[AVIS] Dragunov
Nouvelle historique par Saint Gris.
Vous savez vraiment pas où vous avez mis les pieds, hein ?
La nouvelle que vous vous apprêtez à découvrir à travers mes yeux pas en face de leurs trous est un OVNI à au moins 2 titres :
1. C'est la première oeuvre à rejoindre le bataillon de critiques postées dans ce rantbook qui ne soit pas une histoire fantasy. On n'est ni sur un roman, ni sur de la SFFF (considérez que cette entorse est un honneur)(évidemment).
2. C'est surtout, outre mes habitudes de mémé mordue d'intrigues de capes, d'épées et d'absence de respect, un récit très particulier, qui a cassé toutes mes dents de mémé baignées dans du vin de 1300 ans d'âge. Notez que j'ai aimé me faire casser les dents, dans le cas présent (chose relativement curieuse, je ne pense pas aimer me faire casser les dents, de manière générale).
Saint Gris, une autrice que vous devez absolument connaître
Dragunov, c'est avant toute chose une nouvelle écrite par Saint Gris, une autrice que je connais depuis une dizaine d'années (encore une échappée du Skyrassic Park) et dont la plume m'intriguait grandement, parce qu'elle s'abreuve d'influences rares : la littérature soviétique. Du sale, du violent, du cynique, du brut, du dégueulasse, mais de l'intelligent. Et ici, on aime se croire intelligent.
Oui, si vous n'avez jamais sorti la tête de la fantasy et de la romance, ça va vous faire tout drôle, comme mélange.
Si vous ne la connaissez pas, sachez par exemple qu'en lisant ces lignes, elle va essayer de se rappeler d'où on se connaissait, nous deux, il y a une dizaine d'années (à l'époque, je m'appelais Key et toi, tu étais madame Signal 911, celle qui vivait dans un blog qui respirait la douceur et la joie de vivre).
Un ton caustique, des histoires pas comme les autres, une autrice qui a survécu sur internet à plus d'une décennie et plusieurs plateformes : il n'en fallait pas plus pour me convaincre de me lancer, avec plus ou moins de courage, dans la lecture de l'une de ses œuvres.
Mais comme le courage, c'est pas trop mon fort (pourquoi quitter ma zone de confort alors que ce qui me tend les bras est résolument un plongeon dans un bain d'acide ?), au moment de choisir un récit de Saint Gris, j'ai opté pour une nouvelle, qui devait être postée petit à petit (bien évidemment, je n'avais pas de retard au moment de faire ce choix, mais il a suffit d'un mois pour que je sois à la bourre, résultat : j'ai mis un an entre ma lecture de la partie 1 et de la partie 2).
Même moi, parangon du courage littéraire (lol), j'ai mis un an à vraiment me mettre dans l'ambiance. Tout ça pour dire une chose : si vous n'accrochez pas immédiatement à l'histoire, c'est probablement normal. Vous êtes en terre inconnue, vous ne savez pas encore ce que vous devez (ou non) apprécier, ni comment l'apprécier. Prenez vos balls à deux mains et assumez un peu : vous verrez, vous ne regretterez pas le voyage.
Avertissement : tout comme la nouvelle dont il est question, cette chronique sera un peu éloignée de ce que je fais d'habitude. Je suis hors de ma zone de confort, et je ne cache donc pas que cet avis aura été assez complexe à rédiger.
Bienvenue à Déprimresk, la capitale de la République du Cynisme
L'histoire se déroule à Izhevsk (j'ai dû checker 56 fois l'orthographe, réciter les lettres dans ma tête à plusieurs reprises pour pas me planter, et je me suis demandé combien ça ferait de points au scrabble, ça)(hors bonus, ça fait déjà 20 points, imaginez sur un mot compte triple).
Je suis à peu près sûre que vous n'avez jamais entendu parler de cette ville, donc petite mise en contexte : il s'agit de la capitale de la République d'Oudmourtie (qui fait partie de la Russie). Et comme je suis super sympa, voici une petite carte :
Vous ne manquerez pas de noter que, par curiosité, j'ai laissé Google Maps me faire un petit itinéraire jusqu'à chez moi. À pieds, y'en a pour un petit moment, surtout que Maps doit pas aimer la Biélorussie puisqu'il me la fait contourner pour je ne sais quelle obscure raison. Bref, je m'égare.
Rien ne vaut les descriptions grinçantes de Saint Gris pour vous plonger dans le swag intense qu'est Izhevsk (cette fois-ci, j'avoue, j'ai copié/collé) :
Voilà.
Ce cadre peu glamour permet cependant à la plume de Saint Gris de révéler toute sa richesse. Vous l'aurez constaté, on est face à un paradoxe.
La ville est moche.
La description est truffée de mots et d'expressions moches (furoncle, compost, "faut bien le dire", "tout le monde s'en branle").
Et pourtant, avec du moche à tous les étages, Saint Gris fait du beau : cette description (ce n'est qu'un exemple, mais tout le texte est comme ça), elle est étrangement... belle ? Elle est efficace et elle a du chien, disons ça comme ça. Le style de Saint Gris a ceci de curieux qu'il se gorge de trucs désagréables à la lecture et à l'imagination, et en fait quelque chose de marquant.
On ne va pas se mentir, l'impression que le texte dégage est souvent assez désagréable, mais c'est aussi ce qui pousse à tourner les pages : cette espèce de curiosité un peu macabre et malsaine pour la suite de l'histoire.
Oleg, l'incarnation du brave gars que ta mère rêve de te voir ramener à un repas de famille
Oleg, c'est un type d'une trentaine d'années, membre de l'OMON, l'équivalent des CRS français. En gros, à mi-chemin entre flic et militaire, il patrouille dans le froid de l'Est pour protéger Izhevsk contre les "terroristes oudmourtes", et si ça a l'air cool dit comme ça, sachez qu'il vous fera très vite comprendre qu'à ses yeux, c'est une perte de temps et d'un profond ennui.
Oleg a, par ailleurs, l'honneur d'être le narrateur de cette histoire, et c'est bien la première fois qu'un narrateur première personne ne me donne ni l'impression de se sous-estimer les 50 premiers pourcents de l'histoire, ni la sensation de se prendre pour la plus belle gosse de la Terre (ouais, j'ai une sale image de la première personne, en vrai c'est pas si catastrophique que ça).
Oleg, il est à mi-chemin entre du rien et du vide. Rien ne l'intéresse, il est persuadé que les étrangers sont responsables d'à peu près tous les problèmes de la Russie sans pour autant être particulièrement engagé ou passionné par un quelconque mouvement politique.
Il n'a pas d'humour. Ce gars, il est totalement team premier degré, et voit tout d'un œil très cynique. Mais sans humour.
Il a un chat, Beatlik (c'est inspiré des Beatles, et je trouve ça amusant parce qu'il donne pourtant l'impression d'être très anti-Occident – Oleg hein, pas le chat), il croise un col blanc qui bosse pour la mairie, Dima, dans le métro (et s'en fait ce qui se rapproche le plus d'un "ami" pour lui), et sa nouvelle voisine, une étudiante d'une vingtaine d'années, s'appelle Katia.
Pourquoi je détaille tout ça ? Parce que le début de la nouvelle, c'est littéralement ça. Des descriptions à la fois désagréables et réussies, un protagoniste qui cultive le morne comme un art de vivre (tout en détestant ça), et une trame qui se laisse découvrir non pas pour son côté palpitant, mais sa capacité à justement tuer absolument tout enthousiasme.
Le mélange est fort curieux, et il est réussi, en ce qui me concerne.
Quand ça commence à partir en couille
Attention, à partir de là, ça commence à violemment spoiler.
Après un début qui nous laisse le temps de nous habituer au vide qui caractérise la vie d'Oleg, les choses s'accélèrent avec une manif contre le racisme (qui révèle à cette occasion, une nouvelle fois, à quel point Oleg est un connard), laquelle dégénère en grosse baston manifestants VS OMON. Très actuel, tout ça.
Des croix gammées sont taguées sur des bâtiments publics, des drapeaux oudmourtes sont brûlés, bref, ça commence à sentir mauvais.
Finalement, un attentat à la bombe déclenche un énorme incendie à la mairie et la situation tourne à l'émeute. Où qu'elle soit, Anastasia doit bien se marrer.
Rapidement, Oleg doit rejoindre les pompiers pour les aider à sauver les malheureux coincés dans la mairie qui brûle. Là, à grand renfort de descriptions macabres, Saint Gris nous re-explose la tronche avec sa plume si particulière et son absence complète de limite dans le tragique.
Oleg est le narrateur parfait pour ces descriptions, d'ailleurs, puisqu'il ne ressent pas grand chose pour qui que ce soit d'autre que lui-même et qu'il a l'empathie d'un tabouret. Ce type correspond à l'exacte définition du psychopathe.
Dima fait partie des victimes de l'incendie, et Oleg, ça lui en touche une sans faire bouger l'autre.
Vraiment, ta mère l'apprécierait.
Quand tu penses qu'Oleg est pourri, tu réalises que c'est encore pire que ce que tu pensais
L'attentat de la mairie est l'occasion pour Oleg de replonger dans ses bons souvenirs de jeune recrue de l'OMON dépêchée en Tchétchénie. Je sentais que le gars, il avait un passé pas bien net, mais je ne m'attendais tout de même pas à ce qu'il y a commis.
Simple, efficace, tragiquement basique.
C'est à ce stade que j'ai cessé de lui prêter des traits (ponctuellement)(et vaguement) sympathiques, et que j'ai compris que c'était bel et bien un fou dangereux.
La femme selon Oleg
Oleg, c'est ce ragoût douteux que Saint Gris a eu l'envie de saupoudrer d'une pincée de sexisme (enfin, une pincée... façon de parler). Voici donc mon extrait préféré :
Je ne ferais pas l'affront à cet extrait de le commenter, il se suffit à lui-même et rejoint mes préférés parmi absolument toutes mes lectures. Merci, Oleg <3
(notez par ailleurs qu'en effet, il se la tape bien, la voisine, au final. C'est un peu agaçant.)
La fin, une petite merveille de tragique que je garderai pour moi
Exceptionnellement, je ne spoilerai pas les 2 derniers évènements majeurs de cette nouvelle. Je n'aurais de toute manière pas grand chose à en dire, à part, respectivement :
AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARG
Et NAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAON
(mes critiques sont de plus en plus constructives, c'en est indécent)
Une relecture et c'est bon
Le seul point noir de cette nouvelle (d'un point de vue littéraire, hein, parce que côté tout le reste, des points noirs, y'en a plus que sur la face d'un ado malchanceux)(et entre Izhevsk et Oleg, je ne saurais dire quel est le plus gros point noir), c'est qu'elle a été écrite il y a longtemps, à une époque où Saint Gris n'était pas encore ultra calée en concordance des temps (d'ailleurs, elle le sait).
Une bonne relecture éliminerait les coquilles qui parsèment le texte. Pourtant, étrangement, la grammar nazie que je suis a mis un certain temps à mettre le doigt sur ces fautes, tant j'étais absorbée par le style si particulier de Saint Gris (ouep, d'habitude, quand je lis ça dans une critique, ça me fait lever les yeux au ciel parce que ça sonne comme un lot de consolation tout pété pour un auteur qui s'est fait larguer par son Bescherelle, mais là, vraiment, le style a fait office d'écran de fumée devant les fautes pendant 2 segments).
Bien joué, nouvelle preuve s'il y en avait besoin que vous devez absolument découvrir la plume bien à elle de Saint Gris.
En bref
Outre ces petits défauts techniques faciles à corriger, Dragunov est une nouvelle à lire absolument. Pour le style de Saint Gris (au cas où ç'aurait pas été clair), pour le cadre peu commun sur Wattpad et dans vos lectures en général (enfin, sauf si vous êtes déjà adeptes de ce genre de littérature, naturellement), pour l'ambiance singulière qui s'en dégage, pour sa chute dont je ne me suis toujours pas vraiment remise, pour sa violence et son absence de classe, mais surtout pour Oleg, un psychopathe brillamment mis en scène par Saint Gris.
Il y a une véritable mesure dans la caractérisation de ce personnage, chose d'autant plus complexe qu'il s'agit du narrateur. Son absence de nuance est d'un réalisme effroyable et dérangeant, et il est pour moi un personnage très réussi.
Glaçant et marquant, à sa façon.
Filez donc découvrir Dragunov : je vous le garantis, c'est un voyage absolument inédit.
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