Chapitre 4 (2/2)

Un jugement trop prompt est souvent sans justice.


Point de vue Victoire – 22 octobre 2077

Les mois , ou les semaines, ou les jours, je ne savais pas vraiment où j'en étais, suivant mon internement dans l'hopital carcéral où j'étais désormais détenue de par mon procés perdu furent rythmés par les doses de morphine, les rechutes qui étaient chaque fois plus violentes que les précédentes, les rares toilettes dont on me dispensait et les maigres repas en intraveineuse qui n'étaient là que pour me maintenir en vie. Mes blessures étaient guéries, mais je devenais un peu apathique, les drogues et la faim n'aidant en rien. En plus, je n'avais vraiment personne pour me tenir compagnie, tout le monde me fuyait comme si j'étais devenue ennemie public. Dans les premier temps, quand je n'étais pas encore tout à fait une larve, j'avais tenté de me libérer car ma vie me manquait. Tout, mes amies, les sorties, même Paul qui était quand même responsable de ça, j'avais envie de retourner à ma vie d'avant, mais ce n'était qu'utopie. J'avais presque réussi à enlever mes menottes en les faisant glisser sur les barreaux du lit, mais on avait tout de suite remarqué ça par l'electrocardiogramme qui s'était accéléré sous le stress. On était de suite rentré dans ma chambre pour me mettre sous gaz somnifères. Depuis, ils avaient augmenté les doses. De ce fait, je ne reconnus pas tout de suite la personne qui se présenta à moi.

— Ma petite sœur préférée.

Je n'en revenais pas. Mon frère était bien là. En chair et en os. Je retins mes larmes. Je pensais que je finirai seule et que je mourrai d'une overdose, mais il était pourtant là. Je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse de toute ma vie. Il était là, malgré tout ce qu'on avait pu lui dire sur moi car je me doutais qu'on avait dû lui en dire des choses au procès auquel je n'avais même pas pu assister car on me l'avait formellement interdit ! On avait sûrement dû lui dire des choses horribles à mon sujet, c'était obligé : qu'il avait forcément dû aller à mon procès. Je me demandais souvent comment ça avait pu se passer. Surtout depuis qu'on m'avait refusé d'y assister.

Mes parents étaient venus pour me dire que je n'irais pas. Tout ça parce que je n'étais pas en état. J'étais rentrée dans une rage folle. Si j'étais à moitié shootée, c'était en partie de leur faute. Ils n'avaient rien tenté pour me sortir de cet enfer alors que c'était la seule chose que je voulais en ce moment. J'avais déversé ma rancœur contre eux, leur crachant tous les noms d'oiseaux que je connaissais, leur hurlant qu'ils étaient des parents indignes. J'avais fait déborder le vase, ils étaient aussitôt partis, ma mère en larmes. Ce douloureux souvenir me ramena à la réalité.

— Mais qu'est-ce que tu fiches là ? lui demandai-je.

— Je vois que je n'étais pas attendu, tenta-t-il de plaisanter. On ne t'a rien dit ?

— Non, personne ne me parle, on ne veut rien me dire, je suis totalement perdue. Tu es le seul qui vient en « ami. »

— C'est ce que je me disais. Ils t'ont maltraitée...

— J'imagine qu'être constamment droguée, affamée et assoiffée n'est pas dans les standards du bien être.

— Ils t'ont droguée ?!

— Tu crois que j'ai cette tête pourquoi ?

— Parce que tu as toujours cette tête ? rit-il.

— Sois sérieux deux minutes...

— Il fallait que je te voie...

— Pourquoi ?

— Tu me manquais.

— Répète ? demandais-je incrédule.

Si Hugo avait bravé l'interdit d'être ici, ce n'était pas pour faire du sentimental, il y avait forcément quelque chose de plus important. La question restait : quoi ?

— Tu me manquais, répéta-t-il légèrement agacé, bon, tu as bien entendu.

— Peut-être... fis-je taquine, tentant de rendre l'atmosphère moins pesante, il n'allait pas me répondre de sitôt vu qu'il changer de sujet.

— Tu veux que je m'en aille c'est cela ? demanda-t-il en esquissant un geste vers la porte.

— Non, reste, le retins-je.

Il ne fallait pas qu'il s'en aille, surtout pas maintenant. Non seulement parce que c'était le seul allié que je voyais depuis des semaines, mais aussi parce que c'était le seul à vouloir me dire un peu plus ce qu'il sait. Ce qu'il avait à me dire ne devait pas être très joyeux, vu le ton sérieux avec lequel il s'exprimait et les sourcils froncés qu'il me présentait..

— Il n'y a pas qu'à moi que tu manques, tu sais ?

Il marqua une pause, laissant planer un silence assourdissant (c'est français ça ?) me plongeant dans une sorte de gêne impatiente. Il me regarda avec un air malicieux dans les yeux, puis me sourit. Ce regard avait bercé mon enfance. Il me suivait partout. Il était mi-amusé, mi-charmeur. Amusé de sa timidité envers ses sentiments et charmeur pour amadouer les plus jolies filles qu'il croisait.

Ce simple coup d'œil pour lequel on décrocherait la lune et pardonnerait tout. Cet iris chocolat qui vous donne envie de connaître son propriétaire. Celui-là même qui était en train de me fixer depuis cinq bonnes minutes, qui me rappela enfin où j'étais et qu'est-ce que j'y faisais, ainsi que la discussion en cours :

— Et à qui alors ?! m'empressai-je.

— Paul, souffla Hugo.

Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Même s'il m'avait dit que c'était fini entre nous, je lui manquais quand même. Je sentais un sentiment de joie immense enfler dans mon cœur. Il pensait à moi et m'avait certainement défendue au tribunal deux mois plus tôt, malgré tout ce qu'on avait pu me dire où faire. Peut-être qu'il s'était trompé, m'avait confondue avec une autre ? J'étais probablement innocentée et Hugo venait me le dire ! J'étais joyeuse, mais mon sourire s'estompa très vite.

— Qu'est-ce qu'il a dit à propos de moi ? Est-ce qu'il leur a dit que ce n'était pas moi qui...

— Pas lui, son père mais, me coupa-t-il, désolé, il a témoigné contre toi au procès. Tu aurais vu, ils étaient tous déchaînés à te faire tomber...

Déjà je ne l'écoutais plus... Paul avait témoigné contre moi. Tout espoir de m'en sortir grâce à lui était alors complètement anéanti. Il n'avait donc plus aucun sentiment pour moi ? Apparemment non. Sans raison. Le couperet s'abattit sur mon cœur meurtri. Je ramenai mes jambes contre moi en dépit du fait que je ne puisse pas les entourer de mes mains et posa mon menton dessus.

— Mais, minaudais-je, déboussolée, dépliant mes jambes sous la colère, je n'ai strictement rien fait ! Il faut me croire ! Tu me connais mieux que personne Hugo, tu dois me savoir innocente ! Je n'ai dit que la vérité ! Pourquoi personne ne veut me croire ? Pourquoi personne n'a voulu que je me defende !

— Tu es coupable dans une affaire de tentative de meurtre. Dans ce genre de cas, le témoignage de la victime a plus de poids que celui de l'accusé.

— Hugo, soufflai-je, lasse de ce qui me tombait dessus, on n'est pas dans un film...

— Je sais, Vicie, je ne regarde pas que des films, c'est pas pour rien que je veux devenir flic !

Je sentais bien qu'il ne me disait pas tout, pourtant, il semblait englué dans un accord tacite. Je n'allais pas le pousser sur cette pente là, mais restait sur ce qui l'amenait

— Qu'est-ce-que Paul a encore raconté pour que je sois accusée ? J'ai vu la convocation, tout ce qui était dessus était faux !

— Il a dit que lorsqu'il s'entraînait au tir à l'arc derrière la maison, il t'a entendue l'appeler, puis courir vers lui comme une dégénérée. Ensuite...

Sa voix se brisa, des larmes coulèrent sur ses joues à petits flots continus. Certainement les images du procès lui revenant en mémoire. Il avait dû vivre un enfer, ces dernières semaines.
On devait le considérer à présent comme le « frère de la meurtrière.»

Je me mordis furieusement la lèvre, sentant alors un goût métallique dans ma bouche, je savais que je saignais.

Je secouais la tête : peu m'importait, si ce n'était son regard troublé.


Je n'avais pas à faire subir cela à mon petit frère. Après tout, je l'aime, et c'est le seul à me comprendre sur cette maudite terre.

Il serra les poings et la mâchoire, comme pour se donner contenance, et poursuivit avec, tout de même, un sanglot dissimulé dans sa voix.

— Ensuite, reprit-il, il a entendu ta voix meurtrière...

Meurtrière ? Ma voix ? Non ! Impossible ! Ils se trompaient ! Tous ! Je n'avais rien fait !
C'était un coup monté ! Je n'étais pas une criminelle ! Non ! Je n'avais rien fait à Paul !
Rien de rien ! Je le promis ! Je le jurai ! Sur ma vie ! Qui m'en voulait à ce point pour me faire tomber d'aussi bas ? J'étais, sans vouloir me jeter des roses, une fille sympathique et polie. Pourquoi diable voudrait-on me pourrir ?

— Ce n'est pas moi ! éructai-je, me débattant contre les menottes qui me lacéraient les poignets. Je ne suis pas une tueuse ! Regarde-moi ! tentai-je, des serpents d'eau coulant sur mes joues.

Il leva les yeux vers moi, puis baissa la tête aussitôt. Son visage pâlissait et ses mains tremblaient. Cette vision me fit horreur.


Entravée, je fis jouer les menottes le long de la barre du lit, je longeai alors son bras et glissai mes doigts entre les siens pour combler le vide. Ce contact me fit du bien, je soupirai d'aise, fermant quelques secondes les yeux avant qu'il ne reprenne.

— Ce... ce ne sont... Pas mes mots, bégaya-t-il, tremblant encore, sûrement apeuré.

Je le tirai doucement à moi pour, d'une certaine manière, le réconforter et me faire pardonner de ce que je lui faisais subir. Il avait beau avoir mûri durant ces derniers mois, il restait mon petit frère et je me devais de le protéger.

— Et... Et il a aperçu ta main se lever... T'avais un flingue, Vicie, et pan!, a-t-il poursuivit. Quatre fois ! Tu l'as blessé quatre fois ! Toi qui détestais les armes... Puis tu l'as laissé courir un peu avant de l'achever à coup de crosse...

Emprunte d'une colère sans nom contre le monde entier et n'ayant pour seul défouloir que mon frère, je le rejetai violemment en criant que j'en avais assez de ses paroles. J'avais l'impression que lui aussi m'accusait. Le seul en qui j'avais confiance venait de retourner sa veste !

— V-Victoire, reprends-toi, me supplia-t-il en se relevant douloureusement, des larmes perlant aux coins de ses yeux.

À cette vision je fus prise d'un remord et je baissai la tête, honteuse. Je n'aimais pas voir Hugo pleurer, surtout à cause de moi.

— Excuse-moi, je ne voulais pas..., lui soufflai-je, moi aussi, en pleurs. C'est juste que, c'est dur, cette situation, je suis perdue...

— Mais tu n'es pas seule, me glissa-t-il à l'oreille en m'enlaçant.

— D'un côté, si, puisque Maman et Papa ne veulent plus rien entendre. Ils sont passés avant le procès pour me « raisonner » et me dire que je n'irai pas. Ils ont essayé de me faire avouer, mais avouer quoi ? Je suis innocente... Pourtant comme tu l'as dit... Tout m'accuse d'être une criminelle. On peut le dire : je suis seule face à ça...

— Mais moi je te crois ! Et les filles du Pin Vert aussi ! Elles te soutiennent avec verve !

— Ah bon ? demandai-je, incrédule.

Je me sentais moins abandonnée. Les visages souriants de mes amies m'apparaissaient. J'avais tellement envie de les prendre dans mes bras, en cet instant, leur dire que j'étais désolée de tout ça et que je les aimais. J'en étais là de mes pensées quand Hugo m'en fit sortir.

— Je pensais te le donner en partant, mais j'ai l'impression que tu en as plus besoin que je le croyais... Tiens.

Il sortit de sa poche et me tendit une carte joliment décorée. Elle était faite d'un origami ou plus précisément d'un kirigami, où un oiseau apparaissait, le papier bleu clair était légèrement pailleté et du ruban bleu plus foncé pendait joyeusement en dessous du titre qui disait : « On te croit petit oiseau bleu. »

Je souris, les larmes me montant de nouveau aux yeux. Après tout ce temps, elles ne m'avaient pas oubliée. Elles étaient même avec moi ! Je cachais vite la carte sous mon oreiller de peur qu'on me la prenne. Je savais qu'Hugo avait pris des risques en me l'emmenant et je ne voulais pas qu'il se fasse réprimander à cause de ça.

— Non, garde-la sur toi, me chuchota-t-il.

Lorsque je fronçai les sourcils, il sortit une sorte de mini tournevis plat et commença à crocheter les menottes, je fourrai immédiatement la carte sous ma blouse d'hôpital après m'être dégagée. Une fois son forfait accompli, il s'attaqua au monitoring qui, en quelques lignes de codes, copia en boucle les valeurs des dix dernières minutes.

Bien qu'impressionnée par ses prouesses, il ne me laissa pas le temps de réfléchir et me prit la main avant de se mettre vivement à courir. Je le suivis bien malgré moi, pieds nus, sur le dallage rouge et délavé, laissé à de tristes rêveries, arpentant désormais les couloirs carrelés de blanc. Il se stoppa vivement à chaque carrefour pour vérifier si personne n'était là et il repartait de plus belle.

Bien que je commençais à être essoufflée, à avoir mal dans mon genou gauche, ainsi que dans les chevilles, je poursuivai, lui tenant toujours la main, ayant peur de la perdre. Nous vîmes enfin la sortie et je faillis pousser un cri de joie en passant les portes de l'hôpital.

Néanmoins, je me retins et continuai de courir malgré le goudron qui m'entaillait la plante des pieds. Nos respirations étaient rapides, notre pouls suivait le même rythme, mais nos corps peinaient à trouver suffisamment d'oxygène pour puiser assez de force pour continuer.

— 3, murmura mon frère.

— Quoi ?

— 2, poursuivit-il.

— Hugo ?

— 1...

— Réponds-moi !

— Maintenant !

Une voiture déboula et s'arrêta devant nous, des mains m'attrapèrent et me firent rentrer de force dans le véhicule.


Dans ma tête tout se bousculait.


Des questions bourdonnaient ; m'étais vraiment enfuie ? Allais-je redevenir libre ? Serais-je une fugitive ? Comment Hugo pouvait-il être venu me chercher ? Plus les interrogations emplissaient mon esprit, plus je fermai les yeux, petit à petit, perdant connaissance, complètement choquée de ce qu'il venait de se passer.

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