Chapitre 31 (1/2)
La souffrance ne peut avoir de sens que quand elle ne mène pas à la mort, et elle y mène presque toujours.
Point de Vue Victoire — 16 mars 2081
Le ciel s'éclaira alors de rouge, d'un rouge profond, du rouge qu'il avait vu sur les lèvres de celle qui avait volé son cœur. Effrayé, il essaya de fuir, ne sachant pas vraiment ce qu'il arrivait. Il cria à la petite fille de partir, mais elle n'était déjà plus là. Il leva les yeux et vit que les nuages formaient un visage humain. Il s'adressa au chevalier qui prit peur.
« Par trois fois chevalier
Tu as menti, effronté,
À ces délicates beautés,
Qui n'ont attiré ton épée
Que pour suivre ta bien-aimée
En cette conséquence
De ta déviance
Nous t'ôtons la vue sentence
Comme prix de ton impatience
Ton regard deviendra cramoisi
Comme la couleur de ton envie
Envers ton meilleur ami
Et l'amour de sa mie.»
Sur ces mots, les yeux du chevalier se brouillèrent et devinrent comme l'avait ordonné le visage humain : complètement rouge. Il secoua la tête pour essayer de chasser sa vision, mais elle ne disparut pas. Il commença à hurler, disant que ce n'était pas lui, qu'il y avait erreur, que ce n'était pas possible que ça lui arrive. La voix se montra clémente. Elle lui proposa de lever le charme, le jour où ses intentions seront devenues, comme il l'avait annoncé : très pieuses. Il jura qu'il le ferait, mais qu'il fallait lui enlever maintenant, sinon il ne saurait jamais qui était celle qu'il devait chercher. Comme réponse, le visage s'évanouit. Le chevalier se mit à pleurer de tout son soûl, il ne savait plus comment s'en sortir. Ses intentions étaient pieuses, pourtant. Il voulait conquérir sa belle... Oui, mais... pour ça, il avait menti à son ami et à celles qu'il avait rencontrées. Il fallait qu'il devienne l'homme qu'il avait décrit. Il serra les poings et se remit en marche vers on-ne-sait-où, car même lui ne savait plus d'où il venait. Il continua jusqu'au petit matin, ou peut-être jusqu'au coucher du soleil, il avait perdu la notion du temps avec cette maudite couleur qui lui dévorait les yeux. Il s'accorde un peu de repos et s'endormit presque immédiatement. Lorsque qu'il se réveilla, il ressentit une vive douleur à la poitrine qu'il identifia comme son chagrin d'amour et se rendit compte qu'il avait plu quand il se sentit mouillé. La fatigue le regagna peu à peu.
Malheureusement pour le chevalier, son chagrin d'amour n'était autre que...
— Non ! m'exclamai-je, en stoppant mon récit, ayant lu avant de prononcer les mots suivants.
— Continue, me pria Dpékan.
— Non, vous ne pouvez pas me demander de lire ça. Depuis le début, tout ce que je lis l'affecte, ça va la tuer !
En effet, si, au début, la situation était risible de voir mon amie costumée du sommet de la tête jusqu'aux orteils, l'expectative de le voir raide mort à mes pieds n'était pas du tout dans mes projets. Maintenant, je me rendais bien compte que la tournure des évènements n'était pas aussi légère que me l'avait dit Dpékan.
Il cachait bien son jeu. Pourtant, même si je savais à présent répondre pour le « quoi ? », je n'arrivais toujours pas à trouver le « pourquoi ? » J'ignorais qui était Dpékan avant les élections et ne connaissais de lui que ce qu'on avait bien voulu m'en dire. C'est-à-dire pas grand-chose. Juste que mes parents adoptifs travaillaient pour lui.
Mille questions ne cessaient de revenir régulièrement dans ma tête. Pourquoi moi et pas une autre ? Que cherchait-il à faire, me tuer, me torturer ou me laisser vivante ? Or, dans ce dernier cas, pourquoi ? Et surtout, pourquoi me torturer ?
— C'est précisément le but, me spécifia-t-il.
— Vous êtes cruel...
— Je sais, continue ! me coupa-t-il, vivement agacé par mon interruption.
Je serrais les poings. Je le haïssais. Il n'avait pas le droit de faire mal à mes amis et cette pseudo simulation en réalité virtuelle n'était pas à mon goût, mais alors pas du tout. Il réitéra plus fermement son ordre et je me décidai à contre cœur de poursuivre l'histoire, car je savais ce qu'il m'en coûterait d'être fermement opposée à ses ordres : mes amis allaient être torturés et tués.
Malheureusement pour le chevalier, son chagrin d'amour n'était autre que... son épée qui lui avait transpercé la poitrine et l'eau sur son torse n'était autre que son propre sang dans lequel il baignait : sa vision l'ayant trompé. Cette histoire nous montre bien qu'il ne faut envier personne, surtout pas au point de notre cher ami, car nous savons tous que si la haine s'ajoute à l'envie, nous aurions bien des ennuis.
Je lâchai le livre qui se fracassa sur le sol dans un bruit mat qui, pour moi, ressemblait à un coup de feu, peut-être symbolisant l'assassinat de mon innocence. La morale de l'histoire mourut dans ma gorge. Ma tête bourdonna et les larmes que j'avais retenues vinrent sous mes paupières closes, brûlant mes yeux.
J'étais horrible. J'avais tué une amie en mon âme et conscience. Elle hurla à tue-tête pendant ce qui me semblait des heures tandis que la plaie béante qu'il avait dans le torse faisait couler un filet de sang terriblement foncé. Je m'étais repliée dans un coin de la pièce blafarde en position fœtale, ayant honte de moi. Je me dégoûtais et me répulsais. Comment j'avais pu renier tous mes principes, comme ça, sur la base d'un chantage ? Je n'étais plus qu'un monstre, mais une fatale vérité me frappa encore plus : j'allais devoir recommencer. Pour chacun de mes proches. Je me mis à trembler et mon tortionnaire reprit.
— Bravo ! Je ne pensais pas que tu réussirais, tu m'étonnes beaucoup, mais après tout, tu n'avais pas vraiment le choix, fit-il en suivant sa phrase par un rire méchant.
— Vous n'êtes qu'un sal*ud !
— Bien sûr ! Pourquoi je ne le serais pas ? Tu as bien failli détruire mon projet, ce n'est que partie remise... Bien, maintenant, tu peux te lever et sortir en touchant un des murs.
Je tentai de me lever comme une automate, ayant envie que tout ça se termine vite. Je ferai ce qu'il me dirait, mais je me suiciderai après. Il ne pourra pas m'en empêcher. Et je ne supporterai pas un monde sans mes amis, cette seule famille que je n'ai jamais eue. Je ne supporterai pas non plus de vivre alors que je les ai tués... Certes, je n'ai pas vraiment tué Kélianne, mais il ne survivra pas à ses blessures, j'en étais sûre. Ma poitrine se comprima de nouveau. Lorsque que je fus debout, je vis des étoiles et je retombai lourdement sur le sol. Je réitérai une dizaine de fois avant de pouvoir atteindre le mur, en restant droite sur mes jambes.
Je revins dans ma cellule. Un petit écran s'alluma, diffusant en boucle l'histoire barbare que j'avais lue. Génial ! En plus, il allait me les faire revivre ! J'attendis qu'il se manifeste à nouveau. L'attente fut très longue. Assez pour que je m'endorme, harassée de ce que je venais de vivre. Ma nuit –si on peut appeler ça une nuit, j'avais perdu la notion du temps— fut mouvementée. Je ne fis que des cauchemars. Lisant encore et encore des histoires qui se soldaient en mort pour mes amis, même s'ils revenaient à la vie pour se venger.
Je me réveillai toujours en sursaut, l'écran me narguant avec ses affreuses images. Je le maudis du coin de l'œil. J'hurlai à Dpékan d'arrêter ça, mais il ne parla pas et ne fit pas ce que je lui demandai. Je songeais que plusieurs jours passèrent. Je tentai d'établir une horloge, mais comme la pièce était constamment éclairée, c'était compliqué. Nombreuses étaient les fois où j'eus des stimulations, auditives et visuelles, mais je ne savais pas si elles tenaient du rêve où de la réalité. La barrière était vraiment, vraiment très mince.
Soudain, alors que j'étais dans un demi sommeil :
— Bonjour Victoire... Alors ? Bien remise ?
— Quel jour on est ?
— Qu'est-ce que ça change ?
— Répondez-moi au moins !
— Nous sommes le deux avril !
— C'est une blague ?
— Non, non ! Bien...
— Mais ça fait presque deux semaines que vous me retenez !
— Tu as bien entendu, c'est parfait... Je te laisse faire. Tu connais le chemin.
Un autre écran apparu. Chim grimaçait d'angoisse. Que lui avait-on fait ?! On avait commencé la torture sans moi ? Oh... Bon sang... À m'entendre, on aurait dit que j'aimais ça. Je me tournai vers Dpékan, mais il ne voulut pas me répondre. Pourtant, je fis une crise, tapant sur tous les murs orange. J'eus pour seul résultat, l'irrépressible envie de vomir. Ce n'était que de la bile, car on me maintenait en vie avec des pilules de nutriments qui tombaient d'un compartiment fait exprès, comme on nourrit un animal en cage. Au début, je ne voulais pas les prendre, car je pensais que c'était du poison, mais la faim aidant et le fait que Dpékan ne me tuant pas, j'ai tenté une première fois. Ne sentant rien de différent et voyant que ma satiété arrivant à grand pas, j'ai réitéré l'expérience. Même si ce n'était pas vraiment de quoi remplir mon estomac fragilisé par mes régimes alimentaires douteux.
Je n'avais pas tout à fait les moyens de me nourrir pendant que je travaillais pour Dpékan. J'allais quémander chez les gens qui voulaient ou non me nourrir. Parfois, c'était des coups qui pleuvaient et je m'endormais affamée, blessée et complètement abattue. Le lendemain, au boulot, je faisais mine de rien, mais mes collègues voyaient mes blessures sous mes pauvres habits dont je prenais grand soin pour ne pas en avoir d'autres à racheter, mais beaucoup étaient dans mon cas. On se lançait des regards solidaires pendant les pauses de deux minutes toutes les heures.
Le grand patron n'aimait pas les frivolités, mais il jugeait utile de faire des pauses, pour aérer l'esprit. Seulement dix minutes toutes les quatre heures était trop long pour lui, alors il avait mis en place cette tournante de deux minutes par heure. Plus vingt minutes pour manger. Ça, c'était pour les terra. En étant promue aqua, je travaillais à mon rythme, mais c'était plutôt contributif. Si on travaillait plus, on gagnait plus. Ça ne dura malheureusement que deux mois. Pas assez à mon goût. Maintenant, je n'étais plus aqua ou terra, j'étais une loque, à peine humaine.
J'appuyai sur le mur et me retrouvai avec le benjamin du groupe. Il ouvrit de grands yeux, étonné de me voir, puis ce fut de la joie qui illumina son visage travaillé par un indescriptible mal, et finalement, l'incompréhension mêlée de peur. La bouche légèrement ouverte, aucun son ne sortit. Il avait bien grandi depuis que je l'avais laissé. Il avait presque dix-huit ans. Sa bouille de Petit Prince avait été laissée au placard.
À présent, ses cheveux, autrefois longs et bouclés, étaient courts et légèrement brossés. Sa petitesse avait laissé une grande taille d'adulescent normal, avec la corpulence fine que je lui connaissais. Son regard me fixait ardemment dans une supplication encore non formulée, j'avais beau l'observer de la tête aux pieds, rien ne trahissait son mal-être. J'allais lui demander quand il se prononça de façon totalement anarchique, fébrile.
— Victoire ? C'est toi ? Tu es vivante ?! Achève-moi s'il te plaît ! Comment tu as survécu ? J'ai beaucoup trop mal ! Pourquoi tu n'as pas cherché à nous contacter ?! Tue-moi si te plaît ! Tu nous as détruits. Hugo surtout ! Tu l'aurais vu te pleurer !
— Excuse-moi Nathan... Je ne peux rien te dire pour l'instant. Je vais abréger tes souffrances, mais il faut que je te fasse mal avant... Pardonne-moi...
— Mal ? Mais j'ai déjà mal ! Je ne sais pas comment ils ont fait, mais j'ai l'impression de brûler de l'intérieur !
— Oh mon Dieu, mais il cherche à faire quoi ?! Dpékan !
— Oui ?
— Vous voulez que je fasse quoi ?
— L'avarice est le châtiment des riches.
— Mais pourquoi vous me servez toujours un charabia pas possible ?!
Je me tournai pour voir ce qu'il y avait autour de moi pour pouvoir répondre à mes interrogations.
Il commençait à se sentir de plus en plus angoissé. Je le fis s'asseoir par terre et m'accroupis face à lui. Je lui murmurai que tout irait bien et que ça ne prendrait que quelques minutes, mais il me rabâcha qu'il ne voulait pas mourir... J'avais mal pour lui, mais je me dis que ce sentiment passerait. Effectivement, je passais d'un sentiment de mal-être à un effroi démesuré. Je me mis à hurler comme une aliénée jusqu'à ce que je tombe dans l'inconscience.
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