Éditer une saga de fantasy en cours d'écriture
Ou comment je vais vous parler de moi pour vous raconter ce qui m'est arrivé et comment j'ai réussi à éditer Les Carmidor en ayant (à peine) un tome d'écrit. Tout est une question de volonté, de persévérance, de mindset win-win et... NON JE DÉCONNE reposez ces tomates, j'suis pas une grognasse Linkedin.
Afin d'éviter une longue intro chiante où je présente l'intégralité de ma vie depuis ma conception, je vais résumer en quelques points ce qu'il est intéressant de savoir à mon sujet pour mieux apprécier la beauté de mon parcours hors norme :
➡️ Cela fait 15 ans que je poste des trucs que j'écris sur internet (une grosse dizaine d'années sur Skyrock, le reste sur Wattpad).
➡️ Cela fait plus de 20 ans que j'écris (avec d'énormes creux, moi la régularité je la regarde avec dédain et je retourne devant Netflix).
➡️ À l'origine, mon genre de prédilection est la fantasy plutôt politique/historique/de mœurs ("à la GoT", en gros).
➡️ J'ai longtemps été atteinte du syndrome "je ne termine rien", si bien que mon seul roman achevé, c'est mon tome 1 de fantasy (donc j'ai pas vraiment terminé puisque c'est une saga), celui dont on va parler aujourd'hui. Cinq ans et demi après l'avoir commencé, après des pauses très longues et le recours à des astuces anti-dispersement, j'ai eu bouclé mon bestiau de 170 000 mots à quelques heures de la fin des dépôts de la maison d'édition que je visais (mais on va y revenir, ça fait partie de l'histoire, ça).
Maintenant qu'on a fait le tour des choses les moins intéressantes, place au cœur du sujet : mon expérience de l'édition !
Pourquoi l'édition, c'était pas gagné d'avance
Déjà parce Les Carmidor, c'est de la fantasy et pas de la romance (et j'entends par là "de la fantasy qui ne soit pas de la romance sur fond de fantasy", la précision est importante).
Ensuite, parce que c'est une saga, donc le risque financier est plus important pour la maison qui signe avec moi (puisque, normalement, la maison est censée s'engager sur l'édition de TOUTE la saga, pas seulement le tome 1).
C'est d'autant plus vrai que je ne sais pas exactement combien il y aura de tomes (entre 4 et 6, normalement) et que seul le premier est écrit : pour beaucoup de maisons, c'est rédhibitoire puisque la condition pour envisager ÉVENTUELLEMENT de signer un auteur inconnu qui écrit une saga, c'est qu'il ait déjà bouclé tous ses tomes.
Ajoutez à cela que mon tome 1 était un mastodonte de 170 000 mots (pour beaucoup de maisons tolérantes, le max c'est 150 000 mots, donc vous voyez que les comptes sont pas bons, Kévin) et vous réunissez toutes les conditions pour que Les Carmidor ne soit jamais édité en ME.
Bon, au final, j'ai réussi toute seule à le faire passer sous la barre des 150 000 mots, cf. le segment précédent, mais à l'époque je n'avais aucune idée de comment faire un truc pareil sans retirer du contenu utile.
Pour toutes ces raisons, je n'avais pas prévu de soumettre quoi que ce soit avant d'avoir achevé la saga (ce qui, à l'époque, prévoyait de prendre 8 ou 9 siècles).
Oui mais ça, c'était avant qu'un grain de sable se coince dans les engrenages de ma non-foi en l'édition de ce projet.
La porte s'entrouvre : comment Wattpad a fait bouger les choses
Alors qu'on soit bien d'accord, ce n'est pas Wattpad qui m'a permis de signer un contrat. En fait, la personne qui a permis cet exploit était l'un de mes lecteurs sur Wattpad : Damien Mauger, l'auteur de Les Trois Gardes, une saga de fantasy éditée par Beta Publisher. À cette époque, il était le seul auteur de la collection fantasy, et c'est grâce à l'un de ses messages que tout a changé pour moi.
Il avait dévoré les trois quarts de mon tome 1 pendant l'été 2019 (à l'époque, mon machin comptait à peu près 20 000 lectures sur Wattpad, ce qui est pas trop mal vu le genre), et le 6 novembre 2019, alors que j'étais sur le point d'attaquer l'écriture du dernier chapitre de ce tome, il m'a envoyé un message pour me dire qu'il avait parlé de mon histoire à son éditrice (Camille de Beta Publisher, une maison archi cool que je lorgnais depuis quelques mois).
Et là, mon cœur s'emballe : son éditrice m'invite à déposer mon tome 1, puisque les soumissions ouvrent pendant 4 semaines.
J'ai compris un peu après que ce n'était pas un coup de piston : j'ai eu le droit de faire comme tout le monde, à ceci près que Damien avait recommandé mon bouquin à son éditrice, mais c'est tout.
Ni une ni deux, je termine mon tome 1 pendant le mois de novembre (ce fut intense, j'ai écrit plus de 600 mots par jour – oui pour moi c'est énorme), mais pari tenu : à quelques heures de la clôture des soumissions, dans la nuit du 29 novembre 2019, je dépose mon tome 1 à peine bouclé.
Et maintenant, on attend
C'est connu : le plus dur, quand on veut être édité(e), c'est d'attendre les réponses des maisons.
Bon en ce qui me concerne, ça n'a pas été le plus dur du tout, et pour cause : j'étais surtout soulagée d'avoir réussi à boucler mon tome 1 dans les temps. Étrangement, j'étais dans une bonne phase : l'attente ne m'a pas parue particulièrement difficile, et même si je n'y croyais qu'à moitié, j'y croyais un peu, et ça me mettait de bonne humeur (c'est peu de le dire).
D'autant plus que 2 semaines après le dépôt de mon tome 1, le 16 décembre 2019, je reçois cette notification sur Wattpad :
(Beta_undercover, c'est donc le compte Wattpad de Beta Publisher)
La liste de lecture de Beta Publisher ne contenait alors que les romans édités par la maison : autant vous dire que j'y ai vu un très, très bon signe.
Mon enthousiasme dégringole quelques semaines plus tard, quand les premières réponses de Beta Publisher à d'autres auteurs de mon entourage commencent à tomber : il n'y a que des refus. Et là, je stresse : si autant d'excellentes histoires sont refoulées, je n'ai aucune chance.
Alors que je commence à faire le deuil d'un contrat d'édition (en même temps, meuf, qu'est-ce que j'espérais ? Personne n'a de contrat au premier envoi, surtout pas quand on termine son manuscrit en rush !), le 6 février 2020 à 16h58, je reçois un mail sobrement intitulé "Retours Carmidor".
LA réponse
Là, avec le recul, je l'appelle "c'est un oui". Mais sur le moment, je ne m'emballe pas. Certes, je bondis dans mon bureau et je vais montrer le mail à une collègue 25 secondes après l'avoir relu pour la 6ème fois, mais je me méfie : "votre texte nous intéresse", oui, mais à quelles conditions ? À cet instant, ma grande crainte, c'est de devoir couper la bestiole en 2, chose que je n'envisage pas à ce stade.
Je vis sur Rouen et j'ai très envie de rencontrer les personnes avec qui je vais (peut-être) signer mon premier contrat d'édition : le rendez-vous est pris pour le mercredi 26 février à 18h, dans un café à côté de la gare Saint-Lazare. Avant ça, je reçois la proposition de contrat pour l'éplucher et préparer mes questions.
LE rendez-vous
Après une grosse heure de train, me voilà au café à Paris, face à Camille (l'éditrice), Élodie (l'assistante édito) et Morgane (la faiseuse de gâteaux !). Le courant passe très bien (ce qui était super important pour moi) et on me donne plein d'infos, notamment sur le système de BOD et ce que ça implique. On répond à toutes mes questions sur le contrat, et ça confirme ce que je pressentais : le contrat est honnête.
Il porte sur toute la saga des Carmidor (tome 1 et suivants, donc), et l'édition du tome 1 est prévue pour octobre 2021, soit un an et demi puis loin (ce qui me convenait très bien puisque je n'avais même pas encore commencé le tome 2, mais on y reviendra !).
Ma crainte de voir mon tome 1 coupé en 2 est vite balayée : Camille pense qu'on réussira à réduire le manuscrit sans avoir à le diviser (et OMG qu'elle avait raison !).
Bref, c'est ravie et confiante que je quitte le café. Je renvoie le contrat d'édition signé le 1er mars et j'intègre le Slack de la maison 10 jours plus tard.
Depuis ce jour, je suis donc officiellement une autrice Beta Publisher (et, spoiler : je ne l'ai pas regretté depuis).
Juin 2020 : on commence à bosser sur la couverture
Un beau jour de fin mai/début juin 2020, soit 3 mois après la signature du contrat, Camille se sent inspirée et m'envoie une première proposition pour la couverture du tome 1.
Ça a été un grand moment puisque, à l'époque infographiste, d'ordinaire, c'est moi qui propose des trucs et qui croise les doigts pour que les gens acceptent. Après des années à m'occuper des supports visuels de mon histoire, laisser la main à quelqu'un m'inquiétait beaucoup.
Heureusement pour moi, après la première impression qui m'a plongée dans un grand état de doute, j'ai adoré l'esprit de la proposition de Camille. De cette époque, on garde le fond rouge, le cormoran noir avec le style "gravure encrée", le titre découpé en blanc et archi large... l'architecture générale de la couverture, en somme ! Je demande un changement de cormoran pour être sûre que l'ambiance du roman soit bien représentée, et je propose d'entrelacer le dessin et les lettres du titre : le plus gros du travail est fait.
Camille décide de laisser reposer et d'y revenir plus tard, quand ce sera davantage le moment. L'édition, c'est dans 16 longs mois.
Décembre 2020 : le vrai boulot commence maintenant
Une année s'est écoulée depuis la fin du premier jet du tome 1. J'ai commencé à écrire le tome 2, j'ai participé à une dizaine de lives avec Camille pour tuer le temps pendant les confinements, bref : le temps est passé très vite.
Entre-temps, le tome 1 est resté intégralement disponible sur Wattpad. Les lecteurs savent qu'il sera édité à l'automne 2021, et certains continuent de me faire des retours critiques très utiles pour l'améliorer.
Avant de débuter le travail édito, je décide donc de faire une dernière grosse passe correction/réécriture de certains passages, avec dans l'idée de retirer le superflu pour faire maigrir la bestiole (et de corriger quelques incohérences et problèmes de rythme, surtout).
Parce que 170 000 mots, si vous ne l'aviez pas compris plus tôt, c'est archi long, et certains retours de l'été 2020 me l'ont même fait grimper jusqu'à 172 000 avec l'ajout d'une scène supplémentaire et de quelques descriptions. Il est donc grand temps de faire quelque chose.
Je suspends donc l'écriture du tome 2 et je mets donc à la "réécriture" du tome 1 (des guillemets parce que je ne réécris que peu de passages de manière intégrale, mais le travail est considérable et chaque ligne est modifiée).
Sauf que... je n'avance pour ainsi dire pas jusqu'à février 2021.
Février 2021 : suite et fin de la couverture
Camille reprend la casquette de graphiste et finalise la couverture. On en profite pour corriger et figer la quatrième de couverture (j'en avais réécrite une plus courte en vue de l'édition, y'avait plus qu'à fignoler) : fin février, la couverture complète était donc bouclée.
La mauvaise nouvelle (qui n'est pas une surprise), c'est qu'il est alors temps de retirer le tome 1 de Wattpad : avec l'édition qui approche, l'histoire ne peut plus rester disponible gratuitement sur internet. Je passe alors tous mes chapitres hors ligne quelques semaines plus tard, avec un pincement au cœur : désormais, il faudra attendre pour lire Les Carmidor.
Mars 2021 : réécriture intensives
Là, c'est le drame : la réécriture doit être bouclée à la fin du mois pour qu'on ait le temps d'effectuer tout le travail édito. Sauf qu'à ce stade, je n'ai quasiment rien fait : des problèmes personnels et une tonne de travail m'ont éloignée de mon tome 1 depuis plusieurs semaines, ce qui m'a totalement coupé l'envie et la motivation de m'y replonger.
Mais je n'ai pas le choix et, qu'importe les difficultés, Les Carmidor reste mon bébé : j'ai parfois envie de le noyer, mais globalement, je l'adore (instinct maternel/20).
Je pose une semaine de congés et, littéralement, je vis Carmidor pendant plusieurs longues journées où je ne fais plus que ça. Le résultat est là : la moitié du tome est corrigé (et c'était la moitié la plus problématique), elle a bien fondu et le résultat correspond à mes attentes.
Fin mars, je commence donc à envoyer mes chapitres corrigés à Camille pour qu'on attaque le travail édito, avec l'espoir que ça mette assez de temps pour me permettre de continuer à réécriture la seconde moitié avant qu'on en ait besoin.
QUELLE ERREUR.
Le travail édito : le crash test
Quand on a passé 6 ans seul(e) sur une histoire, il peut être difficile de laisser quelqu'un d'autre y apporter des modifications : heureusement (et c'est le fonctionnement normal en maison d'édition, si c'est pas ça, fuyez !), tous les changements sont soumis à mon approbation (hormis quelques virgules et fusions de paragraphes – parce que j'adore faire des paragraphes d'une phrase, sauf que ça prend une place monstrueuse de faire ça – donc on fait pas ça).
La correction du prologue et du chapitre 1 nous prend plusieurs jours, ce qui est assez long compte tenu du temps imparti et de la quantité de mots à corriger au total. Camille me rassure : c'est normal et c'est le temps de se caler.
Et elle avait raison (comme souvent)(mais pas toujours, faut pas exagérer) : les chapitres suivants ont été nettement plus simples. On n'était pas toujours d'accord, mais on réussissait toujours à trouver des compromis sans trop forcer, et à force de bosser ensemble, on sait sur quels terrains on peut négocier l'une et l'autre.
Clairement, le travail édito de ce tome 1 est à placer sous le signe des négociations, et si ça peut sembler hasardeux, c'est en réalité un mode de fonctionnement qui donne d'excellents résultats.
Notez d'ailleurs que ce mode de fonctionnement m'a valu le prix de la Vendeuse de tapis aux Jackies Awards de juin 2021 (la cérémonie de prix un peu parodique organisée par Beta Publisher).
Ce travail-là avance tant et si bien que Camille est obligée de me demander d'arrêter de repasser sur ses corrections pour me concentrer sur la réécriture des derniers chapitres : à ce rythme, elle sera bientôt en manque de carburant.
Je me remets vite sur la réécriture de la moitié de tome qui me reste. Quand enfin, le 5 mai, le dernier chapitre réécrit est envoyé à Camille, je souffle un grand coup : le plus dur est passé.
Verdict de ma réécriture du tome 1 : on est passé de 170 000 mots à 145 000, soit -17%.
Mais le travail n'est pas fini : je repasse sur les corrections édito de Camille jusqu'au 19 mai. Et là, je re-souffle un grand coup.
On est passé de 145 000 à 135 000 mots. Au total, le tome 1 a perdu plus de 20% de sa masse.
Mais le travail n'est toujours pas fini.
On laisse reposer et on y retourne
Élodie, l'assistante édito, prend le relai : elle lit l'intégralité du tome 1 et le corrige à son tour. Pendant ce temps, je boucle les emblèmes des familles (j'en avais déjà une version web, mais il me fallait une version noir & blanc pour l'édition), et je dessine une version imprimable de ma carte. Une dédicace, une petite biographie et une relecture du message d'avertissements plus tard, je me sens presque en vacances.
Grave erreur.
Fin juin, je reçois les corrections d'Élodie. Après les avoir prises en compte, j'y joins donc les miennes : c'est sans doute le passage le plus difficile de tout le processus. Je suis à la bourre, je suis noyée de boulot, et je ne peux pas m'arrêter ne serait-ce qu'un soir. Mon temps libre se limite désormais à Antidote, Word, une bière et un bureau.
Ce travail me prendra encore plusieurs dizaines d'heures, ajoutées à mon 39h en start-up. C'est littéralement sur les rotules que j'envoie mes derniers changements à Camille, le 11 août à 3 heures du matin.
Il était temps : il fallait passer commande puisque même si le tome 1 sort officiellement le 11 octobre, il doit être prêt pour son avant-première aux Aventuriales le 25 septembre. Pas l'temps d'niaiser !
Et enfin, le 20 août, la maison reçoit de superbes pavés rouges...
Conclusion : ça fait quoi, de préparer l'édition d'un bouquin ?
C'EST UN BOULOT MONSTRUEUX. Franchement, on peut le résumer à ça, c'est un boulot dingue.
Mais au-delà de toutes les améliorations que ce travail aura offert à mon tome 1, c'est aussi toute ma manière d'écrire et de corriger qui s'en retrouve améliorée : je me suis épuisée sur ces corrections, mais j'ai la sensation d'avoir plus appris en quelques mois qu'au cours de ces 2 dernières années (et pourtant, j'avais l'impression d'apprendre beaucoup).
Désormais, j'ai l'impression que je pourrais gravir l'Everest avec des bouquins.
Une suite ?
Qu'est-ce que ça fait d'être éditée ? Devient-on une sorte de super-héros qui ne mange que des légumes et qui fait 3h de sport par jour dans sa salle privée ?
Pour le savoir, suivez-moi sur Instagram : à partir du moment où mon premier tome a été édité, je suis parvenue à être (à peu près) régulière sur mes réseaux (hors Wattpad, of course), donc tout y est !
Spoiler : je ne mange pas que des légumes et je suis plutôt dans le négatif en ce qui concerne le sport.
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