Chapitre 38

Je sors de la maison en suivant Dagny, couvée par le regard inquiet d'Ulrik. Il s'apprêtait d'ailleurs à nous suivre mais je me retourne et lui signale d'un regard qu'il vaut mieux qu'il reste ici. Je vois sa mâchoire se contracter en signe de désapprobation, mais il fait ce que je lui demande silencieusement. Je quitte la maison en le remerciant d'un sourire discret qui ne semble pas l'apaiser pour autant.

Cela fait quelques minutes que nous marchons quand elle se retourne vers moi.

_ Tu veux passer chercher quelque chose avant d'aller le voir ? Me dit-elle encore un peu gênée.

Je suis si stressée et préoccupée que je lui répond par un simple signe de tête négatif car je suis incapable de formuler le moindre mot.

Une fois dans le château, je la suis dans le dédale des couloirs d'une aile du château que je ne connais pas. Mais je suis si impatiente et terrifiée que je ne profite absolument pas de la beauté des lieux.

Soudain, elle s'arrête devant une porte en bois sculpté. Je me fige quand elle frappe à cette même porte. Mon cœur bat si vite que j'ai presque l'impression qu'il pourrait sortir de ma poitrine. Et pourtant, rien ne me préparait aux instants qui allaient suivre . . . ni aux flots d'émotions qu'ils engendreraient.

Je la suis à pas feutrés jusqu'à la pièce la plus éloignée de l'entrée. Je fais fi de tout ce qui m'entoure et me concentre sur ce qui m'attend. Je repense à tout ce que Bergthora m'a appris plus jeune, à tout ce qui pourrait aider le jarl.

Cette fois, elle entre dans la pièce mais je ne la suis pas. Je reste sur le seuil incapable de faire un pas de plus. Je la regarde s'avancer vers cet homme allongé sur sa couche. Rien qu'à sa stature et son allure, on devine aisément quel grand viking il a pu être.

_ Approche, me dit Dagny doucement. Il est inconscient, c'est de plus en plus fréquent ses jours-ci, poursuit-elle sans jamais le quitter des yeux.

Dagny inspire et souffle doucement avant de se retourner vers moi.

_ Thorsten sait que tu es là et il est avec mon père. Ils cherchent Vidrün pour lui expliquer . . . que tu es sa dernière chance, termine-t-elle les yeux emplis de larmes.

J'intègre ce qu'elle vient de dire et avance pas après pas vers elle et Magnus, jarl du clan Gunderssen. Je le contemple quelques instants et cherche en lui des traits qui pourraient m'être familier. Puis je me rappelle de ce pourquoi je suis là quand mes yeux se posent sur le bandage qui traverse son torse.

_ Bien, puis-je ? Demandais-je à Dagny en lui montrant le bandage.

_ Oui, bien sûr, c'est même pour cela que tu es là. As-tu besoin d'aide ? Me répond-t-elle.

_ Non, je vais juste regarder pour l'instant . . . mais je serai plus rassurée si tu restes à mes côtés, rétorquais-je un peu mal à l'aise.

_ Très bien, dit-elle simplement en se reculant avec un léger sourire.

Je soulève délicatement le bandage et constate avec étonnement que la blessure n'est pas trop grande ni trop profonde. Elle ne devrait pas être mortelle. Mais la cicatrisation ne s'est pas faite correctement. En effet, la plaie est rouge vif et suinte. Un gonflement important s'est formé tout autour. Alors que je commence à palper la blessure, le jarl gémit instantanément. De plus sa peau est brûlante, sa respiration sifflante. Tout cela m'indique que son état est des plus critiques.

Je me retourne vers Dagny et lui fait part de mes premières observations afin de savoir ce que son père et elle ont déjà essayé.

_ Alors ? Qu'en penses-tu ? Me demande-t-elle impatiente.

_ Et bien, dans un premier temps, il faut faire baisser sa température et s'occuper de l'infection. La blessure n'est pas mortelle mais elle s'est infectée et s'est bien ça le principal problème, lui répondis-je.

_ Oui, mais comment ? Nous avons presque tout essayé, me rétorque-t-elle presque au bord des larmes.

_ Il me faut des linges propres et des bassines d'eau, la plus froide possible . . . et . . . il faudrait que je puisse aller chercher ce dont j'ai besoin chez toi et en forêt, continuais-je calmement.

Je retourne auprès de mon patient et enlève ce vieux bandage avant d'en mettre un propre à la place. J'ai à peine terminé que des servantes arrivent avec des linges propres et des seaux d'eau froide.

Alors que je commence à enlever les couvertures, une voix qui me fait trembler se fait entendre dans mon dos.

_ Que fait-elle là ? Empêche là de le toucher et par tous les dieux fais la sortir d'ici. Elle n'a rien à faire ici. Qu'elle sorte d'ici tout de suite, finit-elle par hurler en perdant son sang froid. Et cela semble rare quand je vois la tête des servantes du coin de l'œil.

Je termine mon geste et pose mon linge humide sur le corps du jarl et me retourne pour lui faire face. Pourtant je garde les yeux baissés sur mes doigts emmêlés.

Dagny allait répondre en entrant en courant dans la pièce suite aux éclats de voix. Mais elle est prise de vitesse par lui. Lui qui sort d'un coin sombre de la pièce. Entendre sa voix me retourne plus que je ne l'aurai cru possible.

_ Arrêtez mère, arrêtez cela tout de suite. Eivor est là à ma demande. Elle connaît des remèdes et des techniques que la grande Bergthora lui a enseignée, tonne Thorsten.

À cet instant, personne n'ose bouger ni dire quelque chose. Tout le monde se fige, y compris Vidrün . . . cela devait être la première fois qu'il se dressait contre elle ou tout au moins lui tenait tête.

Mais Vidrün, n'est pas femme à se laisser abattre si facilement. La surprise passée, elle redevient elle-même. Toutes les émotions quittent son visage et elle redevient telle la reine des glaces.

_ Je veux qu'elle sorte d'ici Thorsten. Peu importe auprès de qui elle a appris. Je . . . veux . . . qu'elle . . . sorte, reprend-t-elle toujours aussi glaciale en s'avançant vers moi.

J'allais reculer d'un pas quand une masse se positionne devant moi. Par réflexe, je lève les yeux et constate avec surprise que c'est Thorsten lui-même qui se place entre sa mère et moi, afin qu'elle ne puisse pas m'atteindre.

_ Aurais-tu oublié que l'essentiel est la survie de notre jarl, . . . de ton époux, . . . de mon père, . . ., reprend-t-il avec gravité et sang froid. Alors tu vas garder tes rancœurs pour toi et laisser Eivor faire ce qu'elle a à faire, termine-t-il sur un ton qui n'amène aucune réponse.

Et là, à ma grande surprise Vidrün se plie à sa demande non sans me jeter une dernière pique.

_ Comme tu voudras mon fils, . . . Si on me cherche, je serai auprès de ma future belle-fille qui attend votre premier né, claque-t-elle en me toisant.

Je n'ai pas besoin de lever les yeux pour sentir la froideur de son regard sur moi. Elle arrive à faire passer toute la haine qu'elle a pour moi si facilement dans un regard. Pourtant même si elle me glace les sangs. Quelque part je la comprends. Je suis la preuve vivante de la trahison de son mari, . . . de son amour pour une autre . . .

Un sanglot s'étrangle dans ma gorge car si elle savait à quel point je suis punie pour les erreurs de mes parents. Car quoi de plus horrible que d'aimer un homme que l'on ne pourra jamais avoir auprès de soi.

_ En quoi est-ce nécessaire de parler de Sigfrid et de son état en cet instant, reprend-t-il la voix chargée de colère. Penses-tu vraiment que se soit le lieu et le moment, . . . mère, . . . sors d'ici, tonne -t-il avant de la raccompagner à la porte et de la refermer derrière elle.

Je me redresse et croise le regard de Dagny. Je lui indique rapidement tout ce dont j'ai besoin ainsi que les plantes que je veux en forêt. Cette dernière ne demande pas son reste et sors sur le côté avec les deux servantes qui étaient encore là.

Quelques secondes plus tard, Thorsten et moi sommes seuls dans l'entrée. Il est toujours appuyé contre la porte. Sa respiration rapide traduit son énervement. Quand à moi, je ne sais pas quoi faire en cet instant.

Je sais que je pourrais l'apaiser par mes paroles ou même un geste de ma part . . . mais je ne peux pas . . . je ne peux plus . . . je n'en ai plus le droit. Soudain, il ouvre les yeux et m'emprisonne d'un simple regard. Un regard triste, il pense que c'est Sigfrid qui nous sépare mais . . . je ne peux pas, . . . je ne peux pas lui dire.

Son regard reste posé sur moi alors que moi je baisse le mien. Mais le picotement sur ma peau m'indique que lui ne fait pas de même. Pourtant quand il fait un pas vers moi, je recule. Je ne peux plus être proche de lui, . . . plus maintenant, . . .

Je remplis la mission pour laquelle on m'a demandé de venir. Je vais vers Magnus et poursuis ma tâche. Je change les linges humides afin de faire baisser la température. D'ailleurs c'est elle qui me préoccupe le plus. Car si elle ne baisse pas, mes remèdes pour soigner la blessure ne serviront à rien.

Alors je prends bien soin de tremper les linges dans l'eau froide avant de les étendre sur le corps du jarl. À peine ai-je terminé que Dagny est de retour avec tout ce que je lui avais demandé. Concentrée sur ma tâche et sur celle qui m'attend, je ne sens plus le regard pesant de Thorsten dans mon dos. Cela me permet de me concentrer mieux et d'avancer plus vite.

Alors que Dagny étale les préparations et plantes sur la petite table, je commence déjà à broyer les racines d'une des plantes demandées avec les étamines et le pistil d'une autre. Ensuite , j'y ajoute une pâte cicatrisante. Ce mélange me donne alors un onguent cicatrisant beaucoup plus puissant que j'appliquerai sur la plaie une fois celle-ci nettoyée en profondeur. Pour faire cela, je suis heureuse que le jarl soit évanoui, car je vais devoir ouvrir de nouveau la plaie. Et même si c'est un homme courageux, j'ai vu de valeureux vikings hurler de douleur.

Avant de m'attaquer à cette opération des plus délicates, je prépare une infusion qui devrait aider à nettoyer son sang. Une fois que tout cela sera fait, seul le temps nous dira si j'ai réussi ou non à sauver cet homme, . . . le jarl, . . . mon père . . .

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