Chapitre 33 (2/2)
L'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence.
Point de Vue Victoire — 19 avril 2081
Le livre n'apparaissait toujours pas et Malo se montrait menaçant. Nous nous tournâmes alors autour. Tant que l'un de nous n'attaquera pas, le combat ne serait pas lancé. J'en profitai pour de nouveau faire la causette.
— Pourquoi êtes-vous venus me chercher ?
— Pourquoi tu veux me tuer ?
— Je te jure que j'y suis contrainte... Si je pouvais faire autrement, je le ferai...
— Qui me dit que t'es pas dans son camp ?
— Pourquoi le serai-je ? Il a monté ma famille de toutes pièces... Mon frère ne m'est même pas affilié par un quelconque lien ! Et il a voulu vous faire du mal ! Et maintenant, il me force à vous en faire... Tu crois réellement que je pourrais être avec lui ?
— Il aurait pu te laver le cerveau, et t'asservir à sa volonté !
— Tu as raison... Vraiment, je le conçois, et j'imagine que tu n'es pas le seul à penser ça, mais vous êtes mes amis, la seule véritable famille que j'ai... Pourquoi, ô diable, ne me battrai-je pas contre ce tyran ? Je ne veux pas vous faire du mal, mais je dois le faire sinon, il sera encore plus cruel avec vous...
— T'as bien appris ta leçon, on dirait... T'as juste envie de nous voir tous crever pour une raison que j'ignore, mais t'en as envie. Donc maintenant, soit on continue de parler parce que tu n'es qu'une lâche, soit on engage le combat...
— Je sais ce que tu es en train de faire, mais arrête... Ça ne m'aide pas plus...
— Mais de quoi tu parles Brian ? Tu penses que ce n'est pas vrai ce que je dis ? Pourtant, c'est la vérité... Tu es une lâche, Victoire, et tu t'es soumise ! On le sait tous dans le groupe, mais dis-moi ? T'es sa chienne aussi ? Parce qu'on se demandait si tu y gagnais quand même quelque chose, bien que je ne pense pas qu'il soit très doué au lit...
— Mais tais-toi ! le coupai-je.
— Ah ! Pardon, je ne voulais pas l'insulter... Enfin tant que tu prends ton pied, c'est l'essentiel... Après fais gaffe de pas tomber enceinte... Ils vont pas être très beaux tes marmots...
— La f*rme, Malo ! Vraiment !
— Mais quoi encore ?! T'es enceinte, c'est ça ? Ou t'as déjà accouché ? Je sais qu'en trois ans...
Je me jetai sur lui pour qu'il arrête de dire ce genre d'inepties totalement infondées qui me firent mal au cœur. Non seulement il me traitait de traînée, mais aussi de fille facile et influençable à l'extrême. Même pour tout l'or du monde, je ne coucherai jamais avec ce monstre doublé d'un sadique pervers ! Et puis je ne suis pas non plus lâche ! Je veux juste lui éviter de souffrir ! Ma vision se brouilla sous la colère et je fus maîtrisée par Ram en une fraction de seconde. Il me chopa les poignets et me maintint.
J'avais le dos contre son torse, mes bras étaient croisés et il me tenait les mains dans mon dos. Il semblait s'être transformé en camisole de force humaine. Je me débattis comme un beau diable, voulant qu'il me lâche, mais il raffermit sa prise. Je lui criai dessus, l'insultant comme je pouvais et avec tous les noms d'oiseaux que je connaissais. Il attendit que je me calme, ou plutôt que je m'épuise pour me parler.
— Je sais bien que ce que j'ai dit était faux, mais comprends-moi, je me sens trahi... Maintenant, j'ai la possibilité de vivre si je te tue...
— Tu vas le faire ? Je veux dire... Tu ferais ça pour moi ?
— Hugo m'en voudrait si je le faisais... Mais c'est une option que je ne veux pas écarter...
— Tu sais bien que je ne supporterai pas de te voir mourir, mais j'y suis obligée. Il n'y a pas d'autres solutions.
— Tu n'avais pas qu'à pactiser avec lui, se justifia-t-il.
— En effet, dis-je simplement, mais d'une voix blanche.
— Tu l'as dit toi-même... Tu en as d'autres après moi... Donc si je t'arrête à présent, tu ne pourras plus faire de mal.
Il n'avait pas tort sur ce point. S'il me tuait là, Dpékan ne pouvait plus me forcer. Je n'avais pas réfléchi à cette éventualité. J'avais vu mon suicide, mais pas le meurtre. Mon tortionnaire y avait pensé ou non ? Si c'était le cas, il empêcherait Malo de le faire, sinon, j'avais enfin une porte de sortie ! Cependant, la peur me rongeait les entrailles. Me sentais-je prête à me sacrifier pour eux ? Moralement, oui. Effectivement, je pouvais bien mourir pour les laisser vivre, mais au plus profond de moi, j'avais encore cette pulsion de vie qui me poussait à jeter loin de moi cette idée. Mes sentiments basculaient entre l'héroïsme zélé et cette lâcheté mal placée. Il me fit reculer d'un pas et me retourna face à lui. Il me poussa à terre avec colère.
Sur la table à côté apparut le troisième livre. Jaune Citron. Je me relevai, désignant l'histoire du doigt, mais il s'en contreficha. Génial ! Non seulement je commençais à avoir mal au coccyx, mais mon ami me rendait aussi la tâche plus ardue en me repoussant de la sorte. Alors, j'étais bien d'accord qu'il avait autant envie de mourir que moi, mais il ne faisait pas d'effort pour raccourcir la sentence !
Je sautai sur lui, il esquiva facilement le coup avant de fondre sur moi en retour. Je roulai de côté avant de me retourner vers lui et de l'attaquer. Il feinta d'esquiver, mais au lieu de ça, il me donna un coup dans le ventre qui me coucha. Il me souleva par le col de ma veste et me colla contre le mur, mes pieds ne touchant plus le sol. Il jeta un regard au bouquin. Voulait-il inverser les rôles ? Était-ce seulement possible ? Il ne comprenait pas qu'il condamnait les autres en voulant me tuer le premier !
Je me débattis en vain, il me maintenait fermement. Je lui donnai un coup de poing dans le nez ; je me fis plus mal qu'autre chose. Il déplaça ses mains jusqu'à agripper mon cou. J'articulais encore l'implorant. Je ne devais pas mourir, pas maintenant. J'essayai de le raisonner, de ne pas le faire, au nom de notre amitié, mais il n'y répondit pas. Il ne me regardait même plus dans les yeux.
— Malo, je t'en supplie, si tu me condamnes, tu condamnes les autres. Si ce n'est pas moi qui vous tue, c'est lui qui le fera, et il y prendra du plaisir. Écoute-moi, je suis condamnée à vous faire souffrir, j'ai essayé par plusieurs manières d'arrêter ce massacre, mais il n'y a pas d'autre issue que je le fasse. S'il te plait Malo, fais le bon choix, je t'en prie...
Il appuya davantage sur ma glotte, le regard toujours baissé, comme s'il ne supportait pas ce qu'il me faisait. Malgré sa colère, il ne pouvait se décider à prendre ma vie. Il était foncièrement gentil, c'est pourquoi j'étais encore étonnée de ce qu'il comptait faire. Je sentais l'oxygène qui venait à manquer comme si un liquide froid coulait dans mes muscles et me les pétrifier un à un jusqu'à mon cerveau. Je serrai les dents, luttant comme je pouvais pour survivre. Mes poumons me brûlant, réclamant à vive douleur de l'air. Si je mourais maintenant, il aurait gagné, mais aurait perdu aussi. Je ne pense pas qu'il laisserait faire ça.
— Malo ! Je te promets que je vais trouver une solution, je ne sais pas comment, mais je vais la trouver ! Je m'étais promis de survivre dans ce p*tain de monde quand on s'est séparés au centre, je m'étais dit que je le ferais pour toi puisque tu m'as couverte... Aujourd'hui encore, tu as ma vie entre tes mains, mais celle aussi de Fulvia, de Thalie, d'Hugo et d'Eydan. Il n'y a que toi qui puisse agir sur leurs vies désormais. Ou je le fais rapidement pour qu'ils souffrent le moins possible, ou c'est l'autre c**nard qui s'en charge, et je ne pense pas que vous y prendrez sincèrement votre pied. Mais je sais ce que tu ressens, tu ne veux pas mourir, je le comprends, j'aimerais que ça s'arrête sans perdre chacun de mes proches... Mais...
Mon discours n'avait pas été aussi fluide, car j'avais serré les dents tout du long et j'avais pas mal entrecoupé mes phrases de débattement de détresse, griffant ses mains bloquées sur ma trachée. Je ne savais pas s'il avait réellement tout compris, mais avait certainement capté le principal. Malheureusement, il semblait qu'il était un peu tard pour moi, car ma tête déjà bourdonnante coupa l'image comme lorsqu'on débranche un câble d'un écran. J'entendais encore son souffle et je perçus ce qu'il me dit, les larmes aux yeux.
— Pardon.
Mon cœur rata un battement. Ce simple mot m'acheva. Mon corps était complètement figé. Je ne pouvais plus bouger. J'entendis une porte, puis un bruit comme un souffle de sarbacane et le cri de Ram. Que se passait-il ? Pourquoi avait-il crié ? Je perçus des pas et quelque chose glissa sur le sol avant que la porte ne se referme brutalement. Cela me fit sursauter et les lampes dans la pièce grillèrent. Je fus immédiatement plongée dans le noir, la lumière sous mes paupières closes ne me parvenait plus. Je sombrai dans un profond sommeil.
À mon réveil, la pièce était toujours dans l'obscurité et je cherchais frénétiquement mon ami, mais ne le trouvai pas. Était-il mort ? Était-ce ça que j'avais perçu ? Lui avait-on tiré dessus ? Était-ce son corps qu'ils avaient traîné sur le sol ? Je ne voulais pas qu'il parte ! Il devait rester ! Il ne méritait pas de mourir !
— Heure du décès, quatorze heures trente, le vingt-et-un avril 2081, balança mon ennemi de toujours dans ses foutus haut-parleurs.
Non, mais je rêvais ? Non seulement il s'amusait à insister sur le fait que mon ami soit mort, mais aussi... Il m'avait fait attendre, seule, dans le noir, pendant trois jours ! Non, mais c'était quoi ce b*rdel ? Ma colère remonta en flèche contre mon tortionnaire. Il n'avait aucun droit de nous faire ça ! On n'avait vraiment rien fait de mal à part tenter de survivre dans un monde qui ne voulait pas de nous. On avait juste essayé d'avoir une vie à peu près normale dans une société complètement décadente.
Je me jetais contre les murs, ayant envie d'en finir. J'en avais assez ! Je voulais sortir d'ici ! Je voulais revoir un coucher de soleil, sentir la chaleur du jour me caresser la peau et la fraîcheur de la nuit me donner la chair de poule. Je voulais à nouveau respirer un air frais, quitte à me brûler les poumons.
Je voulais courir, manger de la vraie nourriture, parler, rire. Des choses absolument insignifiantes pour le commun, mais qui, pour moi, à cet instant, étaient primordiales. Il en allait de ma santé, mentale qui plus est. J'allais devenir entièrement folle. Je m'arrêtais lorsque la douleur de mes membres endoloris fut trop forte. Je ne doutais pas qu'il m'observe, mais je m'en f*utais royalement. Je voulais juste vivre.
Je m'assis contre un mur, les jambes allongées sur le sol, ma tête penchant légèrement vers la droite, je regardai tout et rien, perdu dans le noir. Ma vision, focalisée sur un point quelconque, ne me servait à rien, mais je gardais les yeux ouverts. Au bout d'un moment, je secouai doucement la tête pour sortir de ma semi-conscience. Je me pris les bras et me relevai. Je remarquai un détail en relief sur ma main que je devinais au toucher que j'avais oublié depuis. Une marque au fer que nous avions faite enfants.
Oui, nous étions fous, mais nous l'avions fait, car nous nous aimions. J'espérais que là où il était, il m'aimât encore. Je parcourus la cicatrice, qui avait survécu aux aléas de ma vie, en dépit des autres blessures que mon corps dut encaisser, de la pulpe de mon pouce. Cela ne m'avait jamais quitté et peu importe ce que Dpékan me ferait, cela resterait éternel et véridique à jamais. Une larme s'écrasa sur mon doigt. C'était cruel, mais tellement important pour moi que ça dépassait tout ce que j'avais connu auparavant. Fallait-il que la personne qui partageait ce contrat tacite ne m'ait pas trahi avant de me quitter.
รเ๒lเภɠ
Je le prononçai à voix haute. Elle était mal assurée et tremblante. Normal, me direz-vous, mais cela faisait toujours un choc quand vous avez l'habitude de parler tous les jours et que maintenant, vous n'émettez plus beaucoup de sons. J'avais toujours été volubile, mais ces dernières années avaient inversé la tendance. Lorsque j'étais résistante, je me faisais toute petite pour ne pas mourir. Puis lorsque j'étais au service de Dpékan, je me taisais, car je ne voulais pas perdre mon emploi. Maintenant, je ne parlais plus, puisque je n'avais plus d'interlocuteurs. L'oiseau ne chantait plus... Je lançai ma tête en arrière et elle se fracassa à grand bruit contre le mur derrière.
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