Chapitre 33 (1/2)

L'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence.

Point de Vue Victoire — 19 avril 2081

Deux semaines passèrent, ou du moins de ce que j'en avais calculé, après la mort de Nathan.. Nous étions maintenant le 19 avril, jour antinazi par le soulèvement d'une soixantaine de milliers de juifs dans le ghetto de Varsovie il y a plus d'un siècle. Ce jour- là, les juifs contrèrent les troupes SS du général Jürgen Stroop, sous les ordres de Hitler qui lui demanda d'exterminer tous ces innocents. Leur lutte dura jusqu'au 16 mai de la même année. Malheureusement, tous leurs efforts furent vains, car ils finirent par être soit déportés dans les camps de concentration, soit morts dans les combats, soit se seraient suicidés. Je me demandais comment Dpékan choisissait ses jours. Pourquoi celui-là plutôt qu'un autre ? Ou alors, je me faisais des idées, ce qui était possible. J'avais des problèmes pour réfléchir ces temps-ci, en conséquence, avec la fatigue, la douleur et l'angoisse, ma lucidité allait de mal en pis...

Sauf si j'avais raison... Oui, je repartais dans mon éventuel délire, mais quand même ! Si on imaginait, c'était une éventualité, qu'il espérait que je puisse comprendre de lui qu'il était aussi taré que Hitler et qu'il faisait exécuter les gens par pur fanatisme. Eh bien, c'était plausible ! Alors oui, ce n'était pas par rapport à une ethnie, mais en tout cas, il n'exterminait que quelques groupes : les hauts potentiels, les personnes âgées et les opposants au pouvoir. Bon, ce n'est pas à là même échelle, vu que ça ne concernait qu'un seul pays, du moins je l'espérais, mais cela traduisait la même déviance. Pour ce qui demeurait des opposants, je comprenais tout à fait qu'il veuille les supprimer, mais pour nos aînés et les hauts potentiels ? Vraiment, je n'arrivais pas à admettre que ce fussent des cibles !

Soit ça, soit il voulait asseoir son autorité, l'autorité d'un tyran comme le dictateur allemand. Et par conséquent, m'avouer que, tant qu'on ne l'arrêterait pas, il continuerait. C'était également faisable, vu que depuis trois ans, il enchaînait les exécutions publiques ou non. Certes, c'était beaucoup moins qu'au début, mais cela ne restait pas rare. C'était abject, mais je devais reconnaître qu'il était futé. Il jouait avec nous comme avec de vulgaires poupées de chiffons et s'en f*utait si on s'entretuait du moment qu'il était le maître de cérémonie. Pas pour l'excuser, mais je me demandais ce qu'il avait eu durant son enfance pour devenir si mesquin et pervers. Il devait bien y avoir quelque chose. On ne pouvait pas l'être foncièrement. C'était impossible.

C'était impossible, me répétai-je en voyant les deux écrans sur lesquels se trouvait la vidéo de mes amis qui se répétait en boucle devant mes yeux. Mon esprit me suppliait de tourner la tête tant le spectacle me soulever l'estomac. Or, comme de nombreuses personnes, cette atmosphère morbide me fascinait de plus en plus malgré moi. Je découvrais en mes faits et gestes une autre Victoire insoupçonnée. Une Victoire qui prenait les choses en mains, décidée d'enlever la vie même si elle se cachait derrière des intentions presque altruistes. Je frissonnai. J'étais dégoûtante. Néanmoins, je devais l'admettre, la fille que je voyais sur l'écran, c'était moi. Moi, Victoire Brian.

Brian. Me nommai-je réellement ainsi ou Dpékan avait aussi décidé ça pour moi ? Brian... Peu commun de ce côté de la manche pourtant. Avait-il une signification particulière ? Je cherchais dans ma mémoire, mais ne trouvai rien. Je tentais de bouger les lettres dans tous les sens et... Anagramme de brain en anglais. Cerveau ? Vraiment ? Était-il à ce point puéril ? C'était à cause de mon haut potentiel ? Il fallait bien le croire.

Maintenant que cela me sautait aux yeux, j'étais persuadée qu'il avait calculé ça aussi. Il dirigeait ma vie, mais pourquoi donc ? Pourquoi se sentait-il obligé de le faire ? À ma connaissance, il n'avait dicté « que » ma vie et d'après ses dires, j'avais quelque chose qu'il voulait... Que pouvais-je avoir de si important pour qu'il s'acharne sur mes proches également ? Non, parce que s'il pouvait me dire ce que c'était, je lui cèderais volontiers dans la mesure du raisonnable. Mais... Si la vérité était ailleurs ? Si Dpékan était mon père ?

Je chassai cette idée de ma tête la fraction de seconde suivant ma pensée. Même s'il avait pu subir de la chirurgie, il ne me ressemblait pas. Et quand bien même, si je ne ressemblais qu'à ma mère, je n'avais rien de lui ! Et puis pourquoi m'aurait-il laissé à deux de ses agents en étant sa propre fille ? Et où était ma mère, dans ce cas ? Ne l'aurait-elle pas empêché de m'abandonner ? Était-elle morte ? L'avait-il séquestrée, elle aussi ? J'avais vraiment l'impression que c'était comme ça qu'il fonctionnait. Les questions, qui survenaient, éclataient dans ma tête comme des bulles de savon, comme si chaque mot était une vérité. Je ne savais plus quel était le vrai, quel était le faux...

Malgré cette piste écartée arbitrairement, il y en avait tant d'autres à infirmer ou confirmer et autant de questions qui me firent mal à la tête. Je m'appelai Victoire Brian. Ou peut-être Marjorie Collins, ou Amanda Jackson. Qui sais-je ? Dpékan avait certainement choisi mon prénom aussi. Et mes amis ? Il avait bien monté de toute pièce ma famille non ? Et ma vie en entière ? N'était-elle pas une illusion ? Une simulation pour obtenir ce qu'il veut de moi comme il est en train de faire ?

Première étape, me laisser grandir dans l'ignorance.

Seconde étape, me laisser (me forcer) à me faire des amis –qu'il avait sûrement choisi et fabriqué lui-même pour être sûr que je les apprécie.

Troisième étape, me pourchasser, moi et mes amis, pour créer un ennemi commun et un sentiment d'unité.

Quatrième étape, me mettre dans le coma pour me faire culpabiliser de ne pas retrouver mes souvenirs, et, une fois en ma possession, d'en avoir honte.

Avait-il, de fait, programmé pour que Daniel m'aide ? Avait-il même créé Daniel de toute pièce ? Dans ce cas, il avait aussi prévu que je rejoigne les rangs. Alors pourquoi avoir été surpris que je sois dans les locaux ? Il y avait quand même des incohérences dans mon plan, alors... Et même, en parlant des Mylost, aurait-il prévu Paul ? Je n'osais pas l'imaginer. J'allais devenir cinglée si on me disait que notre amour était factice. Mon tortionnaire aurait été jusque-là pour me faire du mal ?

Avait-il à ce point modeler mon existence pour coller à ses envies ? Ce qu'il m'arrivait n'était-il que le fruit de son imagination à lui ? Pouvait-il à ce point contrôler mes émotions jusqu'à l'amour ? Ou l'amitié... D'ailleurs, mes amis, l'étaient-ils vraiment ? De mon côté, oui, mais du leur ? Ce qui m'amenait à l'étape suivante qui était celle que je vivais actuellement :

Me forcer à leur faire du mal pour me briser.

Et sixième étape, il obtenait ce qu'il voulait et je m'en sortais au mieux, morte.

J'échappai un sanglot. C'était aussi simple que ça. Sinon pourquoi m'avoir épargnée si longtemps ? Pourquoi ne pas m'avoir isolée ? Pourquoi venir me détruire que maintenant ? Il suivait forcément une ligne qu'il avait planifiée. Je me sentais comme une héroïne de tragédie. La différence ? Moi, je ne jouais pas un rôle, je le vivais réellement. Je sentais une boule se former dans ma gorge, mais les pleurs ne vinrent pas. Je n'avais plus assez de larmes pour ça. Je me levai, n'ayant également plus la force de me battre contre mon ennemi de toujours, ou, du moins, de ces dernières années. J'allais faire ce qu'il demandait.

Je vins jusqu'à l'écran qui apparut et me hasarda dans la cellule jaune de Malo qui était sagement assis par terre. Pour l'instant, pas de bouquin en vue. La cellule ressemblait en tout point aux autres, très fortement illuminée et d'un blanc sale. Il n'y avait que lui. Je me raclais la gorge, voulant le sortir de sa rêverie et lorsqu'il me vit, un sourire illumina son visage à moitié mangé par une barbe. Il se leva et vint m'étreindre. Je le serrai aussi fort que je pus et ne cessai de répéter que j'étais désolée, car je l'étais profondément, je ne voulais pas le perdre lui aussi. Il me rassura d'un sourire et d'une caresse sur la tête comme il avait aimé le faire au centre quand j'étais inquiète. Cette bienveillance, qu'il dégageait naturellement, me fit du bien. J'en avais vraiment besoin pour affronter Dpékan et la suite.

— Dès que j'ai appris que ce sal*ud t'avait capturée, j'ai couru au QG le dire aux autres ! m'expliqua-t-il, d'une traite. Non, mais t'aurai vu le speech qu'il nous a fait ! Entre le fait qu'il vous diabolise toutes les trois et le fait qu'il...

— Un speech ?

— Oui, à la radio, tu sais ? Enfin radio, je parle surtout des écrans holographiques disposés partout dans la ville. Il a fait son annonce partout. T'as peut-être pas dû suivre, mais maintenant la technologie est beaucoup plus poussée.

— Si, si, ne t'en fais pas, coupai-je. Tu as parlé de « nous trois ? » De qui parlait-il d'autres ?

— Oui, il disait qu'il avait tué Lolita, qu'il te torturait et qu'il cherchait Fulvia, car elle avait fui...

— Lolita...

J'avais les images de ce que j'avais fait, fraîchement, en mémoire.

— C'est pas les seuls à nous avoir quittés, Xena est...

— Xena... est... Morte ? le complétai-je.

— Oui, ça fait un an, Vicie, je suis désolée, je savais à quel point tu l'appréciais, elle a voulu se battre pour libérer Sarah...

— Oh bon sang, elles sont mortes toutes les deux ?

— Oui...

— Non... Ce n'est pas possible... C'est l'autre taupe qui les a trahies, j'en suis sûre !

— De qui tu parles ?

— Iolé !

— Fulvia, mais non ! Elle était une taupe pour nous dans le gouvernement, pas l'inverse !

— Alors comment tu expliques qu'il y a trois ans, lorsqu'elle est arrivée, on s'est fait attaquer ? Puis quand j'ai dû euthanasier Lolita, elle était là ! Et même, il y a quelque mois, quand vous avez infiltré le bâtiment, elle était des vôtres, et vous avez failli !

— C'est une coïncidence ! C'est tout ! Fulvia nous a montré qu'elle était digne de confiance, elle nous a aidé pour la nourriture et les armes, et puis c'est notre amie avant tout. Je ne sais pas comment tu peux douter d'elle...

— J'espère que tu as raison...

— Ce n'est pas les seules à être parties malheureusement...

Je m'attendais au pire. Je sentis ma poitrine de comprimer en pensant que cela pouvait être Hugo, mon petit frère. Je l'avais vu dans la vidéo, mais je ne savais pas ce qu'il s'était passé depuis ce dernier mois. Je m'adossais contre le mur, ne sachant pas si j'étais prête pour attendre un nom de plus. J'avais déjà du mal de savoir que Xena et Sarah n'étaient plus. Surtout qu'avant ladite bataille, je n'avais vu que Xena. Sarah et les autres filles du pin Vert n'avait pas refait leur apparition et j'apprenais qu'elles étaient mortes avant d'avoir pu les voir à nouveau. Mon cœur se serra.

— Qui d'autres alors ? m'empressai-je.

— William, m'avoua-t-il, la tête basse. Il est mort en chef au combat...

— Comment ça se fait ? Il est pourtant très fort ! Je ne comprends pas qu'il se soit fait prendre !

— C'est compliqué, Ka Lio s'est fait exploser...

— C'est pas possible...

— Et toi ? changea-t-il de sujet avant de, manifestement, pleurer. Dis-moi... Pourquoi t'es-tu cachée pendant si longtemps ?

— C'est une longue histoire, mais je n'ai pas le temps de te la raconter...

— Pourquoi ? Qui y a-t-il de si pressé ?

— Je dois lire un conte, cela aboutira par ta mort.

— Mais quoi ?!

— Écoute, je n'en aurai pas pour longtemps, si tu pouvais te tenir tranquille...

— Non !

— Malo, s'il te plait !

— Je refuse !

L'issue n'était pas bien difficile à deviner. Dpékan haussait la barre de difficultés petit à petit. D'abord une amie à qui je ne parlais pas beaucoup, puis un ami avec qui j'avais de l'affinité, ensuite un ami que j'appréciais beaucoup. Ça allait être difficile sachant que j'avais promis à cet ami de revenir le chercher sain et sauf. Aujourd'hui, il fallait que je déclenche sa mort dans ce jeu morbide.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top