Chapitre 7 (2/2)

Dans chaque ami, il y a la moitié d'un traître.


Point de Vue Lolita — 22 octobre 2077

— ... Et donc voilà comment se sont détachés les continents.

Je levai la main.

— Donc, monsieur, si je vous suis bien, avant, l'Asie était rattachée à l'Europe et l'Afrique n'était qu'à quelques kilomètres des côtes espagnoles ? m'interessai-je.

— En effet, oui, mais à cause des activités humaines et terrestres les continents ont rétréci, se sont détachés et éloignés, et les îles ont disparu sous les mers.

— Mais les scientifiques de l'époque n'ont pas vu dans quel mur on fonçait ? demanda une camarade.

— Si, mais malheureusement les gouvernements ont réagi beaucoup trop tard, certains osaient affirmer que tout cela était un complot. Nous avions eu la preuve scientifique que non, mais cela n'a pas suffit à les convaincre, expliqua le prof.

— C'est à cause des tremblements de terre et des cyclones ?

— Pas seulement, mais, entre autres, oui...

La sonnerie retentit et tout le monde commença à ranger ses affaires dans un bruit infernal. Un bruit de classe normal, me direz-vous. On entendait aussi les autres classes racler les chaises sur le sol et commencer à bavarder. Le prof attendit que la petite musique qui nous servait de sonnerie se finisse pour reprendre la parole.

— Pour mercredi vous me ferez les exercices 7 et 9 de la page 23... Attention je veux des schémas précis, avec le titre et la légende, commença-t-il avant de tourner la tête vers un élève qui s'envolait presque vers la porte. Nicolas, je n'ai pas dit de sortir, assieds-toi...

— Mais, monsieur, bougonna-t-il, ça a sonné !

— J'attends le calme...

La classe se tut alors et se regarda les uns les autres, suspicieux, voulant savoir qui troublait encore le silence et qui empêchait la classe d'accéder au Graal tant attendu : la récréation. Le professeur fit alors quelques pas dans la rangée pour nous faire languir encore un peu plus avec un sourire qui nous faisait trépigner puis il leva les mains.

— Allez-y, bon week-end les jeunes...

Je souris. Il était drôle ce prof. Non pas qu'il ait de l'humour, mais sa façon d'enseigner et de se tenir me faisaient beaucoup rire. Un peu comme s'il avait gardé son âme d'enfant. Je me levai, mon sac en bandoulière sur l'épaule, notant amèrement l'absence de ma meilleure amie, Victoire. Cela faisait plus deux mois qu'elle ne venait plus en cours et quasiment quatre, qu'elle avait disparu de la circulation. Seuls le principal, notre conseiller personnel d'éducation référent, les filles, Paul et moi-même savions la version officieuse.

Pour les autres, elle était malade et nécessitait un suivi médical très strict, ce qui faisait qu'elle ne pouvait ni recevoir de visites, ni sortir de sa chambre. Certes, beaucoup s'étaient inquiétés de cette disparition soudaine, mais beaucoup ne me posaient des questions que pour alimenter des rumeurs montées de toutes pièces. C'est pour cela qu'on avait tenu le secret. De plus, apprendre qu'elle était incarcérée pouvait grandement entacher l'image du lycée.

Je serrai un peu les poings, c'était injuste. Elle n'était que douceur, cette fille... Pourquoi la croire emprunte à des pulsions perverses ? En plus, c'était une intellectuelle ! Elle ne se serait pas faite prendre aussi bêtement ! Avec l'arme dans la main, en prime ! Et qui s'endort à côté de sa victime ? Bon, il était spécifié qu'elle était droguée, mais je n'y croyais pas une seule seconde !

Bien sûr, tout le personnel avait fermé les yeux sur le fait qu'elle n'avait même pas approché Paul et qu'elle avait été enlevée avant même d'avoir pu rejoindre la ville. Ensuite, elle avait été enfermée en prison, puis dans un hôpital, sans aucune forme de procès. Oui, j'étais allée fouiller un peu dans le dossier avec Hugo, son petit frère, mais il fallait que je puisse l'aider ! Il fallait que je puisse l'aider sur la partie civile. Même si son avocat était incompétent, je pouvais essayer de faire justice moi-même.

J'étais juste allée remettre les pendules à l'heure à Paul. Parce que, là, sérieusement, il dépassait les bornes. On s'était pas mal eng**ulés, mais il fallait que ça sorte. Je ne suis pas une fille douce, je suis plus « brute de décoffrage, » comme dirait ma mère. Bref, on avait « discuté » et il m'avait confié que ce n'était pas lui qui avait lancé l'offensive. En fait, c'était son père, et il n'avait eut aucun droit de veto là-dessus, d'autant que s'il ne la bouclait pas, il n'aurait jamais revu la lumière du jour.

Il avait flippé et avait laissé couler sans rien dire. À ce moment, je m'étais retenue de le frapper. Parce que, pendant que lui dormait sur ses deux oreilles, Victoire était séquestrée dans un hôpital pénitentiaire ! Il s'était beaucoup excusé, comme une élégie, et avait caché qu'il avait beaucoup pleuré. Certes, cela aurait dû m'attrister aussi, j'aurais dû avoir de la compassion pour lui, mais ça me mettait, au contraire, encore plus en rogne. Je lui disais d'arrêter, que les excuses, ce n'étaient pas à moi qu'il fallait les dire, mais à elle.

Il avait donc échafaudé un plan du tonnerre pour la faire sortir avec la complicité des filles du Pin Vert, tandis qu'Hugo et moi bossions sur la partie législative. Mon but était de faire valoir son innocence pour qu'elle puisse sortir par la porte des artistes et être lavée de tout soupçon, mais pour ça, il fallait que nos efforts soient combinés. Normalement, ils avaient essayé de la libérer il y a deux jours, mais les filles n'avaient plus eu de nouvelles depuis que la mère de Gisèle l'avait perdue sur la route.

D'après elle, une voiture les avait suivies et elle lui avait demandé de sauter en marche, ce qu'elle avait fait, bien entendu, avant de fuir le plus loin possible. La mère de Gisèle avait pu retenir les deux hommes armés qui cherchaient Victoire. Ils ne la trouvèrent pas non plus, ce qui était positif, mais nous étions dans l'inquiétude depuis ce fameux soir et cela commençait à peser sur tout le monde.

— Lolita ? Lolita, vous allez bien ? s'inquiéta M. Rico, mon professeur de S.V.T, en me serrant un peu l'épaule.

Je relevais la tête me rendant compte que j'avais continué à fixer la chaise vide de mon amie, n'ayant pas bougé d'un centimètre.

— Oui, oui, don't worry*, il faut que j'aille en anglais, répondis-je en courant dans les couloirs remplis d'élèves.

Je regardais ma montre et vis que j'avais cinq minutes de retard. Ça allait... Mme Ramanan était sympa, elle me laisserait entrer si je lui offrais un petit sourire désolé et un "Sorry for being late**". Tant qu'elle n'avait pas fait l'appel, c'était bon.

Je bifurquai à gauche vers les salles de langues et je tournai encore à gauche, je montai les cinq-six marches et frappai à la porte. Mais ce n'était pas ma prof. C'était qui ce vieux là ? Je vis bien ma classe, mais ce n'était pas l'enseignante de d'habitude. J'ouvris la porte, la tête un peu basse.

Hello, miss, why are you late ?

— Sorry sir, it's my biology's teacher who wanted to talk with me at the end of the class...

— Well, sit down and be quiet, miss***...

Je m'assis alors au dernier rang, place libre, bien que je n'en pensais pas moins. Ce prof me dégoûtait rien qu'à l'odeur qui émanait de lui : je sentais ce mélange d'alcool et de tabac. Sans parler de l'eau de Cologne, certainement pour couvrir les deux premières fragrances. Son costume trois pièces vert bouteille, lui faisait un teint blafard et ses grands yeux gris perçants lui donnaient un air de hibou.

J'eus cette haine viscérale qui monta en moi en un instant. Je le détestais autant que j'adorais mon autre professeur. C'est-à-dire énormément. Je sortis mes affaires et chuchotai à mon voisin pour lui demander une explication concernant ce brusque changement d'enseignant. Quelle erreur ! Je vis passer devant mes yeux un feutre qui percuta le mur derrière moi. Je sursautai vivement et lançai un regard noir à l'auteur de ce forfait.

— Écoutez moi bien jeune fille, fit-il en venant ramasser son feutre, je vais vous parler en français, car je doute que vous compreniez la langue de Shakespeare... Si vous voulez parler à la classe vous levez le doigt sinon vous vous taisez... Est-ce clair ? Puis-je vous faire confiance sur ce point ?

— Vous pouvez, monsieur, néanmoins j'aimerai connaître la raison de l'absence de madame Ramanan et de votre présence parmi nous... Puis-je vous poser cette question ? demandai-je en imitant son ton.

— Elle est en arrêt de travail, mais attention, mademoiselle, vous flirtez, avec l'insolence... Well, we'll continue the lesson****...

Je me renfrognai. Ce type ne méritait pas d'être prof. Je regardai ma montre toutes les cinq minutes, voulant que le cours passe plus vite, mais cela le fit ralentir plus encore. En plus, je n'avais aucune échappatoire pour m'évader mentalement. Je commençai à griffonner sur mon cahier la tête du prof. Je m'arrêtai quand il me regardait avec insistance et repris quand il continuait son cours avec des gestes grandiloquents. Enfin, la sonnerie retentît et je rangeai mes affaires rapidement. Je m'apprêtai à sortir quand le prof me retint par le bras.

— Je peux vous parler une minute, mademoiselle ?

Je me dégageai et lui fis face. J'attendis, debout, un peu assise sur une table, pour une note d'insolence, pour le provoquer un peu, que les autres sortent. Je soutins fermement son regard. Je ne comptais pas me laisser faire par ce type. Non, mais oh !
Lorsque tout le monde fut parti, il ferma la porte et se tourna vers moi.
Il s'approcha lentement de moi et me fixa.

Ainsi, il me donnait la nausée encore plus. Il continuait d'avancer et je reculai un peu pour ne pas à avoir à supporter son haleine fétide. Cependant, il ne s'arrêta pas là. Je me pris alors le bureau. Je chancelai un peu et un sourire mielleux s'étira sur son visage.

— Vous me voulez quoi ?

— Écoute-moi bien, Lolita... Je connais tes parents, je sais où tu habites et bien plus de choses sur toi et ta famille que tu n'imagines... Alors arrête d'être insolente avec moi, sinon je me ferai une joie de faire de ta vie un enfer...

— Qui me dit que vous ne bluffez pas ?

— Tu habites le 114 rue Paul Derignac, tes parents s'appellent Jules et Lily, ils sont respectivement mécanicien et avocate. Tu as une petite sœur qui s'appelle Justine, tu n'es pas une élève modèle, mais tu te débrouilles bien en français et en histoire, tes professeurs ont été donc surpris que tu veuilles poursuivre des études scientifiques au Lycée Turgot alors que tu avais un profil littéraire...

J'en fus estomaquée...

Comment diable pouvait-il savoir ça ?
Il avait fait des recherches sur moi ? Depuis quand m'espionnait-il ? Avait-on changé de professeur pour qu'il puisse m'observer en toute légalité ? Pourquoi l'anglais et pas une autre matière ? Qui était dans le coup ? Le directeur ? Le CPE ? C'était à propos de Victoire ? Ils me jugaient complice de sa fuite ? Je ne comprenais décidément rien à rien.

Il réduisit alors l'écart entre nous, voyant que ça m'avait troublé, puis il se montra tactile avec moi. Je rougis de honte et de colère, lui enlevai brusquement sa main et tentai de me dégager. Il sourit et essaya de retenter son forfait. Mon coeur s'accéléra : il n'avait pas le droit de faire ça ! C'était mon prof et je ne suis pas consentante ! Il se montra ensuite très entreprenant. J'échappais un hoquet de surprise et il prit ça pour un accord de ce qu'il faisait.
Je tentai à nouveau de le repousser et je réussis à le faire reculer de quelques pas.

— NON, MAIS VOUS ÊTES MALADE ?!!! explosai-je. C'EST ILLÉGAL ÇA !!!!

Il se précipita sur ma bouche pour la bâillonner. Il approcha sa bouche de mon oreille.

— Chut, ma belle... Tu ne voudrais pas que tout le monde sache que ton père fait des recherches illégales...

Je me raidis, pour ça aussi, il savait ! Bon sang, il ne faisait rien de mal ! Le gouvernement avait stoppé toutes recherches scientifiques, technologiques et de développements... Arrêtant tout progrès pour terrasser les cancers ou épidémies mortelles... Toutes nouvelles technologies ayant été abolies.

Je regardais ce pervers puis, la fenêtre de la porte, espérant que quelques curieux y regardent, mais il n'y avait personne.
Il caressa du pouce ma joue et murmura :

— Il n'y a personne jusqu'à 14h ici...

J'étais fichue... Il fallait que je réagisse... Je misai sur l'effet de surprise et sur l'adrénaline.

___

* Don't worry : Ne vous inquiétez pas

** Sorry for my late : Pardon pour mon retard.

*** : — Bonjour Mademoiselle, pourquoi êtes-vous en retard ?

— Escusez-moi, c'est mon professeur de biologie qui voulait me parler à la fin du cours

— Bien, asseyez vous et taisez vous, mademoiselle.

**** Well, we continue the lesson : Bref, on continue la leçon.

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