais guère rassurée à l'idée de me retrouver face à cette femme mais avais-je le choix ? Je regarde Dagny sortir de la pièce le cœur serré et le ventre noué. Puis je pose mon regard sur Magnar et repense au prénom que ce dernier avait prononcé alors que je le soignais. Je n'ai rien dit mais il a prononcé plusieurs fois le doux nom d'Éléanore, celle qui fut son grand amour.

Ce simple prénom m'a bouleversée car après toutes ses années sans nouvelle, . . . après la perte définitive de celle qu'il aime encore. C'est vers elle que vont ses pensées aux portes de la mort. Après tant d'années passées, il pensait encore à elle, à cette femme  pour qui il avait tout quitté, celle pour qui il avait fondé ce nouveau clan . . . ma mère.

À cette pensée, une larme roule sur ma joue car peu importe ce que la vie et la mort me réservent . . . Je sais que dans mes derniers instants, c'est son visage que je verrai. Ce sont ses beaux yeux bleus que je verrai, ses longs cheveux blonds, son tatouage. Celui dont je dessinais les contours après que nous ayons fait l'amour quand j'étais encore prisonnière de son étreinte. Je suis sûre que mon cœur penserait à lui car il restera à jamais l'amour de ma vie . . . un amour impossible mais tellement puissant et réel.

Perdue dans mes pensées, je n'entends pas la porte s'ouvrir. Je ne l'entends pas s'approcher de moi. Mais mon corps lui, réagit comme aimanté par sa moitié . . . sa moitié qui lui manquerait cruellement et à jamais.

Je sais que je devrai m'éloigner de lui . . . mais . . . la fatigue, la peine, tout le flot d'émotions qui me submergent m'empêchent de faire un choix raisonné. Alors quand Thorsten vient se placer derrière moi pour me prendre dans ses bras, je le laisse faire, . .. je me laisse aller contre lui . . . je prends ce fragment de bonheur aussi interdit soit-il.

_ Tu trembles, me dit Thorsten alors qu'il niche son visage dans mon cou, tu dois être épuisée ma douce, termine-t-il en resserrant son étreinte.

Oui je tremble, mais à cause de la peur pas de la fatigue. Je tremble à l'idée que ce contact aussi bref soit-il soit le dernier. Je tremble à l'idée de devoir accepter de le laisser partir. Et en cet instant, je suis heureuse d'être dos à lui car il ne peut pas voir la larme qui perle au coin de mon œil. Celle que je ne peux retenir, qui dévale ma joue avant de venir tacher ma robe.

Même si j'aime être dans ses bras, le chaleur de son contact en devient presque douloureuse. La seule chose que je dois faire c'est mettre de la distance entre lui et moi. Être prêt de lui est devenu plus douloureux qu'autre chose en réalité.

Alors quand je pose ma main sur la sienne pour me dégager de lui. Thorsten se méprend sur mon geste, alors il me retourne et m'emprisonne dans ses bras. Rapidement il redresse mon visage et m'embrasse tendrement.Incapable de résister à la douceur de ses lèvres, je me laisse happer par ce petit moment de pur bonheur aussi douloureux soit-il.

Sans jamais rompre le contact entre nos lèvres, Thorsten nous éloigne habilement de la chambre. Une fois protégée par l'intimité de l'alcôve, il ne se retient plus. Son ardeur et sa passion se traduisent par la façon dont ses mains pressent mes hanches, à son souffle rauque entre deux baisers.

Je fais appel à toute ma volonté pour poser à plat mes mains sur son large torse afin de me dégager de son étreinte. Je me décale de quelques centimètres pour rompre le baiser. Mais pas suffisamment loin car il pose son front contre le mien. Cette proximité me ravit, me comble presque autant qu'elle me brise le cœur.

_Thorsten, . . . s'il te plaît, . . . Thorsten, arrivais-je à murmurer d'une voix faible.

_  Qu'y a-t-il ? Commence-t-il en plongeant son regard bleu dans le mien. Puis il reprend en encadrant mon visage avec ses mains.

_ Eivor, tu as fait tant pour moi, pour ma famille, . . . alors que je t'ai arrachée à ton village, ta famille, ta vie. Et toi, tu restes douce et bonne pour toutes les personnes qui sont autour de toi. La preuve étant que tu as fait tout ton possible pour sauver mon père. Le jarl du clan qui t'a enlevée, . . . Je ne te remercierai jamais assez . . . Demande moi ce que tu veux, termine-t-il en me couvant du regard.

C'est là que je me résous à prononcer les mots les plus douloureux que j'aurai à prononcer de toute ma vie.

_ Tout ce que je veux ? Repris-je en restant prisonnière de ses yeux.

 _ Oui, me répond-t-il en souriant discrètement à sa façon.

Ce sourire illumine son visage et me brise le cœur. Je profite alors de cet instant pour me dégager de ses bras et faire un pas en arrière.

_ Alors, laisse moi parler et surtout ne m'interromps pas s'il te plaît, commençais-je par lui dire, car il me faudrait tout le courage que j'ai en moi pour lui dire ce qui allait suivre.

Il acquiesce d'un signe de tête sentant que ce qui va suivre est compliqué. Et là ce beau sourire qui illuminait ses yeux et son visage s'évanouit. Il redevient le fier Viking. Et cette distance qu'il installe m'aide à poursuivre.

_ Tu vas devenir le jarl de ce clan tôt ou tard. Et pour ton père, je souhaite le plus tard possible car je sais à quel point tu l'aimes. Et pour cette raison et bien d'autres . . . Tu ne peux pas m'épouser, je ne suis qu'une captive. De plus tu es engagé avec Sigfrid qui porte . . . qui porte ton enfant . . . Alors si tu veux faire ce que je veux . . . laisse moi . . . laisse moi partir. Quitter la vie au château, terminais-je dans un souffle la voix brisée par l'émotion.

Au fur et à mesure que les paroles sortaient de ma bouche, son regard perd toute chaleur. Il devient dur, incisif. Il s'écarte encore  un peu et se redresse encore plus. Je redeviens à cet instant une esclave face à un maître.

_ C'est vraiment ce que tu veux ? Me répond-t-il d'une voix glaciale.

Il est si impressionnant que j'arrive seulement à hocher la tête pour toute réponse. Il me scrute et me détaille de haut en bas. Son regard qui d'habitude échauffe mon corps le glace presque autant que celui de Vidrün.

_ Bien, reprend-t-il avec une voix cinglante, à partir de maintenant tu n'es plus au service de Sigfrid et Vidrün ne te donnera plus aucun ordre. Tu peux partir, termine-t-il en retournant auprès de son père.

Je reprends mes esprits et serre les dents pour éviter à mes larmes de dévaler mes joues. Après tout c'est moi qui avait voulu cette décision. Alors je souffle doucement pour reprendre une constance et me dirige vers la porte. Mais alors que je pose ma main sur la poignée. Je fige en entendant sa voix raisonner et ma peau se recouvre de frissons

_Tu n'es certes plus au service de Sigfrid mais au mien, claque-t-il. Rentre au village te reposer quelques heures. Ensuite, tu viendras en personne t'occuper des soins de ton jarl. Voyant que je ne bouge toujours pas, il ajoute, tu peux disposer.

Mes épaules s'affaissent sous cette nouvelle. Il m'avait libéré des griffes de sa vipère de promise mais avait fait de moi sa captive de la pire des manières possibles. Car à partir de maintenant je lui appartenais et n'avais d'autre choix que de lui obéir. En prenant cette décision, il ne me libère pas mais me lie à lui pour toujours de la plus cruelle des façons.


  Je ne dis rien et fais ce que mon maître me demande. Sans réfléchir davantage je sors de la chambre, de l'enceinte du château et regagne le village. Mais une fois sur place, je me rends compte que je ne sais pas où aller quand je suis à l'entrée du village. Pendant un instant je pense aller chez Dagny mais une main se referme sur mon poignet. Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qu'il s'agit de lui. Ulrik. 

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