Chapitre 8 (2/2)
La crainte gouverne le monde et l'espérance le console.
Point de vue Lolita - 22 octobre 2077
— C'est quoi ce b**del ?! s'exclama Xena, en paniquant, mais je vais faire comment pour le projet ? J'ai besoin d'électricité pour la machine ! Et puis, pour les plans ! Pour le bac, je fais comment, moi ?! Ah, mais pour mon bus aussi ! Et comment on va vivre sans électricité, dans tout ça ?!
Je la laissai vider son flot de paroles, je ne pouvais en aucun cas réagir. Comment allait-on faire ? Comment allait-on vivre ? Sans électricité, on ne pouvait désormais plus rien faire. L'électroménager, le multimédia, l'éclairage, tout était géré par cette énergie ! Et comment cela se faisait que toute l'électricité avait été coupée ? Tout le monde était presque devenu dépendant de ce mode de vie. Commencer sa journée en allumant la lumière, en chauffant son café, puis en allant prendre sa douche. Toutes ces petites choses de la vie nécessitaient l'usage de cette énergie. Et qu'est-ce qui ne fonctionnait plus ? Les barrages ? Les éoliennes ? Les usines nucléaires, hydrauliques, thermiques ? Soit c'était une grosse machination, soit c'est que la fin de l'humanité était proche.
Quoi qu'il en soit, le monde allait certainement s'écrouler dans la journée, la tension était déjà palpable. Le discours du proviseur avait laissé son lot d'interrogations et de peurs. Tout le monde songeait à une vie sans électricité. En revanche, est-ce que tout cela était bien réel ? Personne ne remettait en doute ce que venait de dire le proviseur à l'instant. Pourtant, vu tout ce que nous faisait croire le gouvernement ces dernières années, on pouvait bien se poser la question.
N'était-ce pas un nouveau moyen de pression ? Une façon de nous assujettir encore un peu plus ? Mes poings se serrèrent : si c'était le cas, Dieu sait ce qu'il comptait faire, désormais. Je pensais à mon père, cela allait devenir compliqué de continuer à travailler clandestinement dans ce milieu-là, surtout en sachant que de plus en plus de personnes savaient pour ses agissements. Mon regard se perdit dans le vide quelques instants, avant que je ne relève la tête, surprise.
Les lumières s'éteignirent d'un seul coup.
Je me calmai en rationalisant la chose. Non, ce n'était pas un esprit vengeur comme dans les films que l'on voyait autrefois. Le générateur électrique d'urgence était certainement à cours de courant et l'on était à présent plongés dans une semi pénombre, car le self était situé en face du lycée, sous l'internat. On y accédait par un escalier descendant sous la route, il était donc semi-enterré.
Ça avait une allure de film d'horreur.
Après s'être elle-même calmée, mon amie se perdit dans ses pensées. Son regard se fixa sur la pluie qui s'abattait au dehors. Je la regardai un long moment, n'osant pas la déranger. C'était vrai qu'il y avait de quoi se poser des questions. Moi-même, qui n'avais pas peur d'énormément de choses, l'avenir ne me semblait guère rassurant, maintenant.
Je posai ma main sur la sienne, pendant que le volume sonore baissait autour de nous. C'était fou comme le manque de lumière pouvait avoir comme effet sur nos voix. Pour résumer, elle me regarda intensément, puis baissa vers le regard sur nos mains. Après un instant, elle secoua doucement la tête, puis prit sa fourchette et commença à manger.
La faim revenant à la charge, je fis de même, peut-être que ce sera un peu différent, mais nous resterons comme nous sommes, non ? Il faudra juste s'habituer... Les cours commenceront et finiront avec le soleil, on devra se rendre où on veut aller à pied, on ne pourra plus « vivre » la nuit. On revenait un peu à l'époque d'antan, où tout ça n'existait pas. Je fixai d'un œil morne mon téléphone, il n'allait plus servir à grand-chose. Je l'allumai une dernière fois pour revoir des photos de ma mère décédée avant de l'éteindre, définitivement.
Mon coeur se serra douloureusement, je n'avais pas encore complètement fait mon deuil. Je séchai une larme qui perlait le long de ma joue et rangeai mon portable dans mon sac. J'en étais là de mes réflexions quand quelqu'un fit entendre sa voix au-dessus des murmures. Il monta sur la table pour qu'on puisse bien le voir et parla fort. Je savais qui c'était. Malheureusement, pas dans le bon sens, mais je ne préférais pas trop y penser. C'était assez honteux de l'évoquer. Peut-être aurais-je le courage un jour d'en parler. Car, malgré le harcèlement moral qu'il avait pu me faire, il ne s'était pas arrêté à ça...
— Hey tout le monde ! Écoutez-moi ! clama Flavien. Tout ça, c'est du faux ! L'électricité est toujours là ! C'est juste que le gouvernement veut encore nous manipuler pour nous rendre bien dociles ! Parce que c'est déjà pas assez de se faire prendre nos aïeuls, nos recherches, notre liberté d'expression, nos envies, notre joie de vivre... Ils veulent prendre nos vies maintenant !!! Venez avec moi ! On va manifester ensemble, comme avant !
Après son laïus, le silence revint. Alors que je m'attendais à un flop total, tout le monde l'applaudit. Je regardai mon amie qui affichait un dégoût apparent. Elle aussi avait été prise dans ses filets. Je lui serrai doucement la main et la pria silencieusement de finir son repas. Avait-il raison ? Fallait-il croire à son baratin ? Même si je le haïssais, ses idées étaient défendables. S'il n'avait pas été aussi odieux, je l'aurais peut-être suivi.
Un surveillant fit descendre « Auguste » de son piédestal et le conduisit chez son CPE référent. Au moins, le règlement intérieur était toujours en vigueur. Nous nous levâmes enfin et débarrassâmes nos plateaux, en les donnant directement à la plonge, puisque le tapis roulant qui était censé emmener nos couverts dans les cuisines ne fonctionnaient plus.
En remontant les escaliers et en longeant les couloirs, aucune des deux n'osa parler, on se fuyait du regard. Pourquoi ? Je ne le saurai probablement jamais, mais je pense que c'était mieux finalement. Parce que ce qui allait suivre était douloureux, et c'était mieux qu'elle se rappelle de moi heureuse, ou du moins, maussade.
Plusieurs surveillants utilisèrent une cuillère et une assiette pour signaler la reprise des cours, je me dirigeai vers la salle du cours d'anglais avec dégoût, tandis que Xena s'en alla chez elle. Je m'assis sur les marches avec les autres en attendant le prof, même si je n'avais qu'une envie : me barrer du lycée. Tout le monde me posa des questions sur lui et pourquoi j'étais sortie de son cours en larmes.
Je ne répondis pas, ou peu : certaines théories n'étaient pas si éloignées de la réalité, mais je ne voulais pas alimenter les rumeurs donc je me tus sur la véritable raison. J'avais envie que ça cesse, je ne voulais plus revoir ces images, ressentir ce que j'ai senti, je ne voulais plus avoir cours avec lui, mais il fallait tenir. Il fallait que je rejoigne ma famille d'abord, la mettre à l'abri et ensuite je me rebellerai contre ce gros pervers !
Je serrai les poings et l'entendis approcher. Fallait-il lever les yeux et affronter son regard ou au contraire, baisser la tête ? Je ne fis ni l'un ni l'autre et l'ignorai en commençant une discussion avec les filles, elles gloussèrent à une de mes blagues et un sourire naquit sur mes lèvres. Il passa derrière moi sans me dire quoi que ce soit, comme si tout avait été normal. Cela me glaça le sang.
Lorsqu'il ouvrit la salle, je montai les marches de l'escalier, comme si je me rendais vers l'échaffaud, et m'installai en silence, sortant mes affaires. L'heure passa très lentement, semblant me narguer. Je ne le regardai pas une seule fois, me contentant d'écouter sa voix rauque et grave, de quoi vous faire frissonner de mal-être. Je copiai la leçon, me rêvant dans les mondes que Victoire m'inventait parfois pour me distraire. Elle avait une imagination débordante, cette fille !
Non, ne pas pleurer. J'étais sûre qu'elle allait bien, c'était obligé.
Lorsque la cloche sonna enfin, je fus la première sortie, il me rappela malgré tout, je prétextai un devoir à rendre en maths. Les autres s'en contentèrent, même si le dernier devoir à rendre datait d'une semaine. Certes, j'aurai pu le rendre avec du retard mais, même si j'étais tête en l'air, je rendais tout à temps. Au moins, il me crut et il n'insista pas, pensant que ce serait beaucoup trop suspect de me ralentir une seconde fois. Je me dépêchai d'aller en mathématiques, et je m'assis -une fois n'est pas coutume- tout devant pour éviter qu'on ne me pose sans cesse des questions.
À côté de moi, il y avait la nouvelle, un peu étrange, soit dit en passant, que je ne remarquai que maintenant. Peut-être étais-je trop secouée ces derniers temps pour y faire attention. Je ne sais plus quelle maladie elle avait, mais avant la grande extinction d'électricité, elle avait un ordinateur. D'ailleurs, je ne savais pas comment fonctionnait son machin qu'elle avait aux oreilles. Ça faisait comme une sorte de collier, relié à des écouteurs. Moi, ça me plairait de pouvoir écouter de la musique en cours, mais j'étais pratiquement sûre que ça ne servait pas à ça. Elle était tendue et ça se voyait, mais je ne savais pas pourquoi. Compatissante, j'essayai de lui parler.
— Pssst... Hey, la nouvelle ! chuchotai-je.
— Kiko, me salua-t-elle. Moi c'est Marta Niigaïun, et toi ?
— Moi c'est Lolita, t'as l'air stressée, ça va ?
— Un peu de silence mesdemoiselles, nous reprit M. Lafayette. Donc je vous disais...
Je me perdis à nouveau dans mes pensées. Essayant tant bien que mal de me reconcentrer sur le cours de mathématiques sur les suites numériques. Soudain, je vis des ombres sur la porte. C'était des hommes armés, limite cliché, comme dans les séries. Ils passèrent la porte et se positionnèrent dans chaque coin pour quadriller la salle. Le prof, bizarrement imperturbable, laissa faire cette brusque irruption. Mais pourquoi il ne réagissait pas ?
— C'est celle-ci ! C'est Soapshop, la Prey, qu'il veut ! s'exclama un des soldats en me désignant.
— Moi ? m'inquietai-je. Je suis désolée, il y a mépri...
Deux autres me pointèrent avec leurs armes, de gros calibre, des sortes de fusils d'assaut, me coupant alors dans ma phrase. Un rapide coup d'oeil à leur uniforme noir d'encre m'indiqua qu'ils faisaient partie de la garde entrainée par Dpékan. Un B et un D entrelacés formaient leur insigne. Menacée, je n'eus d'autres choix que d'obtempérer. Je sortis de la classe, les mains sur la tête, sous le regard médusé de mes camarades, dont certains tentèrent de protester en vain. Mes affaires restèrent là, sûrement qu'ils n'en avaient que faire des cours. Je ne savais pas ce qui se passait, mais j'allais bientôt le découvrir.
— Ma chère petite Lolita ! Pourquoi t'es-tu enfuie tout à l'heure ? Je ne cherche qu'à te protéger, fit monsieur Georges en s'avançant vers moi au détour du couloir.
Je frissonnai, j'étais tendue et le ton mielleux qu'il avait employé était horrible. Je priai pour que les soldats – ou je ne sais quelle unité des forces de l'ordre – ne le laisseraient pas recommencer. Heureusement, il ne le refit pas. J'avançais le long du couloir et descendis les marches du hall. D'autres élèves, présents, étaient totalement ahuris et chuchotaient tous entre eux.
En sortant du lycée, une voiture aux vitres teintées attendait devant, prête à démarrer. Elle était noire, avec des allures de limousine en un peu plus ramasser. Je ne m'y connaissais pas trop en voiture malgré le métier de mon père. On me passa les menottes aux mains, tenues dans le dos et m'entrava les pieds. J'étais faite comme un rat si j'essayais de m'enfuir. Un dernier regard vers le lycée et je vis monsieur Georges sur le seuil de la porte d'entrée, statique. Il ne venait pas avec nous...
C'était une bonne chose. Je pénétrai dans l'habitacle et mes geôliers firent de même de chaque côté. Nous roulâmes, puis, au square des émailleurs qui se situait pas loin du lycée, je vis la nouvelle s'enfuir en courant, poursuivie par les mêmes gars armés qui étaient à côté de moi. Étaient-ils venus pour plusieurs d'entre nous ? Si oui, qui d'autre encore s'était fait kidnappé ? Je vis quelques élèves courir en passant, fuyaient-ils ou n'était-ce qu'un jeu que je me persuader être une course-poursuite ?
J'espérais qu'elle eut plus de chance que moi. Je regardai mes geôliers qui n'avaient vraiment pas l'air commode. Le trajet me parut si long que je crus m'endormir pendant un moment. Les vitres qui au départ je crus teintée étaient en réalité opaques, si bien que je ne vis pas où ils m'emenaient. La seule chose que j'ai réussi à détecter fut que nous traversions une autoroute ou une nationale car nous accélérames sur une bonne période.
Je ne vis pas non plus le chauffeur car la voiture était équipée comme les taxis, avec une séparation entre nous. Nous arrivâmes enfin toujours dans un silence religieux. On me fit descendre et entrer dans un bâtiment blanc qui ne me rappela rien quand je convoquai mes souvenirs. À l'intérieur, pas un bruit, pas une âme.
Ils m'emmenèrent ensuite dans une salle obscure, seule sur la table, trônait une bougie. On me fit asseoir et la porte se referma.
Je sursautai quand une silhouette sortit de l'ombre. Je repris contenance quand je vis son regard glacial, dénué d'expression, à quelques centimètres du mien. Je soutins le regard de la femme qui se présenta à moi. Je ne savais pas ce que je faisais ici, mais je ne comptais pas me laisser faire !
— Alors, Prey, pourquoi tu ne veux pas te soumettre ?
Prey ? Cela faisait deux fois que j'entendais ce qualificatif. Ça veut dire « proie, » en anglais, mais la proie de quoi ? Proie de qui ?
— Je vous demande pardon ? m'excusais-je. Je ne crois pas avoir saisi l'intégralité de votre question.
— Ne joue pas l'innocente, ça te va très très mal, me cherche-t-elle d'une voix mielleuse qui m'était insupportable, le même ton que monsieur Georges. Dis-moi plutôt comment Victoire Brian a-t-elle pu s'échapper et avec l'aide de qui ?
— Je ne dirai rien...
Alors Vicie s'était échappée, j'étais tellement heureuse, ce devait être Paul qui avait dû retourner sa veste une nouvelle fois, il fallait que je le retrouve pour lui toucher deux mots, à celui-là ! Bref, il ne fallait pas que je le dénonce, il risquerait de mettre Victoire en péril aussi.
— Rien de rien ? insista cette interrogatrice.
— Je pense que vous ne saisissez la signification de rien...
— D'accord, fit-elle simplement, et elle quitta la salle me laissant seule.
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