[Terreur toxique - 11] C'est reparti pour un tour

Mercredi 4 décembre

Plus d'un mois après les dernières infos sur l'incendie de Lubrizol, je suis profondément agacée de devoir relayer la nouvelle qui vient de tomber.

La Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) a rendu un avis favorable pour une réouverture partielle de l'usine Lubrizol à Rouen.

Cela ne signifie pas (encore) que Lubrizol a l'autorisation de rouvrir, puisque le dossier (demeuré confidentiel pour ne pas "interférer dans les débats"...) doit maintenant être soumis au Codrest (Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques). Si le Codrest refuse, les choses en resteront là, mais comme dit notre cher préfet : "dans le cas contraire..." (les points de suspension sont importants).

Dans le cas contraire, on repart pour un tour.

Concrètement, ce qui devrait rouvrir si le Codrest valide le dossier, ce sont "deux petites unités de mélange qui nécessite de la matière première et un certain nombre de mesures de sécurités", selon le préfet (cette phrase n'est pas française, mais soit, on n'est plus à ça près). Ces deux unités n'ont en tout cas pas été touchées par l'incendie.

Dit comme ça, tout va bien, mais je suis un peu réservée. Dire oui à ça, c'est mettre le doigt dans l'engrenage pour dire oui au reste, j'en ai peur.

En outre, à ce jour, on ne sait toujours pas ce qui s'est passé et ce qui a déclenché cet incendie. Pire, on ne sait pas pourquoi il n'a pas pu être circonscrit plus tôt.

Pour moi, rouvrir maintenant, c'est au mieux envoyer un très mauvais signal à la population, au pire envoyer un mauvais signal ET commettre une erreur qui pourrait potentiellement nous (re)péter à la figure.

En attendant, voilà ce que l'on sait du projet de Lubrizol, dont l'objectif est de baisser "considérablement" (on sait pas de combien précisément, notez bien) les stocks (sous-entendu, ce qui peut cramer et nous cramer avec) :

Une fois les produits finis, ils seront sortis le soir même du site de Rouen.

Ils seront ensuite stockés ailleurs (mais on ne sait pas encore où, lolilol. En tout cas, bonne chance, "ailleurs" !).

Ou ils seront directement expédiés aux clients.

Tout va bien dans le meilleur des mondes.

Samedi 7 décembre

Trois jours après l'avis favorable de la Dreal, onze élus normands ont signé un communiqué s'opposant à la réouverture partielle de Lubrizol.

Pour une fois, je partage leur opinion à 100%, et on peut résumer les points suivants en "Pourquoi rouvrir Lubrizol maintenant est une idée de merde".

1. Plusieurs des mesures de sécurité citées dans le dossier de Lubrizol n'ont pas encore été mises en oeuvre, donc rouvrir maintenant, c'est pas tip-top (oui coucou c'est toujours moi qui parle, les élus ont pas écrit ça comme ça).

2. Stocker les fûts ailleurs, c'est cool, mais on sait toujours pas où. Donc niet. À partir du moment où on n'a pas toutes les cartes en main, c'est irresponsable de dire "oui" en partant du principe que Lubrizol sait ce qu'elle fait (l'histoire récente nous a montré que ce n'est définitivement pas le cas).

3. De même, on ne connaît pas les conditions de transport desdits fûts dangereux. À vélo, peut-être ?

4. On ne connaît toujours pas la cause de l'incendie. Lubrizol déclare qu'ils vont mener un audit de sécurité avec un organisme indépendant pour en déterminer la cause, afin d'améliorer les dispositifs de sécurité en place. Donc... pourquoi on attendrait pas d'avoir les résultats avant de se précipiter ? Si on ne sait pas encore comment faire en sorte que cela ne se reproduise plus, est-ce qu'on est vraiment sûrs de vouloir tenter le diable à nouveau ? (non parce que, c'est pas la première fois hein, au bout d'un moment faudrait arrêter de nous prendre pour des guignols)

5. L'incendie de Lubrizol a prouvé que l'État lui-même était une grosse quiche en ce qui concerne la gestion d'une telle catastrophe. Les sirènes ont vaguement sonné, au loin et inutiles, vers 7h du matin, donc bien après le début de l'incendie et la plupart des gens ne les ont même pas entendues. La communication post-catastrophe ont été à peu près aussi catastrophique que la catastrophe elle-même. Aucun exercice de simulation n'a été mené après ce qui s'est produit, aucun document de prévention n'a circulé. Par ailleurs, le projet d'alerte SMS en cas de catastrophe n'a été qu'évoqué, mais absolument pas mis en place. En clair : Rouen n'est toujours pas prête à encaisser une telle merdasse, ça n'a pas changé entre temps. Et comme Lubrizol est pas fichue de gérer sa sécurité, visiblement, on ne peut pas attendre qu'ils se foirent à nouveau.

Ce que suggèrent ces élus, c'est de rendre public le dossier pour que tout le monde puisse voir ce qu'il y a dedans (on est un peu concernés, tout de même !). En outre, le dossier ne devrait pas être confié qu'à un seul organisme, mais à 2, afin qu'il y ait une contradictoire (en clair, un organisme se prononcera à charge et un autre à décharge, ce qui permet de garantir sur tous les arguments seront soulevés et pas uniquement ceux en faveur de la réouverture).

J'aimerais qu'ils soient écoutés, mais j'y crois peu.

Vendredi 13 décembre

Un vendredi 13, comme par hasard. Notre cher préfet a signé aujourd'hui un arrêté autorisant Lubrizol à reprendre partiellement son activité.

La voix des élus n'a donc pas été écoutée, sans surprise. Par ailleurs, le Codrest a dû trancher en faveur du oui puisque, dès demain matin, Lubrizol produira à nouveau ses saloperies.

Notez que la dépollution de la zone qui a brûlé est toujours en cours, puisqu'il reste de nombreux fûts endommagés à déplacer.

Et lorsqu'il pleut beaucoup, les odeurs d'hydrocarbures reprennent de plus belle, encore à ce jour.

Est-ce que ce sera désormais ça, notre quotidien ?

Samedi 4 janvier

J'écris ces lignes le même jour que je publierai ce segment (enfin presque). Trois mois se sont écoulés depuis l'incendie. Lubrizol a repris partiellement son activité, et je ne doute pas que la suite viendra rapidement.

Il n'y a toujours aucun suivi médical pour la population, sans surprise. Même pas un courrier officiel. Rien. En fait, il ne s'est rien passé.

La prochaine manifestation "anti-Lubrizol" aura lieu le 26 janvier, exactement 4 mois après la catastrophe. Je dois avouer que je ne crois absolument pas à son utilité.

Toutes les initiatives prises çà et là se sont soldées par un échec, ou n'ont encore donné aucun résultat. Et je doute qu'elles en donnent un jour.

Lubrizol pourra continuer à faire de la merde et à mettre des populations en danger parce qu'après tout, c'est vrai quoi, il y a énormément d'argent en jeu et c'est une raison suffisante pour fermer les yeux.

Il y a quelques temps, sur Linkedin, je suis tombée sur le post d'une cadre de Lubrizol qui affichait sa "fierté" à reprendre le travail, après tous les efforts réalisés pour la réouverture de l'usine de Rouen. Il n'y a décidément aucune pudeur. Figurez-vous que beaucoup lui ont donné raison et lui ont souhaité beaucoup de réussite et de courage.

Je m'attendais à un lynchage en règle, et même ça, c'est niet. À croire que tout ça est normal.

C'est pas étonnant qu'on se fasse intoxiquer à petit feu, ici comme partout ailleurs, si la majorité des gens est aussi stupide.

Quelle merde !

"Marcher sous la suie 5 minutes avec toi, regarder les gens qu'ont 4 bras"

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