Chapitre 30 (2/2)

Ce ne sont pas les influences qui comptent, c'est le choix de ses influences qui est important.


Point de Vue Victoire — 16 mars 2081

Un écran apparut et une pièce rouge s'afficha dessus. Kéliane était assise sur un fauteuil, elle ne semblait pas avoir peur, on aurait dit même qu'elle s'amusait un peu, profitant que personne ne soit là pour fredonner des airs que je ne connaissais pas. C'était assez étrange de la voir aussi sereine alors qu'elle était dans les cellules de Dpékan. Je me rendis alors compte que je ne l'avais pas revu depuis bien longtemps et qu'elle avait changé. Je me disais qu'elle n'avait jamais été très bavarde et qu'on n'avait pas tant passé de temps ensemble. Nous aurions tellement pu apprendre à nous connaitre plus. C'était bête, mais c'était quand on ne pouvait plus rien faire qu'on s'apercevait où on avait failli.

Je la regardai longuement, ne sachant pas encore quel sort Dpékan lui réservait, profitant encore de l'innocence de ces derniers moments. Je ne savais pas ce qui se cachait derrière cette demande enfantine, mais je tentais de me persuader que c'était la seule façon de les sauver. En quelque sorte, certes, je pensais les préserver d'une mort plus douloureuse, car j'avais quand même l'idée qu'à travers ces contes, il allait leur faire du mal. Comment ? Je ne le savais pas encore.

J'angoissais et la façon dont j'allais pouvoir me calmer face à mon amie restait hors d'atteinte ! J'aurais pu songer à la manière de me sortir de là, mais là encore, trop d'inconnues et de facteurs m'empêchaient d'élaborer un plan. À moins que... Peut-être que je me suiciderai, mais oui ! C'était ça ! Il me voulait vivante ! Pour échapper à ce jeu, je devais mourir !

— Et si je me tue ?

— Quoi ?

— Si je me tue ? Il se passe quoi ? Vous m'avez dit me vouloir en vie, mais si je meurs, votre jeu malsain ne marchera pas !

— Serais-tu aussi lâche Victoire ? Si tu te suicides, je jugerai cela comme un refus de ta part. Et tu me forceras à être encore plus dur avec tes proches.

J'étais coincée, la solution, que je pensais plausible, n'avait pas fonctionné. Je regardai mon amie, mon estomac se serrant à cette vision. J'imaginais déjà sans savoir pourquoi du sang et des cris de douleur. Les siens. Je fermais les yeux, essayant de retrouver mon calme. Peine perdue. À part les sociopathes et les psychopathes, je ne vois pas grand monde qui pourrait faire cela en étant parfaitement calme. Dpékan me demanda de toucher l'écran. Je le fis et je me « coulai » dans l'écran, passant au travers d'une cascade de pixel comme on traverse de l'eau. Je me retrouvai aux côtés de mon amie Kéliane.

Elle me salua gaiement après s'être assurée qu'il s'agissait bien de moi : la chirurgie après mon accident avait bien trop altéré mes trait pour me reconnaître au premier coup d'œil. Ensuite, elle déchanta aussi vite en voyant mon regard sombre. Je ne dis pas un mot, attendant les instructions de Dpékan. Mon amie commença à se lever et reculer, ayant visiblement peur de moi, de ce que je pourrais faire. C'était vrai qu'elle ne m'avait pas vu depuis trois ans. Elle pouvait se dire que j'étais passée dans l'autre camp, entre-temps. Ses appréhensions étaient fondées notamment pour le fait que, là, j'étais seule avec elle, Dpékan avait dû lui parler.

— L'envie dissimule sa haine, mais ses coups sont cruels..., paraphrasa-t-il dans des hauts parleurs invisibles.

— Hein, mais ça veut dire quoi ça ?

Il ne me répondit pas, ni cette fois, ni aux suivantes. Je regardai la brune, un peu inquiète et dubitative. Que devais-je faire ? J'analysai autour de moi, le rouge de la pièce me fit mal aux yeux. Je fronçai les sourcils et me concentrai sur ce qui reposait sur la table. Un livre de couleur rouge également dont le titre « Rouge Litchi » étaient nonchalamment posés. La reliure était neuve, signe que le livre venait d'être acheté. C'était donc celui-là que je devais lire...

Un verre d'eau était aussi posé, je regardais dedans et ne vis rien. Je le humai avant de le porter à mes lèvres. Au dernier moment pourtant, je me ravisai. Je ne savais pas vraiment ce qu'il avait mis dedans. Je reposai le verre et je reculai d'un pas. M'y refusant. Aussitôt, la voix mielleuse de mon tortionnaire retentit.

— Bien, tu as préféré la lâcheté. En conséquence, ce sont mes hommes qui s'en chargeront, tu peux sortir...

— Deux minutes, laissez-moi deux minutes...

Je me rapprochai de la table, pris le verre et le bus. Pour l'instant, rien à signaler. Je m'approchai de mon amie avec l'histoire dans les mains. Elle me supplia avant toute chose de ne pas lui faire de mal. Je tentai de garder mon air impassible tout en lui promettant ce qu'elle venait de me demander. Je lui expliquai tout bas que j'étais forcée à lire sans savoir ce qui allait arriver. La terreur se lit dans ses yeux. Mon cœur se serra, ma gorge se noua et mon estomac fit un saut périlleux.

J'ouvris le conte et débutai par le titre. Soudainement, la salle rouge se déroba et nous atterrîmes à l'orée d'un village, qui semblait médiéval, vu l'accoutrement des autres personnes et le décor de chaumières en paille et en bois que l'on voyait se dessiner. C'était donc ça, la fameuse « arme si puissante » que Dpékan détenait dont on parlait entre collègues ? À première vue, elle ne paraissait pas très dangereuse... Kéliane fut également changée, travestie en chevalier, montée sur un cheval à la robe gris pommelé. Je pouffais de rire et elle me lança un regard noir. Je tournai alors la page et lus cette fameuse histoire pour enfants.

Il était une fois, au temps des princesses à défendre et des dragons à combattre, deux compagnons d'armes, très amis, qui partaient souvent tous les deux en quête chevaleresque pour gagner le cœur des dames ou pour satisfaire leur seigneur. Ils ne restaient pas souvent au même endroit, car ils aimaient l'aventure et qu'ils adoraient découvrir de nouvelles choses. Leurs yeux s'émerveillaient d'un arbre ou d'un animal encore inconnu. Ils étaient par ailleurs heureux de pouvoir discuter avec les habitants des villages qu'ils traversaient, s'imprégnant des connaissances des autres manières de vivres. Un jour, las de voyager et les années se faisant sentir, ils décidèrent de choisir un petit village pour pouvoir s'installer et trouver une femme. Ils souhaitaient fonder une famille et devenir voisins pour que leurs enfants s'amusent ensemble et deviennent également amis. Ce fut ce qu'ils firent alors.

Pourtant, leur amitié fut ébranlée par une femme. Il ne suffit que d'un regard sur ses lèvres rouge sang pour qu'ils tombent tous deux amoureux. Ils gardèrent toutefois leur amour secret et s'arrangèrent toujours pour que l'autre ne soit pas là quand ils courtisaient la dame. Seulement, un soir, après avoir bien mangé et bien bu, l'alcool leur déliant la langue, ils parlèrent chacun de leurs amours. Or, ils se trouvèrent tout à fait lucides quand la vérité éclata : ils étaient épris par la même personne, la dame aux lèvres rouges. Ils se disputèrent vigoureusement, voulant chacun la main de cette ravissante femme, puis ils se rendirent à la raison : c'était elle qui devait choisir. Alors, ensemble, un peu apeurés comme des jeunes pages lors de leur premier jour, ils demandèrent à cette mystérieuse beauté ce qu'ils devaient faire pour se départager. Elle décida qu'il faudrait qu'un des deux chevaliers ramène les fruits du noisetier de Chine. Elle émit la condition qu'il faudrait qu'ils partent dans des directions opposées pour ne pas être tentés de corrompre le voyage de l'autre. Les deux amis se mirent donc en route, l'un prenant par la mer, l'autre par les terres.

À l'issue de ce voyage, ce fut celui qui partit par la terre qui fut le plus vigoureux et le plus rapide à atteindre la Chine et ainsi à récupérer les fruits du noisetier qui n'était autre que du litchi. La dame aux lèvres rouges accepta alors les avances de ce dernier, ils se marièrent dans la foulée. Or, son compagnon de toujours commençait à nourrir une rancœur contre son ami et une envie incommensurable. Il était éternellement amoureux de sa nouvelle compagne et brûlait de désir pour elle. De nombreuses fois, il tenta de la courtiser de nouveau, mais rien à faire, ce n'était pas lui qui avait gagné son cœur. De cette envie, en résulta de nombreuses disputes de la part des deux comparses qui continuaient leurs quêtes dans une tension palpable.

Néanmoins, celle qui en avait vraiment par-dessus la tête fut celle qui les avait conquis. Un jour, lasse, elle prépara en cachette une malle avec des affaires et des vivres, scella sa jument avant de partir en pleine nuit, laissant son époux seul au réveil. Elle n'avait rien laissé comme indice quant à sa destination, ni lettre, ni billet. Elle n'avait rien dit aux valets qui, même sous la récompense d'une bourse bien remplie, n'avaient su dire où elle était partie, ni dans quelle direction. Le mari abusé appela son ancien ami à l'aide. Le chevalier d'abord chagriné pour lui trouva l'idée d'aller chercher la femme intéressante, car s'il la retrouvait, il pourrait donc lui montrer qu'il était plus chevaleresque que son mari et qu'il fallait le choisir lui. Chemin faisant, il réussit à le convaincre de rester là, au cas où elle reviendrait de son propre chef, même s'il était presque sûr qu'elle ne rejoindrait jamais celui qui lui avait passé la bague au doigt. Il se mit alors en route.

Il traversa des terres sans croiser âme qui vive dans un premier temps, il se demandait si elles étaient inhabitées. Puis, au détour d'une fontaine, il croisa une jeune femme. Elle était belle, et s'il n'avait pas été aussi obsédé par la femme de son ami, il l'aurait sûrement épousée sur le champ. Il lui demanda la route la plus rapide pour arriver à un village. Elle lui indiqua, mais le retint quelques secondes en lui demandant où il allait. Il lui répondit qu'il cherchait l'épouse de son compagnon d'armes qui s'était enfuie. Son visage devint sérieux et elle l'interrogea sur la raison pour laquelle il le faisait. Il mentit et lui raconta que c'était par pur esprit charitable pour aider un ami dans le besoin. Elle fit une moue dubitative et disparut comme par magie. D'abord stupéfait, le chevalier emprunta la route désignée par la mystérieuse femme, il demanda hospitalité au seigneur des terres qui l'accueillit comme un frère. Il mangea bien, il but bien, il rit bien et dormit bien. Il trouva noble que le chevalier parte à la recherche de la compagne de son ami. La discussion s'arrêta là.

Le lendemain, il repartit de bonne heure, ne voulant pas vraiment perdre de temps sur le chemin qu'il devait encore parcourir, surtout qu'il n'était pas sûr d'être parti dans la bonne direction. L'étoffe qu'il avait vue déchirée à l'orée de la forêt dans laquelle il s'était enfoncée pouvait appartenir à quelqu'un d'autre. Il marcha dans les landes luxuriantes qui s'offraient à lui. Il prit le temps de faire quelques pauses pour boire dans les sources claires et manger les chairs juteuses des fruits des bois qu'il trouvait presque à chaque mètre. Enfin, après avoir dormi à la belle étoile, il trouva un autre domaine. Il se présenta au seigneur qui gouvernait le territoire. Il lui offrit hospitalité comme le précédant et lui présenta sa femme. Elle était magnifique, les cheveux blonds étincelants et les yeux d'un bleu si profond qu'on pouvait s'y noyer si on les regardait de trop. Elle avait également une petite bouche rose et des formes généreuses. Elle ne l'intéressa pourtant pas. Non seulement il ne voulait pas tromper l'hôte accueillant qui l'hébergeait mais aussi parce que son cœur était encore et toujours pris par son premier amour. Son cœur, sa tête, ne pouvaient pas se détacher de cette délicieuse femme aux lèvres rouges.

Le chevalier repartit le lendemain en n'ayant daigné un seul regard à la belle. L'hôte fut un peu frustré. D'habitude, on ne cessait de regarder sa femme et de l'envier, mais là, aucune réaction. Voulant savoir pourquoi il ne la regardait pas, le seigneur demanda à sa femme d'aller lui parler. Subtilement, elle le retint et lui demanda ce qu'il cherchait. Il lui expliqua toute l'histoire et elle désira comprendre l'intention qu'il avait. Il lui répondit qu'il ne souhaitait que le bonheur de son ami et que c'était ainsi qu'il était parti à la recherche de la jeune femme. Elle ne le crut pas, mais elle alla tout de même rapporter à son mari, laissant l'homme reprendre sa route.

Il chemina à nouveau dans les landes perdues parsemées de forêt et de champs. Plus il avançait, plus il avait cette force d'avancer pour conquérir la belle qui s'était enfuie. Il n'avait presque plus d'états d'âmes pour son pauvre ami qui s'inquiétait pour lui et pour sa femme qui, comme nous pourrions l'attendre, n'était pas revenue au château. Il l'enviait. Beaucoup trop. Il voulait l'avoir. Il désirait la posséder. Elle était à lui. Il finit par s'écrouler au pied d'un arbre sous lequel il décida de se reposer. En plein milieu de la nuit, il entendit une voix l'appeler. Il se réveilla en sursaut et sous le clair de lune, il vit une petite fille. Il la salua et elle fit de même avant de demander pourquoi il se reposait sous son arbre. Il s'excusa, ne sachant pas que c'était le sien. Elle fit la moue et commença à lui poser énormément de questions comme tout enfant à son âge. Elle lui demanda qui il était, d'où il venait, où il allait, etc... Jusqu'à la fameuse question qui semblait bizarrement revenir souvent ces temps-ci. « Pourquoi fais-tu cela ?» Il hésitait à mentir également à la petite fille, mais d'un autre côté, elle n'était qu'une inconnue, il n'allait pas lui parler de ces sentiments compliqués qui bercent son cœur. Il choisit de mentir.


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