Chapitre 23
Je regarde ces deux hommes se défier du regard, tout en essayant vainement de comprendre en quoi l'existence de simple petite fille de neuf ans comme Eivor Gunderssen pouvait menacer un clan ennemi. Où se pourrait-il qu'ils cherchaient autre chose ou quelqu'un d'autre, ce qui expliquerait une vieille conversation que j'avais surprise entre Gunnar et Thorsten.
Je pense avoir vu juste quand je remarque un signe de tête de Thorsten intimant le silence à Audar qui s'exécute à contre cœur.
_ Non, elle est Eivor, fille de Joründ que nous pouvons appeler le couard. Il s'est caché laissant les siens presque sans défense, poursuit Thorsten le visage fermé par la contrariété, enfin c'est ce que je pense y lire.
_ Eivor, . . . Eivor Gunderssen, répète Audar plusieurs fois comme s'il avait du mal à y croire. Il me semblait qu'elle était beaucoup plus jeune que cela, termine-t-il dubitatif en me détaillant du regard cherchant probablement un détail pouvant confirmer ce qu'il pense.
_ Je le pensais aussi, lui répondit Thorsten clairement agacé des doutes soulevés par Audar. Puis il reprend sûr de lui, de façon à ne pas être contredit. Sa mère me l'a confirmée avant je ne la fasse réduire au silence à jamais, termine-t-il froid et autoritaire.
Alors que ses images des plus horribles se rappellent à ma mémoire et me submergent. Audar et lui continuent leur conversation comme si je n'étais pas là. Ce qui ne m'étonne guère, Thorsten redevient le monstre Viking qui a réduit en cendre mon village et ceux qui y vivaient sans le moindre remord, quand il est au contact des siens.
Ne pouvant plus supporter les visions qui s'imposent à moi et le fait que j'avais été faible dans les bras de cet homme. Ce même homme qui s'était comporté comme un montre sanguinaire. Je ressens le besoin de m'éloigner, de faire quelques pas. Alors que je n'ai parcouru que quelques mètres en direction des vagues, je suis stoppée par une voix forte, autoritaire, . . . une voix que je reconnaîtrais entre mille, . . . et qui m'est douloureuse à entendre maintenant.
_ Où comptez-vous aller comme cela Eivor Gunderssen ? Tonne-t-il dans mon dos.
Je me fige me disant et ce à juste titre que le changement dans sa voix est annonciateur de mon futur qui ne sera pas aussi doux que ce j'avais vécu sur cet îlot perdu dans les mers du Nord. Je me retourne lentement pour lui faire face et reprend une posture de captive docile. Je n'ai guère envie de souffrir plus que nécessaire.
_ Veuillez m'excuser, je voulais seulement voir les vagues de plus près, dis-je doucement en baissant la tête.
_ Elle est au moins bien dressée, . . . ou suffisamment intelligente pour dire et . . . peut même faire ce qu'il faut pour rester en vie, se moque Audar avant de rire à gorge déployée.
Thorsten le rejoint bientôt et tous deux rient à mes dépends. Pourtant j'avais cru voir une étincelle de rage à l'encontre d'Audar traverser ses yeux bleus mais je me faisais des illusions. Tout cela était derrière nous maintenant et à jamais. Quelques instants plus tard, les deux hommes cessent de rire et Audar reprend la parole.
_ Elle devrait rejoindre les autres esclaves à bord.
_ Oui, tu as raison mon ami, commence-t-il, mais fait tout de même attention à elle. J'aimerais la présenter à mon père en un seul morceau, termine-t-il goguenard comme si tout ceci, comme si ma vie n'était qu'une simple plaisanterie à ses yeux.
Audar siffle alors un homme. Cet homme lui ressemble trait pour trait mais en plus jeune, son frère probablement. Ils échangent quelques mots à voix basse et le plus jeune s'approche de moi.
_ Venez avec moi, je vous emmène sur le bateau et vais vous montrez où vous voyagerez, me dit-il simplement avec calme ce qui m'étonne le plus vue ma position.
C'est le premier Viking que je rencontre et qui s'exprime de façon neutre. Il m'amène vers une petite embarcation qui ne peut contenir qu'une dizaine de personnes. À peine suis-je montée que nous prenons le large pour rejoindre le bateau d'Audar.
Une fois à bord, je constate aisément qu'il est beaucoup plus spartiate que celui que possédait Thorsten. Voyant que je ne bouge pas, les yeux fixés sur le rivage. Audvald, l'homme qui m'accompagne, prend les devants et répond à certaines des questions silencieuses que je me pose.
_ Nous prendrons la mer dans une heure environ, quand tout le monde sera à bord. Suivez-moi je vais vous montrer vos quartiers pour la traversée, termine-t-il en prenant soin de vérifier que je le suis.
Je marche quelques pas derrière lui jusqu'à une porte en bois. Quand il l'ouvre pour la première fois, une émotion semble traverser ses yeux. En effet, la cabine, si on peut l'appeler ainsi, ne doit pas faire de un mètre sur un mètre cinquante. Une paillasse douteuse prend presque toute la place et est recouverte d'une peau devant datée de plusieurs générations. Mais ce que je remarque surtout, c'est le loquet à l'extérieur qui permet de verrouiller la porte. Il est vrai que jusqu'à présent j'avais été libre de mes mouvements et il semblerait que cela soit terminé.
_ Veuillez m'excuser du peu de confort que nous avons à offrir une princesse de clan, me dit Audvald avec un semblant de compassion au fond de ses yeux noir comme une nuit sans lune.
_ Cela me convient, n'ayez crainte . . . je suis même étonnée d'avoir autant de privilèges, dis-je sans aucune pointe de sarcasme ni de moquerie, ce qui semble étonner mon hôte au vue de sa tête.
_ Effectivement nous avons très peu de cabines et beaucoup de monde, reprend-t-il comme désolé. Sa soudaine compassion contrastait avec l'indifférence qu'il affichait face à son frère aîné.
L'idée d'être enfermée ou plutôt cloîtrée dans cette pièce ne m'enchante guère alors je gagne du temps comme je le peux.
_ Combien de temps voyagerons-nous ? M'enquis-je aussi poliment que je le pouvais.
_ Deux jours si le temps nous est clément.
_ Dois-je y entrer dès maintenant ou puis-je rester encore un peu sur le pont ? Demandais-je en regardant le rivage le cœur gros.
Audvald semble hésiter quelques instants. Puis il m'attrape par les épaules avec fermeté pour me retourner afin que je lui fasse face.
_ Avez-vous l'intention de vous enfuir ? Me demande-t-il le plus sérieusement du monde.
Je pourrais presque voir des éclairs briller dans ses yeux. Je reste quelque peu pétrifiée par sa réaction brutale.
_ Non, . . . non n'ayez crainte, . . . je n'essaierai pas de m'enfuir si c'est cela qui vous inquiète. Je voudrais juste regarder les étoiles, terminais-je la voix légèrement tremblante.
Audvald m'observe un instant, puis sa prise sur mes épaules se relâche doucement. Sans un mot de plus, il s'éloigne de moi et retourne vaquer à ses occupations.
Je ne prête plus aucune attention à ce qui se passe autour de moi. Je ne rends compte que nous avons pris la mer que lorsque je vois les feux sur la plage s'éloigner de plus en plus. Je ne m'aperçois même pas que des larmes dévalent mes joues. Je sursaute quand Audvald se place à ma hauteur et me touche l'épaule.
_ Il vous faut rentrer dans votre cabine . . . maintenant, me dit-il cette fois sans aucune émotion.
J'acquiesce pour toute réponse et entre sans la moindre résistance dans cette cabine qui ressemble à s'y méprendre à une geôle. Même si je sais ce qui m'attend, je m'effondre sur le sol quand je l'entend verrouiller ma porte.
Enfermée dans cette pièce, je perds toute notion du temps. Je ne saurais pas dire combien de temps aura duré notre traversée. Mais une chose est sûre. Nous approchons des côtes et l'agitation sur le pont ne fait que le confirmer.
Quand Gunnar m'informe qu'Audar nous a trouvé, la joie n'est pas la première émotion qui me traverse le cœur. Certes je suis heureux de pouvoir rassurer ma famille mais je sais pertinemment ce que cela implique. La fin de cette bulle de bonheur que je partage chaque soir avec Elle, . . . Eivor. Je ne comprends toujours pas ce qu'elle a fait de moi. Je ne comprends pas pourquoi je m'attache à elle alors que Sigfrid est une parfaite compagne pour moi. J'essaie de me convaincre qu'il ne s'agit de rien de plus qu'une faiblesse momentanée mais chaque jour qui passe me prouve peu à peu le contraire.
Rentrer au château sera éprouvant pour elle. Et il y a de fortes chances pour que je ne puisse pas l'avoir près de moi pour la protéger comme il se doit. Quand elle me rejette avant de quitter la maison, je sais très bien ce qu'elle fait et je le comprends. Mais pour ma part j'ai bien peur qu'il ne soit trop tard. Peut être est-ce différent pour elle ?
À son arrivée sur la plage, je me dois de me comporter comme ce que je suis. Je ne peux pas laisser les hommes d'Audar ou lui-même penser quoique que se soit d'autre. Pour sa protection . . . et la mienne. La traversée est des plus rapide mais pas une seule fois j'ai pu la voir. J'ai essayé d'avoir de ses nouvelles par Dagny mais elle non plus ne l'a pas vue. Je n'ai guère posé de questions aux autres et quand le sujet est venu au détour d'une conversation, Audar a affirmé qu'elle allait bien. Pourtant j'ai des doutes . . . La terre est en vue, nous serons au château dans la fin de l'après-midi, j'essaierai alors de l'apercevoir, . . . juste pour être sûr qu'elle va bien, . . . rien d'autre . . .
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