46🎮Et mon cœur jouit

Jouant à me balancer en arrière dans mon siège, je pousse un long soupire en regardant pour la centième fois la très courte vidéo du baiser entre Andréa et moi lors de la LAN d'IRIS.

Face à moi, sans vraiment l'être, Raaven et DarkNess en train de s'envoyer des liens sur notre conversation Discord : « les conseils pour commencer sur Twitch », « meilleurs matos audio/vidéo », « promotions sur les stream deck d'elgato » et j'en passe.

Les deux semblent se battre pour savoir qui gérera ma « carrière » alors que j'ai à peine commencé à créer ma chaine.

Et s'il n'y avait qu'eux, je pourrais ne pas y prêter attention... mais ils sont nombreux à me voir faire ça.

Mawa, HydroBlast, une très grande partie de la communauté francophone d'IRIS mais aussi des étrangers, et enfin ma famille. Surtout Tristan mais, et c'est ce qui m'a le plus surpris, ma mère.

✉Maman : Ton frère m'en a parlé. Ça ne me rassure pas comme milieu et ça n'a pas l'air stable mais si au début tu te donnes à fond tout en gardant ton travail avec le photographe... Je pense que c'est une bonne idée de te lancer. Tu donnais l'impression d'être très à l'aise devant ton écran.

J'avais manqué de m'étouffer avec un bout de brioche quand j'avais lu son SMS.

Je dois absolument remercier Tristan car il a dû lui sortir beaucoup d'arguments et la rassurer pour qu'elle m'envoie ce genre de message.

Ma mère fait un pas vers moi et si elle peut accepter ma passion, ça me rendrait sincèrement heureuse.

Mais même sans tous ces avis, je me suis décidée toute seule lorsque je marchais dans la nuit lozérienne : j'ai envie de tenter le coup.

J'aime beaucoup travailler avec Andréa mais j'ai besoin de trouver ma voie, et si tout le monde s'accorde à dire que je pourrais y être bonne, je dois le tenter.

Or, pour l'instant et avant de songer à mon avenir, je dois me concentrer sur le présent. L'exposition.

Je glisse ma souris sur la fenêtre de mon logiciel de retouche graphique et observe mon dernier dessin : une femme aux longs cheveux roux lui servant d'habits. Deux citrons verts dans une main et scintillants comme des émeraudes faisant écho à la couleur de ses iris.

Elle a quelques feuilles de citronnier se baladant çà et là dans sa chevelure et son regard dégage à la fois de l'amour et de la malice. Quant à son autre main de libre, elle tire sur une grande chaine en or par son pendentif en forme de tête de Taureau.

Tout le fond et les motifs autour d'elle ont des couleurs pastel sauf le jaune vif entouré de blanc et dont l'association rappelle volontairement une tarte au citron meringuée, le dessert lié à cette carte astrologique à l'inspiration Art Nouveau.

Cette femme, c'est censé être moi.

C'est ce qu'Andréa m'a demandé de réaliser pour notre exposition. La dernière carte. Le Taureau et le citron vert. J'ai déjà hâte de goûter à la version revisitée de la tarte meringuée du pâtissier travaillant avec nous, mais surtout...

« C'est magnifique. »

Je sursaute en entendant la voix suave de Nina derrière moi alors qu'elle est habillée comme une working girl, un dimanche matin. Jupe tailleur noir et chemise blanche, ses lèvres rouges et pulpeuses m'embrassent la joue avant qu'elle ne me fasse un clin d'œil et attrape une tasse à café dans l'égouttoir.

Brigitte est la meilleure grande sœur du monde à mes yeux mais parfois, quand je vois Nina, j'envie Anna d'avoir une sœur aussi proche d'elle en termes d'âge et donc, comprenant un peu mieux ses problèmes.

— Tu veux un café ? me demande-t-elle. Désolé de m'être imposé ces trois derniers jours chez vous.

Mi casa es su casa, réponds-je après avoir tendu mon mug vide. Je dis ça mais j'avais des loyers de retard et ta sœur m'a tellement dépanné que je ne suis qu'une squatteuse, ici.

— Les temps sont moins durs depuis que tu travailles avec Simon, non ? Pardon, « Andréa ». Habitude du boulot. Il faudrait qu'il arrête de m'appeler « Evrard » aussi.

— Ah oui, il parait que vous travaillez parfois ensemble avec Flo.

— À chaque nouvelle campagne de pub de Go Shape!, oui. Floriane et lui sont un bon duo. Au début il m'exaspérait mais quand on s'habitue à lui, ça passe.

Le bruit de la cafetière va surement réveiller Anna mais, alors que le café coule dans mon mug puis, dans sa petite tasse, je ne m'inquiète plus du sommeil de ma coloc mais de sa sœur et sa relation avec mon boss.

Je suis stupide d'être jalouse car je sais qu'il n'y a rien entre eux, mais c'est plus fort que moi.

Nina est une très belle femme et peut-être même qu'ils ont couchés ensemble, vu qu'elle est dans les « goûts » du photographe.

— Est-ce que tu as couché avec Andréa ? demandé-je sans détour.

— Oula ! Tu es cash dès le matin ! Ne serait-ce pas une pointe de jalousie que je perçois dans votre voix d'otome en fleur ?

— N-N'importe quoi ! Je-... Quoi ? C'est si perceptible que ça ?

— Ce n'est pas difficile à voir. Ni à comprendre. Surtout en voyant la vidéo tournant en boucle sur ton téléphone posé à côté de toi.

Instantanément, je retourne mon portable face contre le bureau, les joues rougies alors que Nina sirote son café en silence, le regard malicieux.

— Andréa et moi ne sommes que... Je ne sais pas trop si on pourrait dire que l'on est ami. On ne connait rien de l'autre mais on se comprend. On a la même vision des choses, un perfectionnisme prononcé dans le travail et... des similarités.

— Ah ?

— Rien qui ne puisse t'inquiéter. Andréa ne m'a jamais intéressé et vice versa. J'aime juste boire un café avec lui de temps en temps pour parler de boulot, de nos projets et débattre sur certains sujets. Et on s'appelle parfois.

— Comme jeudi soir ?

— C'était... particulier.

Le ton de sa voix change très rapidement, passant de la complicité à de la mélancolie. De la tristesse.

La raison pour laquelle Nina est chez nous depuis quelques jours et pourquoi elle a versé des litres de larmes dans la chambre de sa sœur.

Mais je ne suis pas indiscrète et je m'apprête à changer de sujet lorsqu'elle me surprend en poursuivant :

« J'avais dit à Andréa que j'allais faire un truc de dingue qu'il m'a déconseillé... mais j'ai été têtue et je ne l'ai pas écouté. Et il avait raison, sur toute la ligne. C'est pour ça que j'avais besoin de l'appeler. Pour lui dire que j'étais une femme irrécupérable. »

Ses mots me font mal au cœur sans que je ne sache pourquoi. Peut-être parce que voir cette femme que j'admire et qui semble forte comme un roc, aussi fragile et avec une si mauvaise estime d'elle, me blesse.

— Tu n'es pas u-

— Si, m'interrompt-elle. À partir du moment où tu couches avec ton patron depuis plus d'un an et que, parce qu'il t'a affirmé qu'il t'aimait et qu'il avait quitté sa femme, tu débarques à l'hôtel où vous aviez souvent rendez-vous pour finalement le croiser au bar avec cette dernière, tout sourire...

— Nina...

— Pour qu'avec un sourire gêné, il te la présente officiellement, toujours comme sa femme, et qu'il lui dise que tu es « sa meilleure employée, une brillante responsable marketing qui va bientôt se fiancer », tu es irrécupérable.

— Te fiancer ?

— Un mensonge que j'avais inventé l'an dernier dans notre boite et que je sors parfois quand on me drague avec trop d'insistance. C'est pour ça que je porte toujours une belle bague au doigt, mais c'est un cadeau de mon oncle. Bref.

— C'est... désolé. Je ne sais pas quoi dire à ton histoire.

— Le pire, c'est qu'après qu'il ait dit que j'avais un « séminaire de marketing » dans cet hôtel et qu'il m'ait incité à quitter le lieu au plus vite, il m'a envoyé un SMS. Un « Pardonne-moi mais je t'aime sincèrement » destructeur. Vraiment. Cet homme... Je sais qu'il m'aime. Il passe son temps à me le montrer... Mais il est infidèle et je suis son amante. C'était grisant au début mais c'est une belle connerie, surtout avec son patron.

— Bordel.

Nous nous retournons soudainement toutes les deux en entendant Anna jurer alors qu'elle est encore en pyjama et regarde sa sœur avec de gros yeux de poissons.

Visiblement, c'était un secret bien caché chez Nina qui mérite une conversation entre sœurs... Et j'ai l'impression d'être de trop.

Même si j'ai envie de lui faire un câlin, de dire que ça ira mieux, que je comprends, c'est faux. C'est le pire et je connais ces situations où l'on essaie de te consoler maladroitement.

Personne sauf elle peut comprendre la douleur qu'elle ressent.

— Et après ça, commence Anna d'une petite voix, tu préfères garder le secret que tu es une otaku alors que PUTAIN tu gardes bien pire comme dossier !

— On en reparlera, la coupe sèchement Nina. J'en ai déjà trop dit ce matin et la seule chose à retenir, c'est que je vais commencer à chercher un autre boulot pour démissionner.

— AH ! Mais ! Tu aimes tellement ton travail !

— J'aime aussi ma dignité et je l'ai déjà assez souillé comme ça pendant plus d'un an à cause d'un patron aussi sexy que possessif et con. Non, c'est moi qui ai été trop conne de revenir vers lui à chaque fois. J'en ai marre... Et en même temps...

— C'est dur de résister à la tentation, ponctué-je en hochant la tête.

— On dirait un scénario de mauvais roman érotique. Sauf que tu es une héroïne de manga.

La discussion se poursuit entre les filles et peu à peu, je m'éclipse pour retrouver mon ordinateur et mes projets.

La situation de Nina me rend triste pour elle mais, comme elle l'a dit plus tard, « c'est son problème, ses erreurs et ses responsabilités ». Sa maturité me ferait presque rêver.



🎮🎮🎮



« Ça va être compliqué... mais tu as gagné notre pari et je tiens mes promesses. C'est d'accord. »

Si je ne laisse rien paraitre dans ma voix au téléphone, je ne peux me retenir de lever le poing en l'air au milieu de la galerie alors que Noémie m'observe au loin, en souriant.

— Je te dirais quand j'aurais réussi.

— Merci Sylvain, vraiment ! Ne te trompe pas de date, hein ?

— Comme si j'allais oublier la date de l'exposition d'Andréa The Devil Simon et de sa muse !

— Évite de dire ça à voix haute, s'il te plait... Surtout s'il est dans les parages.

— D'ailleurs vu la faveur que je te fais, est-ce que tu vas me répondre et me dire si tu as couché avec l-

— Bon courage, Sylvain ! Et dis à Andréa qu'on s'occupe de tout à la galerie pour ce soir !

Je raccroche pour ne pas donner de quoi trop ragoter à cet homme qui a déjà bien trop conscience de ce que je ressens pour son photographe chouchou, après le service que je lui ai demandé.

Ce pari, comme quoi je ne tiendrais pas face à Andréa... Je l'ai autant gagné que perdu.

« Tout ce que je dis c'est que tu vas en chier. Sois tu vas vouloir le tuer, sois le baiser. »

Les paroles de Sylvain sont le parfait résumé de ce que je pourrais ressentir.

« Alors ? Il va réussir ? » me demande Noémie en me tendant une affiche enroulée.

M'asseyant en tailleur sur le sol en PVC noir à l'allure de parquet, je déroule ce qu'elle vient de me donner tout en retenant les bords avec mon portable et une paire de ciseaux pour admirer le résultat.

Livré par coursier depuis l'imprimeur à l'autre bout de la ville, nous observons avec attention et minutie chaque détail pour être sûres de cette version définitive de notre réalisation :

Une photo de Natacha sur fond noir dans une somptueuse robe blanche, les paupières fermées et la tête en arrière alors qu'elle tient dans une main levée, une cerise dont la couleur est similaire à son rouge à lèvres et ses ongles.

À son opposée et reprenant la même position avec une autre cerise, mon illustration d'elle dans le style Art Nouveau inspiré par Alfons Mucha mais avec des libertés rendant plus hommage que transformant mon travail en plagiat.

La liaison entre mon travail et celui d'Andréa est fluide et s'accorde... parfaitement.

Rien que d'y penser, ça me fait rire. Après tout le chemin que l'on a fait et qu'il reste à faire.

« Astro-délices, et mon cœur jouit – Exposition d'A.Simon et C.Ferrer. avec la participation du chef pâtissier E.Laprépato – Galerie MIMI »

— Laisse-moi deviner, commence Noémie, c'est Andréa qui a choisi la phrase « et mon cœur jouit » ?

— C'est une collaboration. Éric, le chef pâtissier, utilise beaucoup le « et mon cœur fond » dans la promotion de son travail alors on a décidé de reprendre la base pour l'adapter à notre sauce, avec son accord.

— Il a accepté ? Vraiment ?

— Il aime beaucoup le travail de photographe culinaire d'Andréa... En fait, de ce que j'ai compris, il n'avait pas le choix car ton « beau-fils » la gentiment menacé de diffuser une vidéo d'eux bourrée dans les cuisines d'un ancien restaurant étoilé où il faisait ses preuves.

— Oh... le fourbe...

— Un petit chantage classique. Même s'il a assuré qu'il plaisantait, Éric pense qu'il est suffisamment tordu pour le faire. Et il a raison.

— Vous me faites peur, toi et Andréa... de plus en plus. Mais j'ai envie de vous voir ensemble ! D'ailleurs, pourquoi est-ce qu'il est allé aider Sylvain sur son shooting en dernière minute alors qu'on prépare en priorité l'exposition ? Il t'évite ?

Noémie appuie malheureusement là où ça fait mal.

Andréa m'évite, c'est un fait. Mais pas « méchamment ».

On travaille toujours ensemble et à fond sur l'exposition mais dès qu'on se rapproche un peu, ne serait-ce que physiquement ou avec quelques remarques à la limite du pervers, il change de sujet.

Je pense qu'il veut rester concentrer jusqu'au bout et rendre parfaite chaque étape essentielle de notre collaboration artistique...

En mode « no zob in job » ?

Sauf que c'est trop tard dans ma tête. Et j'ai beau tenter des choses, faire des avances, il arrive à me résister et n'entre pas dans mon jeu.

Ça m'énerve et me frustre.

« Vu ton regard contrarié », souligne Noémie, « J'ai vu juste. Il reste quelques jours avant l'exposition. Floriane et Tristan nous ont aidés pour la communication et tout votre réseau y compris le mien est au courant.

On doit recevoir les impressions demain mais on sait déjà qu'il n'y aura pas d'accro vu la rigueur et le perfectionnisme de mon beau-fils. Le chef pâtissier est aussi en avance sur les délais que vous aviez anticipés et même ta surprise pour Andréa va se faire, donc...

Pourquoi tu ne prendrais pas ta soirée pour souffler un peu ? Tu pourrais aller le rejoindre à l'entrepôt où se déroule le shooting de Sylvain pour aller le chercher ? Il n'est que 22h et la nuit vous appartient encore. »

Alors que je devais l'aider au moins jusqu'à minuit pour préparer l'installation dans sa galerie, Noémie me fait une fleur en me libérant pour ma soirée... et pour que je la passe avec Andréa ?

— C'est quoi le piège ?

— Tu es comme lui, ce n'est pas possible... Il n'y a pas de piège !

— Excuse-moi, j'ai encore du mal à faire confiance à autrui depuis quelque temps.

— Aoutch ! Ça fait mal... ! Je veux juste que vous n'attendiez pas le dernier moment pour avouer vos sentiments clairement évidents pour le reste du monde.

— Tu exagères, ce n'est pas comme s'il y avait marqué sur mon front « je suis amoureuse de ce chieur d'Andréa Simon » !

— Qui est amoureuse de ce « chieur » ?

Nous sursautons en même temps et nous relevons pour faire face à l'homme derrière nous.

Un homme qu'il me semble déjà avoir vu en photo, en plus jeune.

Environ la cinquantaine, une barbe de trois jours grisonnante, des cheveux bruns avec quelques rebelles blancs, l'homme à la carrure imposante sort ses mains des poches de son manteau en cuir et croise les bras devant nous en arquant un sourcil.

Une aura presque attirante, un brin de malice dans ses yeux noirs et un ton de voix qui me rappelle, en plus de la ressemblance physique, l'objet de tous mes désirs.

Ce mec, c'est la définition d'un DILF.

« Daddy I would like to f... », bref, Noémie a bien compris cette phrase.

Et moi, après avoir rencontré sa mère et sa belle-mère, je continue à jouer aux 7 familles :

Dans la famille recomposée d'Andréa, je demande le daron.



Je m'en veux à chaque fois de faire un break d'une semaine et de vous laisser sans Chachou et Andréa 😥 J'espère que l'attente n'a pas été trop dure et que ce chapitre vous a plu !

Qu'avez-vous pensé de l'histoire de Nina ? Pour rappel, Nina est la collègue de Floriane dans Food Porn Lover et elle s'était mise à avoir une relation avec leur sexy patron Patrick...! Une situation digne d'un roman de cul mais que notre otaku trouvait à la fois exaltante et... très dérangeante ! 😨

L'exposition arrive à grand pas, comme la fin de l'histoire. Que pensez-vous du thème et de leur travail ? De l'engagement de Charlie mais également son souhait de trouver sa voie ? 🤔

Et enfin de l'arrivée du DILF qu'est le père d'Andréa ? Je voulais le faire banale mais je me suis dit que si Noémie avait résisté au charisme d'Andréa, c'était pour une trèèèèès bonne raison 😏

J'espère que ce chapitre vous a plu, n'hésitez pas à me soutenir en votant et/ou en me laissant un commentaire pour me donner votre avis ! On se retrouve la semaine prochaine pour la suite 😘

🎮🎮🎮

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top