📷Morgie.part.1

Les jambes à travers les barreaux du balcon, se balançant en rythme au son de mon baladeur CD, j'observais la cité sous mes pieds comme chaque samedi soir d'été. C'était plus de la surveillance pour moi, qu'autre chose.

J'avais toujours aimé espionner, ou plutôt, « me tenir informé des actes et déplacements des autres habitants du bâtiment ».

Les grands du quartier m'avaient appelé le « baby guetteur » en rigolant.

La vérité, c'est que ça les arrangeait que je fasse ça. J'étais le premier à les prévenir lorsque je voyais une voiture de keuf au loin. Même les flics en civil, je les reconnaissais.

Facile, il y avait toujours plus de blancs que de renoi ou rebeu dans leurs groupes. Et puis ils marchaient bizarrement, comme si leur arme rentrait dans leurs culs.

« Eh Momo ! »

Pas un seul sursaut de ma part, alors que ma petite sœur m'avait volé mon écouteur et le faisait tournoyer mon entre ses doigts. Pas de surprise mais de l'agacement.

— T'écoutes quoi ? Tu me prêtes ton baladeur ?

— Non et rends-moi ça.

— Allez ! Je veux écouter mon CD de Lorie !

— D'où t'as un CD de cette pouf ?

— C'est Kathia qui me l'a prêté. Allez, passe !

— Casse-toi j'te dis !

— MAMAN ! MOMO IL VEUT PAS M-

Je plaquais ma main contre sa bouche, retirant mes jambes du vide et l'envoyant contre le béton sale de notre minuscule balcon. Nounou s'agitait comme une folle pour se libérer de mon emprise mais elle n'avait aucune chance, j'étais trop fort pour elle.

« Momo ! Viens ici ! »

La voix de ma mère me fit soupirer et abandonner mon baladeur aux mains d'une gamine bien trop satisfaite à mon goût.

Me faisant gueuler dessus par un beau-père amorphe regardant la télévision, évitant les gamineries de mes deux autres petits frères et sœurs dans notre couloir trop étroit, je rejoignais l'entrée de notre petit appartement où la forte silhouette de ma mère se dessinait.

Et alors que j'arrivais à son niveau, je croisais un regard inconnu. Celui d'un gamin. Un petit blanc rondouillet à lunette.

« Momo, dis bonjour. » insista ma mère en me poussant brusquement en avant, manquant de cogner le petit gros.

Je levais les yeux, remarquant également une femme à la peau pâle portant un voile entourant sa tête.

J'étais surpris parce que les seules que je voyais comme ça, c'était les daronnes rebeu du quartier, pas une meuf ayant une tête franco-française pouvant s'appeler Marie-Gwendolyne.

— Momo ! répéta ma mère avant d'écraser sa main sur ma tête pour la baisser. Excuse-le. Il est mal luné, mon gamin !

— Pas de problème, répondit la femme en s'accroupissant pour être à mon niveau. Bonjour, Momo. Je m'appelle Isabelle, mais tu peux m'appeler Isa. Je suis ta nouvelle voisine et une collègue de ta maman. On travaille ensemble pour la mairie.

— Bonjour, madame.

Elle avait l'air très fatiguée mais son sourire était... communicatif. Il y avait quelque chose d'agréable chez elle.

— Et lui, c'est mon fils. Vous avez le même âge. Allez, présente-toi.

— Bonjour, je m'appelle And... Andy.

Nos mères eurent un échange de regard qui me fit froncer les sourcils. Comme si elles étaient au courant de quelque chose et pas moi, et je n'aimais pas ça.

D'ailleurs, je n'aimais déjà pas ce mec.

Il avait l'air trop maladroit, trop fragile, trop... faible. Il m'énervait. Et puis comment est-ce qu'il allait échapper aux keufs avec autant de poids s'il y avait une embrouille dans le quartier ?

C'était déjà un boulet.

Ma mère parlait à la sienne mais moi, j'étais concentré sur mon observation du rare spécimen devant moi. Plus je le détaillais, plus il avait l'air nerveux. Il n'arrivait même pas à soutenir mon regard.

— Momo, t'écoutes quand on te parle ?! Tu l'accompagneras et rentreras de l'école avec lui, c'est compris ?

— Hein ? Pourquoi m- aie !

— Ne discute pas ! Et tu seras gentil ! Je te jure Isa, il n'est pas possible ce gosse !

J'allais me coltiner le boulet. Ma réputation allait en prendre un coup, surtout près des grands.

Ce bolosse, il avait toutes les chances de se faire défoncer.



📷📷📷



« Momo, c'est qui ce chien qui te suit partout ? »

Ça faisait déjà une semaine. Une semaine de trop.

Cet Andy qu'on m'avait foutu dans les pattes me collait tout le temps. Pas moyen d'être tranquille mais surtout pas moyen d'avoir l'air cool devant mes potes alors qu'un petit blanc ne me lâchait pas le cul.

— C'est ton esclave ? T'aurais pu en prendre un plus maigre ! Tu le nourris de Domac ?

— T'es ouf, ça couterait trop cher ! J'lui jette des petits cailloux, regarde.

Ce genre de moment à humilier Andy, ça ne me faisait pas passer pour un bolosse auprès de mes potes. Ça les faisait marrer et il jouait le jeu. Il ne se rebellait pas.

Au fond de moi, ça m'énervait.

J'avais envie de le secouer, de lui foutre un coup dans les boules pour qu'il fasse un truc. Il était tellement faible que ça me tapait sur le système et me donnait envie de l'emmerder encore plus.

Je n'avais pas vraiment de limite. J'attendais qu'il réagisse, mais rien.

Un jour, c'était un seau d'eau du lac puant d'à côté sur sa tête.

Un autre, c'était de le faire courir partout après lui avoir piqué son sac avec les potes.

On continuait comme ça, tranquillement, pendant bien quelques mois.

Andy était vraiment devenu mon chien.

J'avais beau le traiter comme un animal, il revenait toujours vers moi.

« Pourquoi t'es comme ça ?! » lui avais-je un jour crié alors qu'il m'avait cassé les couilles.

Il n'avait pas répondu. D'ailleurs, Andy ne m'avait jamais vraiment parlé. Il restait très silencieux. On s'était dit que c'était un cassos qui ne savait pas parler mais c'était limite flippant.

Et puis un jour, alors que je faisais de l'observation à ma fenêtre, j'ai entendu une femme s'énerver.

C'était Isa, la mère d'Andy, qui gueulait au téléphone contre son ex-mari.

Je ne savais même pas que ses parents étaient divorcés et qu'il vivait seul avec elle.

Andy s'était posé contre la rambarde de son balcon et, depuis ses barreaux, je pouvais voir la gueule qu'il tirait : il était en larme et bouffait des chips.

Cette image, sur le moment, elle m'a secoué.

« Eh. » m'étais-je contenté de dire pour l'interpeller.

Il avait sursauté et s'était foutu des miettes partout sur son sweat avant de coller sa joue aux barreaux et de me regarder. On entendait toujours sa mère gueuler et ça avait l'air d'être sérieux.

— Quoi ? dit-il enfin.

— J'vais à Carrouf. Tu viens ?

Un simple regard à l'intérieur de chez lui et il hocha la tête avant d'essuyer ses larmes avec sa manche.

Une seconde après, je me demandais ce qui m'était passé par la tête pour lui proposer ça. De la pitié, surement.

On était un samedi après-midi et je me fatiguais à nous faire passer entre les tours pour éviter que mes potes nous voient ensemble alors qu'Andy, il bouffait des Princes.

Arrivé au Carrefour, je le trainais par la manche jusqu'à mon endroit préféré de cette ville de chiotte : le rayon manga.

J'adorais ça, lire par terre pendant des heures. Les vendeurs ne me chassaient pas parce que je n'étais pas le seul à faire ça : des petits gamins, des lycéens et même des adultes le faisaient.

Il y avait comme un accord entre les lecteurs et le magasin, du genre, « on vous laisse lire si vous achetez au moins un manga. »

Moi, je n'avais pas les moyens alors je me contentais de squatter.

Observ ant les nouveautés, je me laissais aller en souriant et en lui montrant la couverture d'un manga que je lisais en ce moment : Air Gear.

Andy était surpris et de ce que j'avais vu, il n'avait jamais touché à un manga de sa vie... Alors j'avais fait l'effort de corriger ça. Encore une fois par pitié, rien d'autre.

On avait passé tout l'après-midi à lire et, alors que j'avais trop envie de pisser pour rester à Carrefour, je relevais la tête de mon manga en me rendant compte qu'Andy avait disparu.

La flippe. J'étais « responsable » de lui et si je le paumais, ma mère allait me défoncer.

J'avais couru entre les rayons pour le trouver jusqu'à tomber sur sa silhouette de bouboule au rayon numérique. Andy regardait des appareils photo hors de prix mais aussi des bouquins compliqués sur la photographie.

— Qu'est-ce que tu fous ?

— J'aimerais bien faire des photos. Avoir un appareil comme ça.

— Des photos de quoi ? Y'a rien d'intéressant, ici.

— Si, toi.

Par réflexe, je l'avais frappé dans le ventre. Je ne savais pas comment réagir à ce qu'il venait de me dire...

Et surtout, je venais de remarquer que ces quelques mots constituaient la première vraie conversation entre nous.

Je ne connaissais pas Andy. Je le voyais comme un bolosse, un toutou, mais je ne savais rien de lui. Alors que lui, il m'observait...

Comme j'observais le quartier.

On avait une sorte d'étrange point commun.

Depuis ce moment-là, j'avais voulu en savoir plus... Sans pour autant devenir son ami. Devant mes potes, je continuais à le martyriser. J'étais le pire des cons.

Mais quand on était tous les deux à nos balcons, les pieds dans le vide, on arrivait à parler. C'était comme... un moment secret.

J'avais appris, après des semaines, la raison de son arrivée dans cette cité pourrie : sa mère avait un cancer du sein et son enfoiré de mari les avait lâchés à cause de ça.

Il aurait dû avoir la garde parce qu'il gardait leur maison et tout le reste mais Andy avait préféré rester avec sa mère.

Quand il parlait de son père, il transpirait la haine. Comme moi, avec le mien.

Le sien, c'était un connard de lâche. Moi, un connard d'alcoolique.

« Tiens. » m'avait-il dit un jour en me tendant à travers les barreaux, un paquet cadeau.

— C'est quoi ce truc ?

— Le fais pas tomber ! s'inquiéta-t-il, toujours un gâteau dans les mains. C'est pour toi. C'est un cadeau d'anniversaire.

— Ah ouais ?

Et lorsque j'avais déchiré le papier, j'avais presque eu les larmes aux yeux.

— C'est le premier tome de Cowboy Bepop ! Merde ! Mais comment tu l'as eu ?! Il n'est pas au Carrouf !

— C'est mon père qui a essayé d'acheter mon amour en me payant en manga et je lui ai dit de m'acheter celui-là pour te l'offrir.

— Je... T'es le seul qui se soit souvenu de mon anniv.

— Tes frères et sœurs ?

— Ils ont oublié, comme mon alcoolique de beau-père. Et ma daronne a travaillé toute la nuit donc elle pionce là. Y'a que toi qui savais... Comment t'as su, d'abord ?!

— L'autre jour, quand t'écrasais ma tête avec ta basket devant tes potes, t'as parlé de ton anniversaire qui était « pile dans un mois ».

Il s'en souvenait. D'après un moment de pure saloperie de m'a part, en plus.

A cet instant, j'ai serré le manga contre moi et ai retenu mes larmes de joie alors que je me rendais compte que j'étais le pire des connards avec Andy... Et que je ne savais pas comment arrêter.

Parce que si j'arrêtais, c'était moi qui dans tout le quartier, allais devenir une victime à martyriser.

— Merci, Andy. Vraiment.

— Andréa.

— Quoi ?

— Mon prénom, c'est Andréa. Je ne l'ai pas dit parce qu'après les gens se moquent de moi, parce que ça fait « fille ». Dans ma classe au collège, ils se moquent depuis des mois. Genre, ils me coincent dans les vestiaires des filles et me font des couettes avec des chouchous roses.

— T'es une victime aussi. Et le seul babtou fragile du quartier.

— Je n'aime pas mon prénom. J'aimerais le changer.

— Non t'es fou, c'est stylé !

— Hein ?

— Ben ouais attends ! C'est original ! T'en connais beaucoup des mecs qui s'appellent comme toi ? Non ! T'es unique !

— Merci... Mais m'appeler « Momo », ce serait plus pratique quand même. T'as de la chance.

— Nan, on me confond souvent avec Mohamed, un autre de mes potes, quand on m'appelle.

— Tu m'en veux de ne pas t'avoir dit mon vrai prénom ?

Il ressemblait vraiment à un toutou.

Il faisait pitié à s'attacher à moi, un mec qui n'en valait pas la peine. Je n'avais rien à lui donner hormis de la souffrance mais il continuait, il s'accrochait.

« Morgan. » avouais-je.

« Mon prénom à moi, ce n'est pas Momo mais Morgan. C'est aussi un prénom de fille, moins qu'Andréa, mais c'est le même délire parce que ça se prononce MorgANE et pas MorgAN. »

« Mais c'est grave stylé ! »

Le sourire qu'il m'avait fait à ce moment-là m'avait frappé au cœur. C'était tellement rare que je ne me souvenais même pas l'avoir vu sourire un jour... Et parce que c'était communicatif, j'avais fait de même.

— Je peux t'appeler Morgie ?

— Comme tu veux. T'aimes pas « Momo » ?

— Tu ne mérites pas qu'on te confonde avec quelqu'un d'autre. Toi aussi, t'es unique.

— T'es gay ?

— Hein ?! M-Mais non ! Pourquoi tu dis ça ?!

Je n'avais pas pu m'empêcher de rire, camouflant ma gêne et mes joues rouges par une pirouette.

Andy et Momo. Andréa et Morgan.

Je commençais à bien aimer cette association.



Ok, ok, j'avais dit que je publierais deux chapitres MAIS je suis trop surchargée de boulot en ce moment et je tombe de fatigue en faisant ma correction donc désolé le chapitre deux sera pour la semaine prochaine 😰

Qu'avez-vous pensé du début de ce bonus du point de vue d'un jeune Morgie ? 🤔

De son comportement, leur vie mais surtout l'attitude envers Andréa et vice versa ? Comment est-ce qu'Andréa a-t-il pu autant changer ? La réponse dans les chapitres suivants 🤭

J'espère que ça vous a plu et que vous aimerez la suite !😉N'hésitez pas à voter/commenter pour me soutenir et partager cette histoire ! A jeudi prochain 🥰

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