La crainte gouverne le monde et l'espérance le console.
Point de vue Lolita - 22 octobre 2077
Je regardai ma montre, il était près de sept heures et demie. J'étais encore en avance alors que j'habitais à deux pas, mais j'aimais bien l'ambiance du matin, quand les élèves arrivaient au compte-gouttes dans des couloirs encore noirs. Rien ne troublait le silence, sauf peut-être des pas ou quelques chuchotements. Je montai les marches dans le hall et tournai ma tête des deux côtés, pour voir si je reconnaissais une figure familière dans la pénombre. Je ne vis rien à droite, qui n'était autre que le couloir menant aux salles A009 à la A011, c'était principalement des salles de SVT, car il y avait les tables spéciales, appelées paillasses, de travaux pratiques et les microscopes. Sauf la A009, qui était une salle « normale » de cours, constituée essentiellement d'un tableau numérique, d'une estrade, du bureau du professeur et des tables des élèves. Le couloir de gauche était également vide. Celui-ci comportait l'infirmerie et l'entrée de la cantine ainsi que les salles A001 à A007, qui étaient généralement des salles de langues. Généralement, puisque nous pouvions avoir également des cours de français ou de mathématiques, mais c'était majoritairement là que l'on enseignait l'anglais, l'espagnol et l'allemand.
Je me tournai, face à la lumière était allumée. Je me disais que j'allais sûrement y trouver des gens avec qui discuter. Je montais les quelque marches menant au couloir d'en face et passai devant la salle des profs, le bureau des CPE et la vie scolaire, à ma gauche et la salle Rougier - salle où se déroulaient généralement les conseils de classes et nommée ainsi en l'honneur d'un ancien professeur de mathématiques - , lieu où était géré les retards, les absences et les heures de colles, le secrétariat du proviseur adjoint et son bureau, à ma droite. Je débouchai après une énième flopée de marches devant la salle d'étude surveillée avec le souffle court. Elle était en face du siège de la Maison des lycéens, instance gérée par les lycéens pour les lycées et qui s'occupait de l'activité du lycée comme les voyages, les activités scolaires, la semaine culturelle et même les petits-déjeuners du jeudi.
Je n'avais pas vraiment voulu adhérer à cette dernière, je n'avais pas tout à fait la carrure sérieuse qui était demandée pour ça. Et puis, je n'avais pas trop envie, en fin de compte, peut-être qu'être avec des gens plutôt sérieux et avoir des responsabilités me faisait fuir. Quoiqu'il en soit, je jetai un œil à l'intérieur de l'étude, mais ne vit personne que je connaissais, seulement des élèves qui finissaient leurs derniers devoirs ou leur nuit, au choix. Je décidai de prendre l'escalier qui montait à l'étage pour rejoindre ma salle.
En haut, c'était configuré à peu près de la même manière. Je passai calmement devant les salles A121 à A126 qui formaient un plateau au-dessus de l'escalier, profitant de ce silence pour écouter un peu de musique dans mes écouteurs que je sortis de ma poche puis devant l'intendance et l'administration qui s'affairait déjà de bon matin. Je saluai quiconque me disait bonjour. J'arrivais devant l'espace réservé au principal et à son secrétariat. Là encore j'avais le choix de la direction. À gauche, les salles de classe de A103 à A108, le CDI et la salle informatique. À droite, les salles de physique, allant de A109 à A120. Ensuite, dans cette zone-là, on avait une passerelle pour aller sur le troisième étage du bâtiment B, constitué de trois étages. Je pris alors cette voie-là et marcha jusqu'au bout de la passerelle, jusqu'à la dernière salle de l'étage appelée « salle Parot » en hommage à un ancien professeur d'art qui avait enseigné à Turgot et attendit devant dans le matin froid d'octobre.
Le lycée était donc composé de quatre bâtiments : le A par lequel j'étais entrée, le B celui où j'allais avoir cours, le C où il y avait une sorte de tour à étage où les BTS avaient cours et les ateliers pour les cours pratiques et aussi de grandes salles pour les cours, avec des ordinateurs, pour utiliser des logiciels en lien avec les travaux à effectuer. Pour finir, il y avait le D, beaucoup plus éloigné, mais qui était relié au C par des escaliers, où les Classes Préparatoires étudiaient. C'était à cet endroit que l'on pouvait rejoindre la salle de musculation ainsi que la salle Perrin, portant également le nom d'un professeur du Lycée, il y enseignait l'anglais.
Soudain, j'ouvris les yeux, mon esprit quittant ce souvenir du matin-même pour me replonger dans la dure réalité qu'était actuellement mon présent. Mon corps réagit, malgré moi, pour mon bien. Je poussai vivement ce prof d'anglais, justement, qui me faisait subir des choses, qui n'avaient pas lieu d'être entre un professeur et son élève, et me précipitai sur la porte, je sautai les quatre marches devant la salle et courus aussi vite que je pus dans la salle d'histoire, car j'avais encore cours. Je me souvins alors que nous n'avions pas cours dans cette salle, mais à nouveau en salle Parot, dans le bâtiment B, comme ce matin.
Je me mis à courir, bien plus vite que d'habitude, l'adrénaline me dictant mes pas, bousculant quelques étudiants. Certainement ceux qui voulaient aller manger pour onze heures trente, premier service du midi et qui attendaient patiemment ledit service. J'aurai celui de midi, si je ne ratais pas l'appel de ma classe pour aller manger, comme ça m'arrivait parfois.
Je montai les escaliers qui était juste à côté de cette salle, à bout de souffle, mais je ne me permis pas de me reposer, la peur me forçant à avancer.
Essoufflée, je m'arrêtai devant la porte et regardai derrière moi. Personne...
Je soufflai un peu, puis frappai à la porte et entrai, rouge, haletante et légèrement larmoyante.
— Ah ! Lolita ! On s'inquiétait un peu pour toi ! Monsieur Georges m'avait prévenu qu'il devait avoir une conversation avec toi... Tout se passe bien ?
J'éclatai en sanglots. Non, ça n'allait pas bien, mais j'étais pieds et poings liés. Si je disais ce que m'avait fait le prof, mon père risquait la prison, et ça, c'était impensable. Je savais que se taire était une mauvaise chose, mais je me devais de mettre ma famille à couvert avant.
Une des filles de la classe vint me soutenir sous les épaules pour que j'aille m'asseoir au fond, afin d'avoir un peu de calme. Monsieur Jazz, notre professeur, se mit à ma hauteur et tendit la main, sûrement pour me frictionner amicalement le bras, mais je déclinai en m'écartant brusquement.
— Alors ma grande ? me demanda-t-il en chuchotant. Qu'est-ce-qu'il ne va pas ?
— J-je peux r-rien vous d-dire, répondis-je entre deux sanglots. Je p-peux pas....
— Hum... Si tu en as besoin, tu peux venir me voir... Tu veux aller à l'infirmerie ?
— Surtout pas ! m'exclamai-je en pensant que mon tortionnaire pourrait m'y rejoindre.
— D'accord, alors reste-là, dit-il une lueur d'inquiétude dans ses yeux.
Il retourna à son bureau, à pas mesurés, tout en me regardant.
— Bien... On en était où ?
Il faisait l'effort de poursuivre son cours normalement, alors que toutes les têtes demeuraient dirigées vers moi. Je frissonnai de temps en temps, tandis que des images de ce qui s'était passé revenaient en moi.
Je songeai à mon père. Si je le vendais pour ma sécurité, ce serait le trahir, en plus de le perdre. Puis, une pensée me frappa. Que j'étais bien naïve ! Qu'est-ce qui me disait que ce type ne dénoncerait pas mon père au bout d'un moment ? Parce que j'étais quasi certaine que c'était ancré dans le personnage, de vendre les innocents comme ça.
Certes, c'était illégal, les innovations technologiques, mais tout de même... Il essayait, avec ses maigres moyens et connaissances biologiques, un vaccin universel contre toutes maladies : du simple rhume, au cancer en phase terminale.
En ce moment, il tentait d'extraire des cellules souches sur des rats taupes ou sur des méduses dites « immortelles. » Il pensait que c'était un début. J'admirais mon père, je ne le jetterai pas dans la cage aux lions. Je me battrai jusqu'au bout, même s'il faut tenir. Tenir face à cet homme répugnant.
Je serrai les poings à m'en faire mal, les ongles rentrant dans ma chair. Je regardai la projection au tableau sans la voir. Je percevais, de temps en temps, le discours de monsieur Jazz. Les têtes prêtaient de nouveau attention au tableau tandis que ma vue se brouillait et mon champ de vision s'obscurcissait.
— ... C'est comme ça qu'ils ont placé le câble transatlantique. Avec des kilomètres et des kilomètres de câbles et à l'aide du plus grand bateau existant à l'époque...
— Monsieur ? C'est comme ça qu'ils ont fait pour relier les cinq continents viables ? demanda un camarade.
— Oui... Depuis que les ministères ont décidé de tout contrôler au niveau du progrès on a dû retourner aux bonnes vieilles méthodes, lui répondit-il.
— Mais pourquoi arrêter les progrès ? Des gens meurent... signala un autre élève.
— On ne s'explique pas... Certains disent que ça évite que l'humanité fonce dans le mur, d'autres qu'ils essaient de purger le monde, d'autres encore, c'est pour sauver le climat, confia le professeur.
— En laissant mourir les gens de faim ou de maladie ? s'insurgea une fille.
— Et même les personnes âgées de plus de soixante-dix ans sont euthanasiées ! s'exclama un garçon, soucieux.
S'ensuivit un brouhaha, tout le monde y alla de son bon train, à ajouter leur commentaire. Je fermais les yeux : ma grand-mère allait avoir soixante-dix ans la semaine prochaine. Je savais que cette loi existait, mais cela me faisait mal d'admettre que je ne reverrai plus le seul grand-parent qu'il me restait. Je laissais des larmes couler sur mes joues, puis regardai ma montre : ça allait bientôt sonner.
J'irai alors dans le bâtiment C pour rejoindre une amie. Elle était en terminale, cette année. Elle faisait le bac technologique Sciences Technologiques de l'Industrie et du Développement Durable, autrement dit un Bac STI2D. Là, elle bossait sur le projet qu'elle devait faire pour une épreuve du bac. C'était un accoudoir assez sophistiqué pour un fauteuil roulant. On avait de la chance d'avoir des imprimantes 3D au lycée, même si elles dataient des années 2010, on en avait gagné certaines, c'était assez cool.
Heureusement, elle n'était pas seule pour son projet. Elle était entourée de trois garçons que je ne calculais même pas. Déjà, pour être amie avec cette fille, il avait fallu que Victoire me la présente, je ne serais pas allée vers elle spontanément, mais je ne le regrettais pas. La sonnerie retentit alors. Je pris mes affaires et m'approchai de la sortie quand monsieur Jazz m'interpella. Je me tournai vers lui.
— Lolita ? Tu ne veux vraiment rien me dire ?
— Ce n'est pas une question de volonté, mais de possibilité... Bonne journée, monsieur, fis-je en sortant.
Je descendis l'escalier en métal à côté de la salle, qui communiquait avec le bâtiment du foyer, et me dirigeai vers le bâtiment C.
J'ouvris une porte, puis la deuxième, tournai à droite longeant toutes les salles jusqu'à la dernière : la salle d'ITEC (Innovation Technologique en Éco-conception). Je regardai à l'intérieur et la vis en train de discuter avec un gars dont je ne percevais que le dos, il était assez grand, sûrement un des mecs qui se trouvaient dans son groupe.
Puis, ils se firent la bise et le garçon sortit en lançant un « À demain ! » tandis que mon amie pouffa encore une fois. Je ne compris pas, il n'avait pas l'air si drôle que ça. Bref, elle prit ses affaires, souhaita une bonne journée à son prof et se joignit à moi.
— Xena ! Salut !
— Salut Lolita, se calma-t-elle en essayant de cacher son rire.
— C'est qui ce mec ? Et pourquoi tu ris ?
— Il s'appelle Eydan et, en gros, on a un délire sur la Wednesday Frog...
— La grenouille du Mercredi ? demandai-je incrédule.
— Ouais, allez viens, on va manger avant qu'on ne puisse plus passer...
— Tu t'en fous toi, t'as fini les cours, plaisantai-je.
Elle me donna un coup dans les côtes qui me fit grimacer un peu. Nous sortîmes du bâtiment en traversant la cour, nous séparant de la cantine. Déjà un grand nombre d'élèves attendait.
— C'est mort, fis-je en déposant mon sac un peu lourd au sol.
— T'inquiète, on va vite passer...
— Ouais...
Mon regard se posa sur un peu tout le monde. J'essayai de savoir si quelqu'un pouvait nous entendre. J'avais besoin de me confier et Xena semblait la mieux indiquée pour.
— T'as quoi, après manger ?
— Je reprends à treize heures avec anglais, frissonai-je de dégoût.
Elle le remarqua et me questionna du regard. D'habitude, j'adorais les cours d'anglais, surtout avec madame Ramanan et que je n'en disais que du bien. Elle s'inquiéta un peu et m'en fit part :
— Qu'est-ce-qu'il s'est passé ? Toi qui adore la prof...
Je ris jaune.
— Ouais, j'adore ma prof... Si seulement elle était restée...
— Elle est partie ?! s'exclama mon amie, mais personne n'est au courant !
— Baisse d'un ton Xena, lui intimai-je. On va t'entendre et c'est pas ce que je voudrais, actuellement... J'ai besoin de te parler, rajoutai-je à mi-voix en la tirant par le bras.
Nous nous isolâmes près des casiers sans entrer dans le bâtiment, j'avais peur de croiser mon prof. Non, ce n'était même plus de la peur, mais de l'angoisse.
Une boule s'était formée dans ma gorge et mon estomac semblait pressé dans un étau. J'ouvris et fermai plusieurs fois la bouche sans dire un mot, pendant que la terminale me fixait dans l'attente d'une réponse à mon état.
— En... En f... En fait...
— Hey... Calme-toi... Ça va aller...
Elle m'enlaça pour me détendre un peu. Je me rendis alors compte que j'étais totalement crispée.
Mes épaules s'affaissèrent un peu et je lui rendis son étreinte.
— En fait, mon nouveau prof d'anglais... Hum... Comment dire ça... Il s'est montré très... Entreprenant, on va dire...
— Tu veux dire... ? laissa-t-elle en suspens sa phrase tandis qu'elle touchait sa poitrine du bout du doigt.
— Pire que ça, acquiesçai-je.
— Oh ! s'insurgea-t-elle. Viens, on va le dire au proviseur ! Monsieur Tibus va régler ça en deux minutes !
— Surtout pas ! Il... Il est au courant de ce que fait mon père...
— Mais il est hyper discret. Comment ça se fait ?
— Je sais pas... Je pense qu'on est toutes surveillées... Ce doit être à cause de Victoire...
— Oh, je comprends... Désolée... Grrrr... Il perd rien pour attendre celui-là... Tu crois que je pourrais demander à...
— Je ne veux pas d'aide, la coupai-je. Je vais laisser faire jusqu'à que je puisse mettre ma famille hors de danger, après j'aviserai...
Elle soupira. Je voyais bien qu'elle voulait faire quelque chose, mais on était impuissantes. Soudain, le brouhaha familier devint grandissant et quelques cris furent poussés.
— P**ain ! Mais non ! Allô ? Allô ?
— Toi aussi, t'as plus internet ?
— J'ai pas de réseau, les gars !
— C'est pas possible, mon message ne s'envoie pas !
— Attends, toi aussi ?
— Tu crois que les réseaux électriques sont sectionnés ?
— Il n'y a pas eu de tempête ou quoi, comment c'est possible ?
— J'en sais rien !
Face à ce mouvement de foule, je checkai, moi aussi, mon téléphone.
— Toi aussi, je présume, me fit Xéna en relevant la tête.
— Ouais, tu crois qu'il se passe quoi ?
— J'en sais rien et ça m'inquiète... Espérons que ça n'ait touché que le lycée...
— Espérons, oui...
— Les premières S2, fit le surveillant.
On se bouscula un peu et nous rentrâmes dans la cantine. Nous descendîmes les marches et Xena me suivit, on avait demandé aux AED (Auxiliaire d'Éducation Disciplinaire) que nous appelions plus couramment les pions, voire les surveillants, si elle pouvait passer parce qu'elle était toute seule. Un sourire et c'était d'accord.
On passa dans la queue, puis on s'arrêta devant le distributeur de plateaux, un autre pion nous accueillit.
— Montrez juste vos cartes, les filles, la borne ne marche pas...
— OK...
On s'exécuta, on prit nos plateaux, notre nourriture, et on s'asseya à une table de libre.
— Ça m'inquiète de plus en plus, confiai-je à mon amie.
— Moi au...
— À l'attention des élèves, des professeurs et du personnel, coupa la voix du proviseur dans les haut-parleurs. Nous sommes touchés comme les cinq autres milliards d'habitants sur terre par un dysfonctionnement des réseaux électriques, téléphoniques et internet. Et cela, à l'échelle mondiale. Nous ne savons pas quand cela redeviendra à la normale, nous estimons néanmoins que cela durera peut-être une à deux semaines. En attendant, vous conviendrez avec moi que des changements doivent s'opérer. Les lumières ne fonctionneront plus, les fontaines à eau, fours, les cuisines de la cantine ne seront plus opérationnelles. Les machines dans les ateliers seront hors service. Et à l'extérieur du bâtiment, les lignes de bus et les feux tricolores seront hors d'usage... Soyez donc vigilants ! Je vais m'arrêter là, car la liste serait bien trop longue. Pour ceux qui se poseraient la question, les hauts-parleurs sont sur batterie, mais je doute qu'elles tiennent longtemps. Ne cédons pas à la panique, faisons preuve de civisme. Bonne journée à tous !
Je regardai mon amie, ahurie. À l'échelle mondiale ?
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