Chapitre 32 (2/2)

Sois toujours comme la mer qui, se brisant contre les rochers, trouve encore la force de recommencer.


Point de Vue Victoire — 08 avril 2081

J'avais envie que ça cesse. J'avais envie que ce ne soit qu'un horrible cauchemar dont je me réveillerai en haletant et en nage. Or, mon tortionnaire avait bien fait les choses pour me détruire à petit feu. J'avais envie de pleurer, mais je n'avais plus de larmes. Ma gorge était serrée, mais mes joues étaient sèches. J'avais épuisé le stock. Restait seulement le sentiment de mal-être, j'étais comme creuse à l'intérieur. Parfois, je croyais encore entendre la voix de mon ami, mais je savais que c'était mon cerveau fatigué qui s'amusait à mes dépens. Des « nettoyeurs » étaient venus faire leur travail, alors que l'on m'avait certainement endormie de force. Puisqu'à mon réveil, le corps n'était plus là. Je ne m'étais pas rendue compte que j'avais fini par m'allonger, le regard flou dans le vide. Un immense vide indescriptible.

Comme pour le précédent conte, l'attente fut très longue. Je passai ce qui me sembla des jours à dormir, recroquevillée dans un coin, ayant tenté d'enlever les images de mon ami brûlant vif de mon esprit, complètement choquée par cette violence. Il avait bien calculé son coup. Il voulait me faire plier en m'affaiblissant. Il y arrivait malgré moi. En dépit de tout ce que j'aurais pu offrir pour arrêter cette ignominie, il s'entêtait à continuer le jeu qu'il m'avait concocté. Si tant était que l'on puisse considérer cela comme un jeu. Ça ne m'étonnerait pas qu'il s'en délecte.

Un bruit se fit alors entendre, comme un petit objet qui tombait par terre. Je tournai délicatement la tête pour m'empêcher d'avoir plus mal que je n'avais et vis une petite gélule. Celle qu'ils me donnaient quotidiennement. Enfin, je ne savais pas si c'était quotidien, mais je le supposais, car il m'était impossible de quantifier le temps qui s'écoulait. J'en avais droit à une seulement si j'étais réveillée. Je l'attrapai avec précaution.

L'effet fut immédiat. J'eus un boost d'énergie. Néanmoins, j'eus un frisson de nervosité. Comme les soirs où je m'étais sentie seule, lors des nuits passées au centre. Je me souvins qu'on dormait, l'un contre l'autre, pour se rassurer, avec Chim. Sa chaleur me faisait du bien, je me sentais en sécurité contre lui, même s'il était plus petit que moi. Cette décision, de dormir contre lui, je l'avais prise après qu'un des gars dans le centre ait tenté de m'abuser. J'avais refusé plusieurs fois, mais il voulait me contraindre à sa volonté. Je lui avais donné un coup de pied dans ses zones sensibles. Il s'était reculé, massant la partie qui lui faisait mal.

Il m'avait insulté tandis que je m'enfuyais, complètement affolée, ayant peur qu'il recommence. Je m'étais réfugiée dans un coin de la salle commune. Les gars m'avaient repérée, complètement hagarde et agressive envers ceux qui m'approchaient. Bravant mes interdictions, ils m'avaient entourée et m'avaient réconfortée. Plus tard, ils m'avaient forcée à parler.

Malo me prenant dans ses bras, Nathan me caressant affectueusement la tête et Ilyas m'écoutant attentivement.

Ils avaient serré les poings dès qu'ils avaient entendu ce qu'il venait de m'arriver. Ils étaient prêts à en découdre, voulant mettre à mal, le gars qui avait tenté la manœuvre. Ils étaient allés voir le mec et d'un commun accord, lors d'un des jeux sanguinaires qui survenaient l'après-midi, Chim avait réglé son compte tandis que Ram et Ongcái s'occupaient de ses possibles alliés. En moins de cinq minutes, les quatre infortunés étaient au sol, maîtrisés par mes amis.

J'étais surprise, mais je leur avais souri et m'étais répandue en remerciements. Ils m'avaient demandé une seule chose en retour : dormir dans leur dortoir. J'avais tout de suite accepté. Cela ne faisait que trois jours que j'étais dans le centre et j'avais déjà vu que tout mon dortoir s'était déjà fait violer. Les surveillants voulaient certainement nous détruire psychologiquement pour mieux nous contrôler, c'était pourquoi ils n'avaient rien fait pour empêcher ces atrocités. Je pensais être la prochaine sur la liste, mais je n'y tenais bizarrement pas.

Après la gêne de savoir avec qui je dormirai, – lorsque William se rajouta –, on avait convenu que je m'allongerai aux côtés de Nathan. Puisqu'il avait mon âge et que c'était le plus petit, donc que je pourrais avoir plus de place qu'avec Ongcái ou Ram qui étaient assez balèzes, niveau gabarit. Et puis ça ne me dérangeait pas plus que ça, comme il me faisait penser à mon frère.

Pas physiquement, car il ne lui ressemblait pas, mais, en tout cas, dans le comportement et dans sa manière d'être. Vif d'esprit, blagueur et vraiment charmeur. Non pas qu'il me faisait de l'effet, mais je le voyais auprès des filles du centre qu'il ne manquait pas de draguer. Il n'avait pu en avoir aucune finalement, à cause des restrictions, mais je ne m'inquiétais pas pour lui. Je savais qu'il en trouverait une qu'il aimerait.... Non.... Il était mort. J'avais tué son futur et ses espoirs de trouver quelqu'un.

Je vis le livre encore ouvert sur la table. Qu'est-ce que ça fichait encore là ? Je me levai, mais à peine fis-je un pas qu'il disparut sous mes yeux. Je fronçai les sourcils, dubitative. C'était impossible. À moins que... À moins que je sois dans une cellule hologrammique ! Ça y était, j'avais en souvenir une discussion que j'avais surprise entre Dpékan et une de ses employées qui parlait d'un système un peu comme celui-ci. Il avait ajouté que c'était le pire qui se faisait en matière de torture psychologique, c'était de la réalité virtuelle tellement fidèle et complexe que le piégé ne se rendait pas compte que ce n'était pas réel. Bon sang ! Tout ça n'était que de la poudre aux yeux ! Mes amis pouvaient être bien en vie !

J'espérais à nouveau et je sentis un poids s'envoler. Je n'avais pas vraiment fait ça ! Je souris, même si j'avais mal.

Je me mis à rire. Me levant et tournoyant sur moi. Quiconque me regardait à cet instant aurait pensé que j'étais devenue complètement folle. C'était peut-être un bon moyen de faire croire à Dpékan que je pouvais être à lui maintenant. J'espérais qu'il sorte enfin de sa cachette et de son mutisme. D'ailleurs, il en sortit bien vite, sûrement jouissant victorieusement de son méfait. Toujours son costume bleu canard qui le grossissait et son éternel sourire vicieux sur ses lèvres qui faisaient ressortir les ridules qu'il avait aux commissures. Ses traits grossiers de l'homme qui vivait en opulence, mais qui tenait à rester digne. Le « juste ce qu'il faut » dirait-on.

— Quel beau soleil en ce jour, ma chère Victoire, n'est-ce pas ? Oh, c'est vrai que tu ne peux pas vraiment savoir, mais tu as l'air pétillant... Dis-moi ce qui te mets de si bonne humeur ?

— Tout ça... Vous êtes un bon manipulateur, mais vous me sous-estimez ! Vous vous êtes trahi et, maintenant, je connais votre secret... Je sais que tout ici n'existe pas... Rien n'est réel et encore moins ce que j'ai fait...

— Perspicace, très chère, mais pas assez pour comprendre la mécanique exacte, dit-il en sirotant une boisson chaude vu les vapeurs qui s'échappait de son mug. Ce que tu vois est certes hologrammique, mais tes violences sont réelles autant que toi et tes amis...

— Comment pourrai-je en avoir la preuve ?

— Regarde, j'ai filmé l'arrestation de tes chers camarades.

— Qui me dit qu'elle n'est pas truquée ?

— Tu doutes de la capacité de tes amis pour infiltrer ce bâtiment ?

— Non, ce dont je doute, c'est de la véracité de la vidéo que vous allez me montrer. Ils peuvent n'être jamais venus ou au contraire déjà morts. Dans les deux cas, me torturer c'est du vent.

— Tu réfléchis vite, dis donc !

— J'apprends juste à vous connaître, calmez-vous !

— Tu peux ne pas me croire, mais je peux t'assurer que ces bandes sont réelles. Je ne te les montrerai pas sinon...

Il lança la vidéo et je vis mes amis pénétraient dans le bâtiment sortant d'un camion linge propre. Ils étaient déterminés et armés. Ils se séparèrent en deux équipes. Eydan, Nathan et Malo pour l'une, Thalie, Hugo et... Fulvia de l'autre. Que faisait-elle là ?! Pourquoi cette traîtresse était avec mes amis ? Elle allait encore une fois les trahir ! C'était certainement pour ça que Dpékan leur avait mis la main dessus !

La séquence se poursuivit sur deux vidéos différentes, une qui s'approchait du bureau de Dpékan et une vers un endroit inconnu. Où allaient-ils ? Je regardai plus attentivement chacun. J'avais déjà vu Nathan. Les autres n'avaient pas non plus échappé aux années. Tous avaient mûri. La personne qui me choqua le plus était mon petit frère... Hugo... Bon sang qu'il avait changé ! Il était devenu un vrai jeune homme ! Il avait presque quatorze ans quand on s'était séparés. Ça me crevait le cœur. Il devait avoir entre quinze et seize ans maintenant, je ne savais pas le jour qu'on était.

Une autre personne retint mon attention, mais moins par surprise que par attirance. Je rougis, mais la tentation était plus grande de le regarder, lui, plutôt que les autres. Ses traits étaient tirés et sérieux, était-il nerveux ? Quoiqu'il en soit, il se battait avec ferveur, lançant des... Munitions invisibles... Sur ses adversaires qui explosaient en mille morceaux avant de disparaitre complètement ?

Il en évita pas mal, certaines vraiment très proches de lui. À chaque munition qui le frôlait, mon cœur ratait un battement.

Je me faisais violence pour faire taire mon tambour intérieur, mais je devais dire qu'Eydan me faisait de l'effet. Il avait peu vieilli, n'avait pas autant de cicatrices que les autres et avait l'air d'avoir repris un peu de poids, ce qui le rendait presque irrésistible. Vous alliez me dire que j'étais facilement charmée. Je ne pensais honnêtement pas.

Lors de notre première rencontre, il ne m'avait pas déplu et il fallait dire que ces trois ans l'avaient embelli. Soudain, sans que je m'en aperçoive, ils furent en sous nombre par rapport aux agents de Dpékan et durent rendre les armes. Seulement, l'homme que j'observai depuis un moment fit quelque chose qui me surprit. Il regarda la caméra de ses iris caramel.

Il semblait vouloir s'adresser à la personne derrière l'écran. C'était troublant, car j'avais l'impression qu'Eydan s'adressait à moi en temps réel, comme si la vidéo était en direct. Bien sûr, ce n'était pas vrai et je le savais. Je déduisis aussi assez vite que le message n'était pas pour moi, mais pour l'homme qui était devenu mon tortionnaire.

Il pointa la caméra plusieurs fois, puis fit comme s'il poussait quelque chose vers la gauche et fit un signe bizarre. Seuls deux doigts étaient dépliés, le majeur et l'index, le dos de la main vers le sol et l'autre main était à plat paume vers le sol, il fit basculer ses deux doigts pour qu'ils touchent l'autre main.

Je compris aisément que le brun lui disait : « tu es mort » *. C'était un message en langue des signes. Je l'avais apprise pendant mon séjour au centre. Ilyas avait tenu qu'on s'échange des messages dans cette langue pour ne pas que les autres comprennent. Je me demandais si Dpékan avait compris le message aussi ou s'il attendait une réaction de ma part pour me demander de traduire. Je restais impassible, mais à l'intérieur de moi, je bouillonnais de questions.

Pourquoi étaient-ils tous venus ? Savaient-ils que j'étais en vie ? Étaient-ils venus pour autre chose ? Xena par exemple ? Je ne l'avais pas vue, ni dans les cellules, ni dans la vidéo. Et surtout, comment Eydan avait-il trouvé la caméra et pourquoi s'était-il adressé à Dpékan en ne sachant pas s'il pourrait décoder le message ? Et s'il s'était adressé à moi ? Aurait-il pu deviner que mon tortionnaire allait me montrer cette vidéo ? Aurait-il pu savoir que j'allais pouvoir déchiffrer le message ? Aurait-il pu savoir que je serai encore en vie ? Et puis pourquoi voudrait-il ma mort ? Pensait-il que j'avais retourné ma veste ? Pouvait-il un seul instant penser ça ?

Ma gorge se serra.

Mes yeux se gorgèrent de larmes.

C'était sûrement cette vision qu'avaient mes amis de moi.

Je fus complètement abattue. C'était nécessairement la vérité. La vidéo se poursuivit par l'arrestation de mes amis. Leurs mines étaient défaites et cela me fit mal au cœur. Maintenant, j'allais devoir les affronter dans les cellules. J'avais déjà rencontré Nathan... Et s'il comptait me faire torturer avec tous ceux qu'il avait capturés, alors il me restait cinq personnes. Fulvia, Thalie, Eydan, Malo et Hugo. Cinq personnes que j'aimais plus que tout, – sauf Fulvia mais nous en reparlerons plus tard – et qui se comptaient parmi les plus chères à mon cœur. Je redoutais vraiment Hugo. J'espérais qu'il ne soit pas le prochain conte, pour me préparer mentalement.

— Alors ? Maintenant, tu me crois quand je te dis que c'est réel ? Puis, demande-toi pourquoi tu as réussi à tenir des livres s'ils ne l'étaient pas ?

J'acquiesçai, étant à présent persuadée de ses propos, mes espoirs s'étant envolés. Mon euphorie aussi, d'ailleurs.

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