[Terreur toxique - 5] Le fusible va sauter

Jeudi 3 octobre, 18h10

Après notre journée de travail, mes collègues et moi décidons de faire des folies : aller prendre un verre en ville.

C'est amusant, que j'y pense : il y a à peine d'une semaine, nous l'avions fait sans nous poser de question. En rentrant chez moi vers 2h du matin et en m'écroulant dans mon lit, jamais je ne me serais doutée, une dizaine de minutes plus tard, qu'une explosion aurait lieu dans une usine dangereuse à quelques pâtés de maisons de là où je me trouvais.

Mais qu'importe : ce soir, on pense et on passe à autre chose, et c'est réconfortant.

Pourtant, entre deux discussions n'ayant rien à voir avec Lubrizol, le sujet finit par s'imposer de lui-même. Un ami d'un collègue s'interroge sur le fait que le préfet actuel ait bel et bien autorisé l'usine à élargir, en dépit des règles de sécurité les plus élémentaires, sa zone de stockage de produits nocifs.

Toujours est-il qu'il nous donne une information capitale. Via son travail, il doit être amené à participer prochainement à une réunion avec ledit préfet. Et au moment de fixer la date et les modalités de cette rencontre, la préfecture a cru bon de préciser "sous réserve qu'il soit toujours en place d'ici là".

Allons bon ! Est-il sur le point de démissionner ? C'était l'une des revendications des manifestants mardi, et au vu de la situation, je ne serais pas étonnée qu'il soit rapidement remplacé. Certains politiques commencent à lui opposer ses fautes et bientôt, il sera probablement tout seul.

J'en profite pour faire un petit point juridique/politique pour que tout le monde comprenne bien pourquoi un préfet peut si facilement être poussé vers la sortie : contrairement aux députés, élus au suffrage universel direct (comme les présidents de la République) et aux sénateurs (élus par les grands électeurs — les maires notamment), les préfets sont nommés par le président, à sa discrétion, et il les vire exactement de la même manière.

Quand t'es pas élu, t'es un fusible : à la première bourde, tu sautes, surtout si ça peut faire plaisir aux électeurs.

Personnellement, je préférerais savoir si, oui ou non, ce que je respire, bois et mange va bientôt me coûter un cancer ou la capacité de devenir mère.



Vendredi 4 octobre, 08h05

L'odeur est revenue. L'effet est toujours le même : la sensation d'étouffer, la gorge qui brûle, et ce réflexe stupide de plonger le nez dans mon écharpe. Vio arrive rapidement, à mon grand soulagement.

Et quand j'ouvre la portière, elle aussi se plaint de l'odeur. Ce n'est donc pas dans ma tête.


Vendredi 4 octobre, 19h35

Je relis une dernière fois le post que je m'apprête à valider sur le groupe Wattpad ~ France, et je confirme. Le message est parti.

Les retours que j'ai reçus jusque là sur Catastrophe chimique étant bourrés d'empathie et d'encouragements, je me décide à partager le rantbook sur facebook. Rapidement, le post reçoit ses premières réactions et ces pages, les premiers commentaires.

C'est positif, et ça contrebalance les actualités plus sombres que je viens de découvrir.

Alors que le week-end dernier, des sociétés spécialisées avaient été envoyées dans toutes les écoles pour nettoyer les cours et les zones accessibles aux enfants, les premiers scandales éclatent. Une directrice d'école, à l'instar de nombreux particuliers, retrouve un morceau de toiture en fibrociment (de l'amiante, donc) dans la cour. Ces débris ont été projetés à plusieurs kilomètres à la ronde par l'explosion qui a eu lieu le 26 septembre dans la nuit. Par précaution, tous les enfants sont évacués, mais une question demeure.

Comment se fait-il que les équipes de nettoyages, censées s'assurer de la sécurité des zones où jouent les enfants, soient passées à côté d'un débris de la taille d'un poing ? S'il restait un élément de cette taille, reste-t-il des traces, même infimes, de pollutions encore plus dangereuses ?

J'apprends par la suite qu'une enquête interne a été ouverte par la mairie de Rouen. Et pour cause : ce sont au total 13 écoles maternelles et élémentaires qui ont été "partiellement nettoyées". Les parents relèvent d'ailleurs qu'aucune consigne n'a été donnée pour le nettoyage des mains : c'est bien beau de nettoyer la cour, mais lorsque les enfants manipulent des feuilles tombées des arbres qui, eux, n'ont évidemment pas pu être nettoyés (mais qui ont évidemment été exposés aux suies), ils sont directement exposés à des substances dangereuses.

Les parents sont inquiets, et il est facile de les comprendre. Il faut faire confiance "à ceux qui savent", mais si ceux qui savent oublient des morceaux de toit bourrés d'amiante dans les bacs à sable, comment faire confiance à qui que ce soit ? Comment faire confiance aux autorités qui, un jour, assurent que les espaces fréquentés par les enfants de 3 à 11 ans ont été passés au peigne fin si, quelques jours plus tard, une enquête est ouverte parce ce travail n'a pas été complètement fait ?


Pour terminer sur une note d'humour, je vous présente les citations du jour, qui nous viennent d'Éric Shnur, le PDG américain de Lubrizol :

"Nous n'attendons pas de conséquences pour la santé à court ou à long terme."

Ah bah nous non plus, on ne les attend pas vraiment de pied ferme, mais je suis pas bien certaine que notre volonté ait le moindre impact sur les conséquences pour notre santé. On vous redit ça, Éric !

"Nous sommes surpris d'apprendre que des personnes ont eu des problèmes de santé."

C'est fou le nombre de gens qui sont surpris, en ce moment. Moi, j'ai été surprise quand une usine dangereuse a pris feu et qu'on nous a dit qu'il n'y avait pas de danger.

"Deux sites sont impliqués. Nous faisons tout pour nettoyer le plus vite possible notre usine et contenir les mauvaises odeurs s'il y en a. Mais il y a un second site d'une autre entreprise et nous ne pouvons pas répondre pour eux !"

Viens, j'te prête un bout de canapé dans mon salon si tu veux tester l'odeur laissée par ton usine de merde, sale con.

En revanche, ce monsieur soulève un point intéressant que les médias viennent tout juste de révéler : en réalité, Lubrizol n'a pas brûlé seule.

Plus on est de fous, plus on rit ?


~ À suivre ~

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