Chapitre 38 (2/2)
L'homme, depuis sa naissance, est coincé entre deux mirages : l'un qui le pousse dans le dos et qui est la mort, l'autre étant l'horizon de la vie qui recule sans cesse.
Point de Vue Victoire — 23 mai 2081
— J'aidais les gens, mais je n'étais pas ici... J'étais beaucoup plus loin, j'ai rencontré beaucoup de résistants dont je me suis occupée, c'était enrichissant...
Tout ce que j'avais dit n'était pas tout à fait vrai, certes je n'étais plus vraiment moi-même, mais je conservais une part de répondant et de maîtrise. Il ne suffisait pas que maintenant que j'avais enchaîné près de trois mois de séquestration et de torture, je passe aux aveux. Je ne voulais pas donner satisfaction à Dpékan.
— Et vous ?
Elle n'avait pas répondu à ma question et se contentait de me fixer. Elle brisa quand même le silence.
— Pourquoi tu n'es là que maintenant ?
— C'est là que ça se complique... Je suis désolée, mais j'y suis contrainte...
— Contrainte de quoi ?
— Dpékan ? m'adressai-je au dirigeant, ignorant la question.
— Je ne te pensais pas capable de passer de l'autre côté Victoire, se désola Thalie, je pensais sérieusement que tu pouvais te battre jusqu'au bout sans flancher. Que tu serais forte pour ne pas tomber du mauvais côté. Ça a été très dur pour tout le monde de voir ce c*nnard au pouvoir, mais ça n'a traversé l'esprit de personne de trahir les autres.
Ses mots me tranchaient le cœur comme des poignards, je ne voulais plus l'entendre, elle mettait le doigt sur ma faille. Oui, j'ai failli, je suis inexcusable et comme tout le monde, je ne désirais pas qu'on me le montre. Je souhaitais la faire taire. Je me saisis du livre « Bleu myrtille » et je commençai à lire d'une voix forte. La jeune femme me regarda complètement surprise.
Il était une fois une princesse aux cheveux bleu nuit. Elle était connue dans tout le royaume, non pas pour le fait qu'elle deviendrait la prochaine souveraine, mais surtout pour cette particularité. Un oracle avait annoncé à la reine que son enfant serait promis à de grandes choses et que c'était pour ça que les cieux l'avaient dotée d'une immense chevelure sombre. Ainsi, durant de longues années, la petite fille montra ses prouesses à ses parents et ses différents précepteurs qui restaient subjugués devant elle. Pas un seul domaine ne lui faisait défaut. Elle jouait merveilleusement bien de tous les instruments qu'on lui donna ; du piano à la guitare en passant par les instruments à vent. Elle était prodigieuse, autant de sa voix que de ses mains. Elle cuisinait des repas divins, cousait des broderies dignes des meilleures couturières de leur contrée alors qu'elle n'avait que dix ans.
Thalie, suite à la description, se transforma. Elle hurla, un bref instant, je crus percevoir une interrogation dans son regard : elle se demandait probablement de quelle magie j'usais. Je lui lançai un regard que je voulais apaisant et poursuivis tant bien que mal.
Néanmoins, au-delà de ses dons, elle avait un immense défaut qui entachait un peu l'image que l'on se faisait d'elle. En effet, à force de lui répéter qu'elle était un cadeau du ciel et à quel point elle était merveilleuse, la jeune princesse avait fini par croire qu'elle valait plus que ses futurs sujets. Bien souvent, elle leur parlait avec une telle impolitesse qu'on se demandait si elle parlait à des êtres humains ou à de vulgaires guenilles oubliées dans un grenier. Plusieurs fois, on le lui reprocha, on tenta de lui faire comprendre qu'on ne parlait pas aux gens de cette façon. Pourtant, la jeune princesse n'y porta que peu d'intérêt. Pour elle, les autres devaient lui obéir, sans qu'elle n'eu à attendre et surtout sans y trouver quelque chose à redire. Elle était supérieure et cela se résumait à cela.
Partout dans le royaume, on se disait qu'avec pareil comportement, personne ne la prendrait pour épouse. D'ailleurs, le moment approchait et la jeune femme – désormais– devait, en plus d'apprendre à être une bonne souveraine, se rendre à différents rendez-vous avec de jeunes princes et princesses des autres terres afin de savoir avec qui elle devrait s'unir. Sauf qu'elle s'y refusait. Elle se complaisait dans son célibat, se suffisant de son amour pour elle-même et se trouvait tout à fait à même de diriger seule. C'est de mauvaise grâce qu'elle se rendait à ces entretiens, d'ailleurs, dès qu'elle trouvait un moyen de s'y soustraire, elle le faisait. Ses parents s'inquiétaient de jour en jour de ne jamais voir leur fille sur le trône, mariée. Cette union permettait aux différents royaumes de pérenniser. À chaque dix-sept ans de leur rejeton, les rois et reines réunissaient tous ceux qui le voulaient, autant de la noblesse que des petites gens, dans un grand bal.
Le grand bal de la princesse était prêt depuis longtemps, mais il manquait la personne qui partagerait sa vie. Lasse et ayant envie que cette histoire se termine au plus tôt, la future souveraine concéda son intérêt dans cette sorte de mascarade. Néanmoins, à la seule condition qu'on lui trouvât le plus beau, le plus brillant et le plus gros saphir que l'univers n'ait jamais eu. Elle avait dans l'idée d'en parer sa tiare quand elle prendrait les rênes del la monarchie. Elle pensait que pour reine exceptionnelle, il fallait des parements exceptionnels. Elle manda aussi les plus beaux couturiers donnant comme raison qu'elle ne pourrait pas trouver quelqu'un qui l'épouserait si elle n'avait pas une toilette impeccable.
Sa personne fut au centre de l'attention durant des mois entiers, non sans déplaire à la principale concernée. De nombreux prétendants et prétendantes vinrent la voir et l'admirer. Ils l'écoutèrent durant des heures parler de ses multiples talents et des aventures qu'elle avait pu vivre depuis son plus jeune âge. Malheureusement, ils n'eurent aucune chance d'aborder leur propre personne, la princesse coupait court le rendez-vous. Plus la liste de prétendants s'égrainait, moins les potentiels intéressés venaient avec entrain, le bouche-à-oreille faisant son travail.
Les souverains commençaient à désespérer de ne jamais trouver un successeur. Pourtant, un jour, un homme simple se présenta. Il n'était issue d'aucune noblesse et n'avait aucun bien à lui, mais il disait que c'était peut-être ce qu'il fallait à la future reine. Quelqu'un d'humble et sans artifice. On essaya donc et le courant passa. Malgré l'interminable monologue centré sur sa compagne, l'homme ne fuit pas et ne tenta pas de converser sur lui, au contraire, il posa des questions pour en savoir davantage. Plus les jours passèrent, moins la princesse avait de discours.
Elle commençait petit à petit à s'intéresser à l'autre. Surtout quand il lui raconta qu'il était mineur dans un gisement de pierre précieuse. Elle se voyait déjà parée des plus beaux bijoux, pour sublimer sa beauté parfaite. Elle posa de nombreuses questions sur la localisation de la mine ainsi que la façon dont on extrayait les joyaux. Elle avait le projet d'aller les soutirer. Elle annonça un beau matin que le mineur lui seyait parfaitement et qu'elle approuvait leur union.
Celui-ci demanda la main à ses parents et ils acceptèrent un peu à contre-cœur. Ils auraient préféré que leur gendre ou leur belle-fille soit de bonne famille. Cependant, ils étaient heureux, car ils pourraient continuer la lignée royale. On prépara les fiançailles, puis les épousailles. Les saisons passèrent et les effusions au château se firent moindres, mais la princesse ne démordait pas de son plan.
Alors, un soir, elle s'exécuta. Elle monta à cheval dans la nuit cobalt. Elle avait mémorisé le chemin par cœur pour être sûre de ne pas se perdre, elle traversa une rivière à gué, mouillant le bas de sa robe bleu de Prusse par la même occasion. Elle en fit fî, ce qui l'importait, c'était le saphir qui était à portée de main. Personne ne lui avait apporté, ce qu'elle ignorait c'était que ses parents ne voulaient pas qu'elle l'ait, ils pensaient qu'avec cette pierre, elle serait encore plus égocentrique que jamais. Elle passa également une forêt épaisse où son cheval faillit plusieurs fois la faire tomber, car de nombreux noctambules firent peur à sa monture ou lui coupèrent la route. Elle passa presque par-dessus la croupe, mais heureusement, il y eut plus de peur que de mal. Elle parvint enfin à la mine.
À la lueur d'une simple lanterne, la désormais reine s'enfonça dans les tunnels, sentant le grisou et la suie. Plusieurs fois, elle manqua de se tordre une cheville, mais elle tint son équilibre. Elle poursuivit ses recherches ardemment jusqu'à arriver dans une salle bien dégagée, comportant une vasque centrale où était posé un immense saphir brillant. La lueur de la flamme semblait magnifier le joyau. Elle voulut le saisir, mais il montra de la résistance. Elle força le passage et dû même s'aider d'une pioche pour casser la roche tout autour de la pierre précieuse. Elle finit par y arriver et une brume, une sorte d'aura de couleur azur, sortie de la pierre.
— Comment oses-tu voler ce qui ne t'appartient pas ?! hurla le spectre.
— Je ne vole pas, je prends seulement ce qui m'appartient, ce mineur est mon époux et ce qui est à lui est aussi à moi !
— Cette pierre n'est pas à lui, il ne l'a pas payée, rends-la !
— Il la paiera, il me doit une meilleure vie et je mérite ce joyau, je suis une reine parfaite !
— Non, tu es orgueilleuse, tu dois rendre ce qui ne t'appartient pas...
— Sinon quoi ?
— Sinon, je montrerai au monde entier qui tu es vraiment !
— Je ne mens jamais, les gens me connaissent comme je suis : parfaite !
— Tu l'auras voulu !
L'apparition s'estompa alors d'un coup, comme si la reine l'avait rêvé. Elle haussa les épaules et retourna à l'extérieur, où le jour commençait à se lever, elle se dépêcha de monter sa jument et de s'élancer au galop. Elle rentra au plus vite dans sa chambre avant que sa dame de compagnie ne vienne frapper pour la réveiller. Elle vint l'aider à faire sa toilette et commença sa ritournelle comme chaque matin. Pourtant, au contraire de son habitude, sa voix était éraillée et aucune note ne fut juste. Sa dame de compagnie en conclut qu'elle avait dû attraper froid et qu'elle devait se reposer. C'est ce qu'elle fit, l'après-midi elle s'occupa avec de la broderie qu'elle termina et offrit le résultat à sa mère qui fit la tête. Les points faits étaient de travers et semblaient n'avoir été cousu de la main de sa fille. La reine émérite lui certifia que ce n'était pas grave si elle essayait d'apprendre à une servante et que c'était même loyal. La fille n'osa dire à sa mère que c'était elle l'auteure de la broderie. Elle commença à se poser de réelles questions.
L'esprit de la mine lui avait dit qu'il allait la montrer sous son vrai jour, peut-être faisait-il référence à ses différents dons ? Elle voulut le vérifier et tenta tout pour se rassurer, mais peine perdue. Les instruments qu'elle utilisait sonnaient faux, les plats qu'elle cuisinait étaient devenus infâmes, même ses longs cheveux bleu sombre commençaient à tomber. Pour éviter la disgrâce, elle prépara sa monture pour fuir loin du royaume. Elle galopa pendant quelques heures jusqu'à ce que son compagnon équestre se prenne les pattes dans des broussailles. Elle bascula sous la croupe et...
— Stop ! Tais-toi ! me coupa Thalie.
L'illusion se troubla un peu, signe que quelque chose clochait. Je voyais ses traits se durcir, signe qu'elle luttait.
— Pourquoi tu fais ça ? Arrête, tout simplement ! Ne sois pas de son côté !
— Je ne peux pas, il va vous tuer ! C'est pas comme si je n'avais pas essayé de l'empêcher ! Je peux pas me résoudre à le laisser faire sans vous voir une dernière fois...
— C'est ce qu'il compte faire de toute façon, je préfère que ce soit de sa main que de la tienne !
— Il va vous torturer !
— Tu nous tortures déjà ! Pitié, arrête tant qu'il est encore temps !
— Je suis désolée... soufflai-je avant de reprendre.
Elle bascula sous la croupe et l'animal la piétina. Ses côtes furent broyées et percèrent des poumons. La morale raconte qu'il ne vaut mieux pas surestimer sa personne, au risque de finir plus bas que terre.
Je vis la résistante tenter de se débattre avec son corps qui agonisait, essayant de respirer tant bien que mal. Pourtant, elle finit par sombrer petit à petit dans un sommeil éternel.
Tout s'était fait en silence, malgré son désir de vivre, il n'y eut aucune supplique. Comme si elle savait qu'elle devait mourir et qu'elle l'acceptait. J'observai son doux visage, je repoussai une mèche de la main. Ainsi, on aurait dit qu'elle dormait, toutefois j'étais sûre qu'elle s'était éteinte. Au moins, s'il y avait quelque chose après la mort, elle avait rejoint son compagnon.
C'était mieux ainsi, elle ne serait pas seule. Et comme Dpékan ne voulait même plus me parler, je limitais mes interactions pour éviter d'échapper des informations cruciales qui lui permettraient d'exterminer les derniers résistants, car il le savait comme moi, nous n'étions pas les seuls.
Je la serrai contre moi, ayant ce besoin primaire d'avoir un contact physique avec une autre personne. Cette incarcération accroissait grandement tous mes manques. Dont les câlins. Je restais quelques heures à la bercer doucement, jusqu'à ce que je sente le froid et la rigidité cadavérique qui rentrèrent en action. Je lui fis un dernier adieu avant de me retourner et de laisser les agents de Dpékan s'occuper d'elle, emportant avec eux tous mes regrets.
Le cœur meurtri, les yeux océan, je me mettais des œillères, ne voulant plus penser à cette vie que j'enlevai. Encore. Il ne restait que deux garçons en lice, deux personnes chères à mon cœur, celui que j'aimais en secret et celui que j'avais toujours aimé. Je suis partagée entre Gardénia et Camélia, mais après tout ce n'est pas moi qui choisirai le prochain, mais l'autre c*nnard. J'attendis une énième fois avant d'avoir l'identité de celui qui passerait sous mes mains...
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