Chapitre 35 (2/2)
Les compromis sont pour diriger un pays, et c'est avec les ennemis qu'on fait des compromis, pas avec les amis.
Point de vue Daniel — 28 avril 2081
— Est-il sérieux ?! m'exclamai-je en tapant du poing sur la table.
On venait d'assister à une autre annonce de notre cher dirigeant bien aimé. Oui, je le savais, on sentait bien le sarcasme dans ma voix... Si je pouvais faire rôtir ce gars vivant, je ne le ferais pas, car ce serait encore trop gentil pour cette ordure. La dernière mesure qu'il venait de sortir était des plus aberrantes.
— Bah s'il l'a fait, me dit Tim, mon secrétaire médical. Ce n'est pas pour rien, je pense.
— Comme s'il n'était pas déjà restrictif !
— Bah, écoute, pour nous, ça ne va rien changer, nos patients vont juste avoir une puce dans la tête, supposa ma mère.
J'éclatai d'un rire nerveux. Elle n'avait aucune idée de ce que pouvait être les dangers de ce genre de procédé. Elle avait pourtant passé trois ans auprès de moi, voyant les ravages de cette nouvelle société. Elle n'avait cependant pas vu le monstre en plein carnage, lançant un steak dans la cage aux lions affamés. Je secouai la tête, me calmant, et lui partageai mon point de vue.
— Tu ne te rends pas compte qu'ils vont être tracés, mis sur écoute et même ils vont récupérer leurs pensées et ce qu'ils voient ?!
— C'est impossible !
— Si, confia Tim, c'est plus que probable. C'est Dpékan après tout.
— Tu ne l'as pas connu comme moi je l'ai connu, Maman... Ce n'est même pas un sanguinaire, ce serait encore trop faible pour le décrire... Quand il est lancé sur une proie, rien ne l'arrête ! D'abord les faibles, puis les résistants, maintenant son propre peuple... Maman, je ne veux pas t'effrayer, mais si on nous attrape, plus personne ne sera correctement soigné... Tu penses à Kiara, M. Sidon ou la famille Osen ? Qui les soignera, d'après toi ?
— Il faut leur donner le choix, proposa le secrétaire. Soit, ils deviennent de vrais résistants, soit ils ne viennent plus...
— C'est cruel, m'opposai-je.
— C'est le seul choix qui s'offre à nous, raisonna ma mère. Chéri, il faut le faire... Nous n'avons plus le confort qu'on avait avant, si l'info est vraie.
— Vous avez raison... Occupez-vous de la salle d'attente, j'ai des patients à voir, leur dis-je en avalant mon café d'une traite.
Je toussai sous la chaleur du liquide, puis je commençai à trembler et me sentis partir en arrière, mes yeux se fermèrent sous les cris de ma mère et de mon ami.
∴∵∴
— Ah, il se réveille, s'enthousiasma ma mère.
— Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? marmonnai-je.
— Tu as juste fait un malaise, me rassura Tim, mon fidèle secrétaire. Tu ne te ménages pas assez.
— Ce n'est pas important ça, ce sont les patients, m'agaçai-je.
— Et tu crois que ce sera qui, qui s'occupera des patients une fois que tu seras en incapacité de le faire à cause de ton surmenage ? insista ma génitrice.
— Vous m'énervez tous les deux, je me reposerai quand je serai mort ! En attendant, je vais faire le maximum pour aider.
Je me levai comme je pus, je me dirigeai vers mon cabinet. La queue restait assez longue, malgré les dernières restrictions dpékanoises. La salle d'attente était pleine à craquer, certains étaient même debout, les autres s'entassaient sur les chaises et les fauteuils disposés tout autour d'une table basse presque vide. Seul un petit cactus tentait d'égayer la pièce aveugle. Une faible ampoule l'éclairait néanmoins. Deux portes la coupaient en deux. L'une conduisant dans la grande pièce à vivre et l'autre à mon bureau dans lequel je me dirigeai pour faire rentrer le premier patient de la journée.
Il était relativement tôt, mais cela ne m'empêchait pas d'être au taquet, malgré le précédent incident. Mes consultations s'enchainèrent rapidement, comme à mon habitude. Gare à se méprendre, je n'en écoutais pas moins chaque patient attentivement, mais la plupart du temps, ils avaient juste besoin d'une oreille bienveillante. La matinée se déroula sans accroc et nous nous retrouvâmes pour manger tous ensemble à midi, ma mère, Tim, mon collègue psychologue et les résidents de l'hôpital.
La salle commune était assez sommaire, quatre grandes tables entourées de deux bancs de chaque côté prenaient essentiellement la place. Trois d'entre elles se faisaient face, tandis que la dernière était perpendiculaire. Juste à côté, une petite pièce isolée laissait échapper de bonnes odeurs de nourriture, c'était ce qu'on appelait la cuisine. Même si elle n'avait de cuisine que le nom, comme il n'y avait qu'une petite plaque électrique et un petit frigo. Nous étions raccordés à l'électricité assez simplement, mais nous n'avions pas abusé sur le raccordement, car nous ne voulions pas nous faire remarquer.
Nous avions élu domicile dans les sous-sols de la ville de Limoges, depuis longtemps abandonnés et condamnés après la seconde guerre mondiale. J'avais réussi à trouver une sorte de bunker sous terrain où les habitants avaient peut-être eu pour instruction de se cacher ici lors de bombardements. Quoiqu'il en soit, cela m'avait été utile pour aménager l'hôpital clandestin. Après la course poursuite avec l'armée de Dpékan, on avait, moi et Maman, réussi à les semer par la vitesse.
Nous étions arrivés dans un village désert et nous avions patienté des jours, le temps que les soldats s'en aillent. On avait même attifé un cadavre retrouvé dans une grange, pendu, avec mes vêtements et quelques effets personnels pour qu'ils croient à un suicide. On ne pensait pas que cela marcherait aussi bien. Ensuite, nous étions tranquillement revenus sur nos pas, regagnant ma ville natale et nous avions disparu sous terre.
Les premiers temps furent durs, nous progressions, à tâtons, sans vraiment savoir si nous tournions en rond ou non. Plusieurs fois, mes nerfs eurent presque raison de moi, mais nous tînmes bon. Nous parvînmes devant la porte d'entrée du bunker, dissimulée astucieusement par une plaque de fausses pierres, comme si un éboulis avait interdit l'accès. Ensuite, il fallait passer une porte avec un cadenas à code. J'avais misé sur la chance en tentant les combinaisons les plus simples et cela fonctionna. Le « 4444 » m'aura porté chance. Je savais pertinemment qu'à l'époque de la seconde guerre mondiale, ce genre de technologie n'existait pas et que ce digicode avait été installé par la suite.
C'est pour ça que lorsque nous pénétrâmes à l'intérieur du bunker, nous restâmes sur nos gardes, au cas où quelqu'un nous surprenne. Étonnement, il n'y avait pas une âme. Pendant plusieurs heures, nous avions fouillé les différentes pièces sans jamais tomber sur un individu. La plupart des pièces restantes, nous les aménageâmes en chambres, dans l'optique de pouvoir accueillir des malades de longue durée.
C'est ce qu'il se passa, les premières semaines, nous revînmes souvent à la surface pour trouver des appartements ou maisons vides de leur propriétaire et nous démontâmes et remontâmes des lits, des armoires, des tables et des chaises dans notre nouveau chez-nous. Ensuite, quand nous eûmes fini, sans trop d'accrocs – à cause des patrouilles de polices –, nous fîmes passer l'information qu'un hôpital clandestin faisait son ouverture dans les catacombes limougeaudes.
De ce bouche-à-oreille, nous gagnâmes vite des habitués, car même après la fin de la GEE, les malades n'étaient pas pris en charge dans cette nouvelle société. Les chambres furent vite prises d'assaut par de nombreux blessés de nombreuses batailles qui avaient éclaté dans le pays il y a un plus de trois ans et qui avaient fui jusqu'à Limoges. Seulement, il y eut une jeune fille qui attira mon attention. Violet. C'était l'assistante anglaise Erasmus de Lolita.
C'était ce qui me raccrochait encore à celle que j'aimais. Je ne l'ai pas tout de suite reconnue, elle avait été défigurée par les déflagrations de plusieurs bombes. Il avait fallu reconstruire une partie de son visage dont le nez et les joues. Ses yeux étaient intacts et sa mâchoire aussi, même si la peau avait été brûlée. C'est en partie pour elle que j'appris le plus vite possible la médecine et surtout la chirurgie.
Grâce à des taupes infiltrées dans le gouvernement, nous pûmes assez vite remplacer les parties du visage et le cartilage de Violet grâce à des cellules souches neutres. Les débuts de la guérison furent durs pour elle-même. Si elle était plongée dans le coma, nous sentions qu'elle souffrait. Nous avions même peur qu'elle demeure dans cet état végétatif longtemps, pourtant, au bout d'un an, alors que nos espoirs étaient presque réduits à néant, elle se réveilla.
La convalescence, également, fut longue, il lui fallut réapprendre à marcher et à parler. Sa mémoire, elle aussi, était défaillante. Elle ne se souvenait ni de moi, ni de Lolita, ce qui était un peu bizarre, vu qu'elle avait travaillé pour nous. La patience fut notre meilleure alliée. Enfin, ce fut la séparation. Elle avait égayé l'hôpital par ses sourires et sa douceur et, même si ses souvenirs demeuraient pour la plupart enfouis dans son subconscient, elle était prête à sortir et reprendre une vie normale. Si on pouvait appeler ça une vie normale.
Je l'avais aidé à monter un dossier pour qu'elle puisse trouver un travail et un endroit où vivre. C'était petit, mais c'était mieux que rien. La question qu'on pouvait légitimement se poser, c'était : pourquoi la faire sortir alors qu'elle pouvait vivre à l'hôpital ? La raison était simple, elle manquait énormément de soleil, elle ne s'alimentait pas vraiment correctement et nous avions espéré qu'elle puisse trouver des stimuli qui pourraient l'aider à sortir de tout ça. Surtout qu'elle semblait converser avec quelqu'un dont j'ignorais l'identité et je pensais qu'aller le retrouver pourrait être une bonne chose pour elle.
Seulement, nous venions d'apprendre il y a quelques semaines que notre protégée venait d'être enlevée. Pire, elle allait être torturée pour nous dénoncer ! Pris dans mes émotions, je voulais y aller, mais ma mère me retint : on ne savait pas si c'était vrai. De plus, Dpékan avait annoncé que c'était Victoire Brian, l'ancienne copine de mon frère, qui avait été arrêtée. Il avait juste rajouté que Violet était son alias. Ma mère avait peut-être raison, c'était sûrement un piège, les résistants, ceux-ci infiltrés où ils pouvaient dans les greniers et les caves, n'avaient pas reparlé d'une réapparition de Victoire. Dpékan tentait peut-être le bluff, soit pour faire réapparaître la vraie Victoire, qui ne supporterait pas qu'un innocent souffre à sa place, soit appâter des résistants désireux de sauver leur amie.
Ce fut le deuxième cas de figure qui se passa. Tout fut filmé, comme si tout était une mise en scène. Fallait-il vraiment le croire ? C'était presque surréaliste qu'ils se fassent attraper comme des bleus alors qu'ils s'étaient entraînés tous les jours. Ou peut-être était-ce à nouveau un subterfuge pour que les derniers résistants se rendent ?
Je ne pensais pas exagérer, pas après avoir vu les stratagèmes de Dpékan pour obtenir ce qu'il voulait. Ils ne l'avaient pas vu torturer des innocents pendant des heures pour avoir une ou deux infos qu'il aurait pu avoir simplement en cherchant un peu. Ou se triturer les méninges pour élaborer un plan des plus machiavélique afin de duper les résistants, ou encore créer des machines qui viseraient à contrôler toujours plus ses concitoyens. Comme cette histoire de puce électronique implantée directement dans le cerveau, exploitant les messages nerveux pour recueillir des informations sur les derniers résistants.
Il voulait savoir quels étaient encore les « traîtres » qui nous aidaient à survivre. Car au-delà des technologies volées, les taupes au sein du gouvernement ou les gens généreux nous fournissaient également en nourriture. Ce n'était jamais très copieux, mais cela suffisait à chacun. Quand on avait de la chance, c'était un vrai repas et les jours de galère, c'était la bouillie épaisse qu'on servait dans les queues de ravitaillement. Parfois même, ce n'était que des pilules nutritives que le gouvernement commençait à donner en majorité pour éviter le gaspillage et les déchets inutiles. Ils avaient développé cette technologie assez rapidement. La pilule fournissait assez de nutriments pour une journée entière, cela économisait deux repas dans la journée, ce qui réduisait les coûts alimentaires des citoyens à l'État.
Aujourd'hui, loin de nous réjouir, même si nous bénéficiions d'un bon repas – poulet et pommes de terre sautées – les discussions inquiètes évoquaient la dernière loi folle du dirigeant français. Personne ne se sentait à l'abri avec ce nouvel espionnage. Personne ou presque ne voulait se faire surveiller à toute heure du jour et de la nuit. Pourtant, certains résistants, même malades, étaient – non pas enthousiastes, il ne fallait pas exagérer, mais assez – contraints de faire ce choix dur que de se plier au gouvernement. Ils ne voulaient ou ne pouvaient tout simplement pas quitter une vie – certes soumise, mais – tranquille pour une plus chaotique et dangereuse. C'était compréhensible. Néanmoins, nous rompîmes désormais tout contact avec eux, de peur de nous faire découvrir. Hélas, ce serait l'un des nôtres qui nous trahirait tôt ou tard.
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