II- Le guerrier
La forêt de sapin était sombre mais les raies de lumière traversant les branches et effleurant les cailloux du sentier rendaient le lieu moins lugubre. La nuit allait tombée dans quelques minutes mais ils ne feraient pas de pause.
Hinata avait mal au dos à rester ainsi assise le dos droit, mais elle ne pouvait se plaindre quand quatre pauvres hommes devaient la porter elle et son trône de plus d'une centaine de kilos. Elle s'en voulait quelque peu de leur faire subir cela. Ils ne pouvaient ni boire ni manger jusqu'à ce qu'ils atteignent leur lieu d'arrivée, c'est-à-dire tôt le lendemain matin. Enfin ils seraient libérés de son poids.
En vérité, elle n'avait aucune idée que son poids à elle comptait pour peu de chose dans la charge des hommes. Son siège princier était fait de bois brut orné de feuilles d'or sur les décorations sculptées. Le toit était couvert d'un tissu de velours bleu canard avec des liseré d'or, et ses malles en bois massifs remplis de vêtements et de bijoux. Enfin, son habitacle était rempli de coussins aux plumes d'oies. Hinata n'était donc qu'une plume de plus parmi les objets d'ornement.
Elle avait cessé de pleurer, et toutes ses larmes s'étaient taries.
Il ne lui restait plus que la peur au ventre en pensant au moment où son cousin la laisserait aux mains de cet homme désigné comme son mari.
Elle s'imaginait voir Neji s'éloigner puis disparaître dans la brume forestière et même si elle criait, aucun son ne pourrait l'atteindre, plus personne ne pourrait l'entendre à défaut de son époux et ses sbires.
Un lointain souvenir lui revint.
Elle avait 6 ans. Elle jouait avec ses poupées dans le jardin, près du bassin rempli de carpes koi blanches avec des tâches orange ou noir. Sa mère, qui était à cette époque bien vivante, vint la chercher par la main en lui demandant de laisser ses jouets. Hinata fit la moue mais en bonne petite fille obéissante, elle suivit sa mère en silence.
Les dames affectées à leur service se hâtèrent de l'habiller. Elle fut vêtue d'une robe bouffante blanche avec un gilet aux dorures pales. Il ne fallait pas faire trop extravaguant. On lui attacha les cheveux dans une longue tresse serrée, du haut du crâne jusqu'à sa taille. Attachés ainsi, ses cheveux noirs, semblaient encore plus noir, l'on ne voyait plus ses reflets bleus naturels. Sa mère conclut son apparat en lui ajoutant une couronne de petites gysophiles blanches symbolisant sa pureté, et donc sa virginité.
Toujours par la main, sa mère la conduisit jusqu'à la salle de réception des invités. Elle n'avait pas le droit d'y aller en général car son père y recevait les hommes importants du village et les femmes n'étaient normalement pas conviées à ces discussions politiques, militaires, qui les dépassaient. En tout cas, c'était ce que sa mère lui répétait.
Avant d'entrer dans la pièce, les dames de compagnies tendirent à sa mère sa coiffe ainsi qu'un long manteau noir dans lequel elle s'emmitoufla.
Hinata ne s'étonna pas de cela. Elle avait déjà vu sa mère vêtue ainsi lors des rares fois où elle sortait. On lui avait d'ailleurs appris, qu'une fois devenue femme, elle devrait se couvrir ainsi. C'était la loi chez eux. C'était pour les protéger. Lorsqu'Hinata osa une fois demander « Mais de quoi ? », elle reçut une immense gifle de son père suivit d'un « Quelle impertinence !! Fais ce que l'on te dit, c'est tout ! »
Alors elle apprit rapidement à se taire et à obéir bêtement.
« Par Ootsutsuki, que voilà un beau minois ! »
Ce fut la première phrase qu'elle entendit de la bouche des étrangers que son père accueillait et qu'elle devait semblait-il rencontrer. Elle avait à peine vu son père car elle avait du s'avancer en se prosternant le plus bas possible devant cette cohorte d'hommes.
La voix de l'invité était rauque, comme celle d'un grand-père, mais elle était forte et effrayante aussi.
Elle n'avait pas l'autorisation de relever la tête mais elle jouait de ses yeux pour essayer dans apercevoir le maximum. Elle savait qu'elle était assise à côté de sa mère, prosternée elle aussi, elle-même assise à la droite de son père. En face d'eux il y avait un homme, celui avec la voix terrifiante. Elle put entrevoir une posture désinvolte face à son père et des mains au teint halé comme quelqu'un ayant passé des journées au soleil. A côté de lui, une personne plus chétive. Plus fragile, assise très respectueusement. Elle ou il, avait l'air d'un enfant.
Les encadrant, deux hommes assis convenablement, armés de sabre sur leur côté.
« Quel âge as-tu mon enfant ? »
La voix de l'homme tonna à nouveau.
Elle leva légèrement la tête et la tourna vers son père. Celui-ci lui adressa un regard en coin et acquiesça. En ce temps-là, son père était moins dur, elle s'en souvenait bien.
Elle leva complètement le visage et ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux.
L'homme était tout aussi effrayant que sa voix.
Il avait un monosourcil épais, des yeux noirs sur fond jaune, et une barbe longue et hirsute. Ses cheveux étaient ramassés en chignon, tenant par une pique dorée. Il avait une tenue sombre, celle de guerrier habitué au combat bien qu'elle ne fût pas abimée.
Les ongles de ses mains étaient anormalement longs pour un homme et cela lui faisait des doigts crochus, comme ceux des sorciers des contes païens.
« Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as donné ta langue au crapaud ? »
L'homme avait prononcé cette phrase avec un sourire laissant apparaître ses dents parfaitement blanches et longues.
« J'ai 6 ans. »
« Hein ? »
L'homme fit mine de n'avoir rien entendu et tendit l'oreille vers elle.
« J'ai 6 ans. »
Elle l'avait répété cette fois-ci en parlant un peu plus fort.
« 6 ans hein... Très bien... Tu as le même âge que mon fils ! »
Hinata observa le garçon à côté de l'homme effrayant. Il n'avait rien en commun avec lui, rien du tout. Il avait certes les cheveux noirs comme son père, mais son teint était très pale. Il était habillé comme l'était son cousin. Comme un noble de second rang. Il gardait ses yeux baissés mais Hinata devinait des yeux noirs tristes.
« Hey ! Sois poli face à la princesse des lieux ! »
À cette injonction, s'ajouta une lourde tape dans la frêle épaule de l'enfant. Il lâcha un petit cri puis se ressaisit en voyant son père le fixer.
« Enchantée, princesse Hinata... »
Elle hocha la tête, déçue que le garçon ne se soit pas présenté à son tour. Il semblait la connaître mais elle, elle les découvrait tous.
« Hinata, ce jour est à graver dans ta mémoire. »
Son père reprit la parole, sans lui adresser un regard. Il regardait droit devant comme pour se rappeler l'objectif fixé.
« Dès que tu deviendras femme, tu iras rejoindre la demeure de ton époux ici présent. »
A ces mots, Hinata crut défaillir Elle était jeune mais depuis petite on lui parlait de son mariage ou du jour où elle allait rejoindre son mari. Elle avait du mal à comprendre mais en entendant ces mots, elle comprit vite.
« Votre union favorisera la paix entre nos deux contrées ! Nous assurerons les livraisons de vivres au clan de Yogen le visionnaire, et ce dernier ainsi que ces hommes nous assureront un traité de paix, voire d'alliance... Notamment contre les païens des contrées voisines ! »
« Alors ma petite, qu'en dis-tu ? »
Même quand elle se voulait doucereuse, la voix de l'homme restait angoissante.
Elle glissa son regard sur son « mari », car oui, ils avaient été mariés lorsqu'elle vint au monde. C'était ce que sa mère lui avait souvent raconté. Comme née pour ce mariage, cela représentait beaucoup pour les Hyūga et leur foi.
Elle ne pouvait quitter du regard le malheureux enfant à côté de l'homme. Elle ne savait pas ce qu'il avait vécu, mais elle sentait qu'il souffrait plus qu'elle en ce moment. Elle devrait prendre soin de lui, une fois qu'ils seront unis.
« Mmmh ? Pourquoi le regardes-tu ma mignonne ? »
Hinata sembla choquée à cette question. Il était normal qu'elle s'intéressât à celui avec qui elle partagerait toute sa vie.
L'homme à la barbe hirsute écarquilla les yeux. Il se mit à éclater de rire, un rire rauque, fort, insensé, qui fit même sursauter le petit à côté de lui. Il prit quelques minutes avant de retrouver sa contenance. Il se pencha en avant et joua avec quelques crins de sa barbe.
« Ma petite... Tu crois que c'est à lui que tu es mariée ? »
Le cœur de la jeunette se mit à battre plus vite que la normale sans qu'elle ne comprenne pourquoi.
L'homme fronça son monosourcil tout en souriant fièrement. Ses yeux noirs sur fond jaune parurent plus brillants.
« Non ma petite... C'est à moi que tu appartiens depuis toujours ! »
Hinata revint à elle.
Elle n'avait pas somnolé mais semblait avoir été en état d'hypnose tout du long de sa remémoration.
Elle n'avait alors que 6 ans. Elle ne savait pas que si sa mère avait eu les paumes en sang après cette réunion c'était parce qu'elle avait serré du poing de toutes ses forces tant et si bien que ses ongles étaient entrés dans sa chair.
Elle n'avait aussi aucune conscience de ce qu'il se passait réellement. Ce que cela voulait dire être mariée, et certainement pas à cet homme plus vieux qu'elle. Aujourd'hui elle savait qu'il avait la cinquantaine. Un homme de 50 ans et une jeune femme de 16 ans. Cela sonnait comme un cauchemar.
Mais la destinée s'en était mêlé lorsqu'elle saigna... Certes de la manière la plus étonnante pour elle, et de la plus déshonorante pour son père, mais ce fut le prétexte pour qu'enfin elle rejoigne l'énergumène qui l'avait tant fait peur dans son enfance.
Elle savait désormais ce qui l'attendait et elle en frissonnait. Non pas de désir mais de frayeur et de dégoût.
Elle ne pouvait s'empêcher de craindre les nuits avec son mari, le fait de partager sa couche, et même le fait de devoir porter un jour ses enfants.
Elle avait pensé à mettre fin à ses jours. Mais elle n'en avait pas eu le courage. Surtout pas dans le domaine familial. Elle ne voulait pas que sa petite sœur la retrouve ou ne la voit. Elle se dit que c'était le destin choisi par Ootsutsuki, son dieu miséricordieux et qu'elle se devait d'accepter bien que toutes ses entrailles lui criaient un grand « FUIS ! »
Elle repensa alors à Hanabi et aux mots qu'elle avait lancé à son cousin. Si seulement, il pouvait la sauver, là, tout de suite. Il la lâcherait dans la forêt et lui dirait de s'enfuir. Il paierait alors les quatre forcenés pour qu'ils se taisent pour toujours. Elle courrait à travers bois, à travers champs et demanderait à n'importe quel village de pouvoir travailler. Elle changerait de vie, et jamais, jamais on ne la retrouverait.
Loin de tout, loin de ce destin funeste, mais échappant à la future prison qui l'attendait.
Mais qu'il est beau de rêver, son cousin, bien qu'aimant, n'abandonnerait jamais les lois du culte et celles imposées à leur famille.
Elle baissa les yeux.
Ses rêves criants de libertés n'étaient que des rêves. Devant elle, son chemin marital et carcéral se dessinaient, au fil des pas, les grands bras de son geôlier se faisaient plus palpables.
Il faisait nuit sur le village. Il faisait un peu froid.
Et pourtant, alors que tout le monde se recroquevillait chez eux au coin d'un feu, un duo d'hommes furetait les ruelles les moins éclairées et fréquentées. Une lanterne à la main d'un des deux marcheurs de nuit, ils avançaient tout en surveillant leurs arrières comme s'ils craignaient d'être vus, d'être reconnus.
Ils arrivèrent vers un vieux temple quasiment détruit en périphérie du village.
Ils s'arrêtèrent dans la cour ne sachant plus où aller.
« Vous êtes en retard ! »
La voix comme sortie d'outre-tombe les firent sursauter ou presque.
« Vous savez qu'il n'est pas aisé de se rendre jusqu'ici ! Les rues ont des yeux et les murs, des oreilles ! Savez-vous ce que nous risquons en vous rejoignant ici ? »
« La faute à qui ? »
La voix se fit plus clair et venait du temple. Mais les deux hommes refusaient de faire un pas de plus en ces lieux hérétiques.
« Vous qui avez banni toutes autres pratiques et cultes que le vôtre ! Vous qui avez imposé votre foi à tous dans ce village et aux régions voisines ! Non par des raisonnements spirituels mais par l'autoritarisme, la violence et l'insécurité ! »
« Il suffit ! Nous ne sommes pas venus ici pour vous écouter ! Vos paroles ne valent rien ! VOUS ne valez rien ! Sale païen !! »
L'homme à la lanterne s'était enflammé mais recula d'un pas en distinguant la silhouette d'un homme enturbanné, vêtu de longs vêtements noir, même vêtements qui rappelaient les guerriers des temps anciens. Une longue épée brillait à son côté. Son visage était dissimulé derrière un masque relié au turban. Son regard noir les pétrifiait.
« Alors... Pourquoi m'avoir fait venir ? »
L'homme caché derrière le porteur de lanterne, s'avança. Son visage apparût alors clairement.
« Hyuga Hiashi ! »
Le concerné acquiesça.
« Pourquoi l'un des leaders du culte unique fait appeler un hérétique comme moi ici et à ces heures ? Voulez-vous me piéger ? Sachez que même si c'est le cas et que vous réussissez à m'attraper, je vous aurais déjà tué vous et votre acolyte présomptueux ! Je ne serais pas venu pour rien ! »
« Non ce n'est pas pour cela ! Vous avez ma parole d'homme de foi ! »
« Votre parole n'a pas de valeur pour moi ! »
Le chef des Hyuga afficha un rictus. Il détestait l'homme en face de lui et ce qu'il représentait en même temps qu'il avait aussi une sorte d'admiration naissante pour lui. Mais il se rappela vite que les ténèbres étaient tentatrices, alors il s'efforça d'effacer ce sentiment en lui. Le mal existait, autant l'utiliser.
« Un convoi est en marche ! Il se dirige vers le village de Kumo là où s'est établi le puissant Yogen ! »
« Je connais cette ordure ! »
« Soit ! »
Fouillant dans l'une de ses manches, le vieux Hyuga en sortit une bourse et la jeta aux pieds de l'homme en noir.
« Je veux que tu arrêtes ce convoi et que tu tues tout ceux qui s'y trouvent ! »
Il y eut un silence, marqué par le seul bruit du vent froid à travers la toiture abimée du toit.
« Pourquoi ? »
« Quoi pourquoi ? Tu es payé grassement pour ce travail ! Ne pose pas de questions ! »
D'un coup de pied brutal, l'inconnu balança la bourse à la figure de l'homme faisant sonner toutes les pièces d'or sur le pavé verdis par le limon.
« Quoi ? »
« Maître Hiashi ! Laissez-moi vous venger ! »
Hiashi leva le bras devant son jeune protecteur qui avait déjà sorti un petit couteau.
« La seule manière dont tu me vengeras c'est par ta mort ! Ne te rends-tu pas compte que tu as devant toi plus qu'un païen mais un démon ! »
« Pourtant vous voulez pactiser avec lui ! »
L'inconnu fit grincer des dents les deux hommes avec sa remarque.
« Dites-moi ce que la mort de votre fille et de votre neveu vous rapportera ? »
« Quoi ? »
Le vieil homme sembla désarçonné.
« Je suis au courant de beaucoup de choses ! Vous n'avez pas que des amis ici... Et puis, le village était en effervescence aujourd'hui ! »
Hiashi serra des dents. L'homme en face de lui ne semblait pas en démordre mais il ne pouvait se tourner vers personne d'autre. Il devait passer par un païen, même s'il parlait un jour, jamais sa parole ne sera admise comme vraie.
« Bien... Je souhaite que ma catin de fille quitte ce monde avant de mettre les pieds chez Yogen, son époux ! »
« Pourquoi ? »
Une veine d'exaspération apparut sur la tempe du Hyuga.
« Parce que si Yogen découvre qu'elle n'est plus vierge, il se retournera contre moi et peut-être même contre le village ! »
L'inconnu souffla comme insatisfait.
« Pourquoi ne pas avoir demandé à votre fidèle neveu de le faire ! Il obéit aux lois du culte unique sans esprit critique ! »
« Même lui... Même lui ne pourrait pas la tuer ! J'ai besoin d'un homme sans foi ni loi pour ce travail ! »
« J'ai une foi... Mais votre société n'accepte pas la différence ! »
« Parce qu'il n'y a qu'une seule vérité ! La nôtre est lumière ! »
« Une lumière qui tue ceux qui quittent le culte ou le critiquent, ceux qui font des erreurs, et surtout, les femmes qui osent penser ou s'émanciper ! »
« Le dieu unique nous a fait supérieurs à elles pour une bonne chose, cher démon ! Mais la sagesse de Dieu échappe à nous autres humains et encore à vous, infidèle !... Que peux-tu comprendre à cela toi qui voue un culte à toutes les libertés, et nous savons bien que la liberté mène à la décadence, à la perdition de l'âme ! »
« Conneries ! »
Hiashi souffla à son tour, impatient.
« Alors ? Allez-vous accepter ? »
L'inconnu s'avança. Les deux interlocuteurs aperçurent de plus près ses yeux noirs perçants ainsi que quelques mèches de ses cheveux tout aussi noirs dépassant de son turban et tombant sur ses tempes.
S'il n'avait été un ennemi...
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