Chapitre 30 (1/2) :

Ce ne sont pas les influences qui comptent, c'est le choix de ses influences qui est important.


Point de Vue Victoire — 16 mars 2081

J'étais totalement confuse. Ma tête tournait, me faisant voir mille chandelles. Ma mémoire qui m'avait fui, voilà un an, m'était revenue grâce à un visage : celui de ma meilleure amie. Enfin, c'était le sien, non seulement parce qu'elle était morte, désormais –par ma faute, soit dit en passant– mais aussi parce qu'elle m'avait trahie. Elle travaillait pour celui qui nous traquait et qui nous tuait un à un, nous les résistants. Celui-là même qui m'avait enfermée dans une cellule sans barreau, ne contenant, en tout est pour tout, que moi au milieu de cette pièce blanche, légèrement bleutée.

Même si elle m'avait demandé pardon, je ne pensais pas pouvoir lui pardonner d'avoir pactisé avec le diable. Oui, je pesais mes mots. Je ne savais pas ce que ce fumier comptait faire, mais rien que le fait de m'avoir forcé à tuer Lolita en disait long sur sa personne. Je ne l'avais jamais vu, mais je ne tenais absolument pas à ce que cela arrive. Si j'en avais la possibilité, j'aurais préféré ne jamais le voir, il pourrait encore hanter mes cauchemars. Comme si je n'en avais pas déjà assez eu. Depuis que je m'étais réveillée de mon coma artificiel, mes nuits étaient peuplées de cris, de bruits de pas qui martelaient le sol à rythme effréné, et surtout des flashs d'une discussion.

— Nos têtes sont mises à prix.

— Merci du tuyau.

Cette voix me suivait partout : dans mes nuits et dans mes journées. Chaque fois que mon esprit divaguait, c'était sur cette phrase qu'il allait. J'en étais jusqu'au fantasme. Je tentai d'imaginer l'homme qui portait cette voix grave et terriblement irrésistible. Synonyme d'une protection sans faille et pourtant d'une certaine sensibilité. Je l'avais énervé, m'étais-je répétée, me rabrouant au passage. Mon esprit avait inventé cet être fictif qui était cette sorte d'hallucination auditive.

Bizarrement, cela ne m'avait pas conduit à la folie et m'avait même apaisée, quand, le soir, chez moi, dans mon lit minuscule, je me mettais à faire une crise d'angoisse. Cette voix, cette phrase, cette simple phrase, lancée amèrement et empreinte d'une colère sourde, me calmait. Peut-être était-ce le timbre, la hauteur, l'intensité, qui me faisait me sentir bien. Je m'imaginais que si je pensais à ce personnage, il existerait et il m'entendrait lui parler. J'avais dit que je n'avais pas succombé à la folie, certes, mais pour pallier la monotonie de la solitude, je parlais à cet ami imaginaire.

Il n'avait pas de nom, pas vraiment d'aspect, mais il avait cette voix et ça me suffisait. Maintenant, je savais que c'était celle d'Eydan. Et c'était dur de ne pas lui porter toute l'affection que j'avais pour cet ami. On pourrait me dire que c'était normal et que cela passerait, mais je n'avais pas envie que ça passe... Je m'étais dit que, depuis Paul, je n'aimerai plus personne, mais je me souvenais de ce qui s'était passé entre Eydan et moi. Cette complicité et cette amitié que nous avions partagées un court instant.

Quand il m'avait bordée alors qu'il était blessé ou qu'il m'avait mise au défi de le faire manger... C'était gravé en moi et ces instants étaient irréels, hors du temps. Je ne savais pas si Eydan voudrait encore de mon amitié, mais j'étais prête à la lui offrir à nouveau s'il le voulait. Un sourire naquit sur mes lèvres et je fermai les yeux, savourant ces images. Doucement, d'autres moments y succédèrent. Ceux-là étaient beaucoup plus anciens, un peu flous. Je me souvenais de mon frère, Hugo.

Cet adorable chenapan de frère, prêt à faire les quatre cents coups avec moi, pourvu que les parents n'en sachent rien. Lui qui avait couvert nombre de mes fugues quand je ne me sentais pas bien et qui a tu le fait que je sorte avec Paul. Je ne savais pas s'il était toujours en vie. De même qu'Eydan. De tout mon cœur, je l'espérai. Mon esprit erra enfin sur le groupe de résistants. Eux, ils ne pouvaient pas être morts, ils étaient beaucoup trop malins pour ça, non pas que mon frère et mon ami ne le soient pas, mais eux, ils avaient l'instinct de survie qu'ils maîtrisaient à fond. Je les avais vus se battre.

Je les avais côtoyés dans le centre dans les bons et les mauvais moments. Je me rappelais avoir détesté les jeux dans lesquels il fallait se battre à mort. J'avais toujours peur que l'un tue l'autre, mais ils finissaient par déclarer forfait. Je les avais tous combattu l'un après l'autre, finissant indéniablement au sol, mais je me démenais pour toujours donner le meilleur de moi-même. Le souci étant qu'à l'époque, j'avais encore des douleurs terribles dans mon genou, étant un choix de qualité pour mes adversaires qui n'avaient aucun mérite de me battre, si ce n'étaitd'être lâche.

Aujourd'hui, je n'avais plus mal. Peut-être que, pendant l'opération, celle où l'on m'avait sauvé la vie tout en me défigurant, Daniel avait trouvé judicieux de remplacer aussi mon genou, car il savait pour cette faiblesse. Après tout, il avait eu la possibilité pour de nombreux patients dont il fallait changer une épaule ou une hanche, puisque trop usée par le temps ou par les efforts.

Ces derniers temps, les résistants avaient fait rage, bien plus que d'habitude, l'épuisement tant moral que physique avait pris le pas sur la raison. C'était pour cela que beaucoup avaient été blessés. Néanmoins, peu étaient retrouvés, ce qui rendait mon travail encore plus dur. Je savais où ils se trouvaient, mais je devais investiguer comme si je les traquais réellement, feintant de dénicher de nouvelles pistes tous les jours.

Parfois, je voyais même passer des noms familiers comme Angélique ou... Daniel ! Mais... Il... Ne m'avait pas reconnue ? Il a reformé mon visage... Il aurait dû me dire qui j'étais ! Mais il m'avait appelé Violet, non ? Soit, il n'avait pas su remettre un nom sur moi et s'était fié à ma gourmette au poignet, ce qui était le plus judicieux, si j'étais tant déformée que ça, soit c'était peut-être le but. Si j'oubliais qui j'étais, personne ne le saurait non plus. Il n'y a que cette explication plausible pour justifier qu'il m'avait forgé une autre identité. De cette façon, il m'avait probablement protégée de Dpékan. Enfin jusqu'à aujourd'hui. Maintenant, j'étais enfermée entre quatre murs sans vraiment savoir où. En tout cas, pour en revenir à mon sauveur/docteur, j'espérais qu'il allait bien. Cela faisait longtemps que l'on ne s'était pas vus de nouveau.

La dernière fois remontait à mon entrée dans le gouvernement de Dpékan. Là où je franchissais la porte de la mairie pour un entretien d'embauche avec mes cheveux plutôt courts, bouclés, mes lunettes dorées, rondes en fer, mon tailleur bleu clair, visiblement trop court pour moi et mes faux papiers. Carte d'identité, attestation de domicile, CV : complétement vierge pour ma part. J'avais poussé cette porte impressionnante et m'étais présentée à l'accueil. Je me sentis immédiatement minuscule dans ce complexe dont on ne pouvait calculer la superficie totale d'un coup d'œil.

C'était très facile de se perdre, mais comme on était autorisé qu'à pénétrer dans le bâtiment administratif, ce n'était pas vraiment possible. J'y avais travaillé un peu plus d'un an avant que Dpékan ne vienne me chercher.

Si... Je l'avais vu... Je frissonnai. J'avais vu ce monstre. Je l'avais respecté. Je voulais juste lui cracher dessus, à présent. Je n'avais pas l'habitude, mais j'étais sûre qu'avec lui ça viendrait tout seul ! Je serrai les poings. J'avais revu la taupe aussi... Fulvia Iolé. J'en étais certaine que c'était elle qui nous trahirait.

C'était elle qui était là quand nous nous étions faits attaquer et quand j'ai dû euthanasier Lolita. Quand je disais qu'il fallait se méfier d'elle, qu'elle n'était pas nette. Personne ne m'écoutait, de toute manière. J'étais sûre qu'elle s'était enfuie pour sauver sa peau, quand elle m'avait aperçue ! Je rouvris les yeux, balayant mon regard sur ces murs monochromes qui me narguaient. Mon cerveau avait besoin d'autres couleurs pour fonctionner correctement. Je commençais à voir des visages sur les murs. Ceux de mes amis.

Je les entendais parler aussi. Je me levai pour les approcher, finissant invariablement par trouver le mur sous mes doigts et non pas un corps de chairs et d'os. Je poussai un cri de frustration. C'était ce qui alerta mon geôlier. Un écran en hologramme apparut et sa tête se matérialisa. Il souriait, satisfait, mais de quoi ? De m'avoir attrapée ? Il m'avait ignorée pendant plus d'une année, pourquoi maintenant ? Étais-je une ennemie aussi redoutable ? Certes, j'avais survécu à son attaque, mais je n'étais pas si indestructible que ça. Je ne comprenais pas sa jouissance.

— Alors, Victoire ? Ça va ?

— Vous êtes sérieux ? Non, mais vous n'êtes qu'un sal*pard d'enc*lé, oui !

— Je vois que tu es en forme ! C'est parfait !

— Vous me voulez quoi ?! P*tain, mais je ne vous ai rien fait, m*rde ! Et puis pourquoi vous ne me tuez pas tant que vous y êtes, ce serait plus simple pour tout le monde !

J'exultais ma colère par des jurons parce que je pensais que lui, les méritait. Je n'avais pas l'habitude d'en dire, mais là, c'était une façon de me défouler. Ce qui me mit encore plus en rogne était le fait que ça l'amusait de me voir furieuse.

— Simple, peut-être, mais je ne veux pas te tuer, Victoire, tu possèdes quelque chose de précieux que je veux, mais pour cela, il faut que tu restes vivante.

— Que voulez-vous alors ?

— Je ne veux pas te le dire, pas avant que tu sois pleinement en mon pouvoir.

— Et comment voulez-vous m'asservir ? Je vous préviens, je sais me battre !

— Je vais te le dire, patiente un peu, je voulais d'abord savoir comment tu avais pu survivre tout ce temps. On m'a dit que tu étais morte.

— J'ai survécu, on dirait, me moquai-je pince-sans-rire, on m'a remise sur pied et j'ai pu intégrer vos rangs sans problème. On m'a accueillie à bras ouverts, vous devriez renforcer votre sécurité...

— Au contraire, tu es tombée dans le panneau ! Que tu travailles pour moi faisait partie de mon plan, te mettre sur la piste de Lolita aussi et, pour terminer sur le grand final, avec la mission que je t'ai donnée. Tu l'as faite sans rechigner. Je m'attendais à plus de refus de ta part, mais bon.

— Elle était à moitié bandée, je n'ai pas pu la reconnaître !

— Trouve-toi des excuses si tu veux, mais tu l'as fait et je ne retiendrais que ça. C'est ce qui me confirme que tu feras par la suite ce que je vais te demander de faire !

— Non.

— Tu vas changer d'avis, laisse-moi t'expliquer. Cette cellule est reliée à sept autres cellules par holograteur. Tu vas pouvoir te plonger dans chaque cellule virtuellement. Dans ces cellules, il y a tes amis. Chacun est associé à un univers différent, tu vas devoir leur lire un conte dont ils sont les héros.

— Et vous croyez que je vais accepter ?

— Ce n'est qu'un conte après tout, pourquoi refuser ?

— Avec vous, je me méfie, ça ne peut pas être qu'un conte. Qu'est-ce que vous mijotez ?

— Je t'assure que c'est seulement ce que je demande, après ces sept contes, je te redemanderai si tu veux rejoindre mes rangs...

— Et si je refuse ?

— Tu ne refuseras pas.

— Pourquoi ?

— Pour sauver tes amis.

— Et si je ne veux pas lire vos fichus contes ?

— Eh bien, je demanderai à mes agents de leur faire du mal, ils en jouiront et je leur demanderai de prendre tout leur temps pour les faire souffrir jusqu'à leur mort. Et ça tu ne le permettrais pas, mais tu as le choix de lire ces contes. Tu peux être leur sauveuse en quelque sorte parce que si tu refuses, ce sera moi qui serais leur bourreau et je te forcerais à regarder.

— Vous ne pouvez pas !

— Ah oui ?

Soudain, l'écran d'ordinateur s'éteignit et Dpékan apparu directement sur ma rétine. Mon cœur rata un battement. Je tentai de digérer les informations qu'il venait de me donner. Il me laissait le choix – si on pouvait appeler ça un choix – entre le fait que ses hommes de mains fassent souffrir mes proches ou le fait que je lise des histoires pour enfants. Je ne comprenais pas pourquoi sa proposition me faisait autant froid dans le dos. D'autant plus que je voyais dans ses yeux une lueur malsaine qui me glaça au fond de mes entrailles. Je devais donner ma décision, mais j'hésitais encore avant de formuler une réponse.

Je savais que douter était stupide, je n'avais qu'à dire oui, que j'allais lire, mais je ne pouvais me sortir de la tête mes interrogations sur ce que Dpékan pouvais en sortir. Il avait bien dit que mes camarades seraient les héros des contes, non ? Dans quelles mesures alors ? C'était vraiment flou et je ne pouvais pas me décider. Je soupirai. Pour ne pas m'aider en plus, le dirigeant s'énerva.

— Pourquoi tergiverses-tu ? Tu n'as rien à craindre ! Décide-toi maintenant !

Je sentais ma gorge brûler de la bile que je voudrais bien lui balancer, mais je serrai les poings, je ne devais pas à nouveau m'énerver devant lui. Je relevai légèrement ma tête vers le mur sur lequel il affichait un sourire pervers ayant eu tôt fait de quitter mes yeux. Allez, il continuait de sourire, je bouillonnais de lui arracher les yeux ! Ça l'amusait de me voir douter ? Qu'il ne s'en fasse pas, on allait jouer à deux !

— Je vais le faire, finis-je par dire.

— Je t'avais dit que tu accepterais ! fanfaronna-t-il.

— Oui, oui, allons-y, qu'on en finisse !

— Première capsule.


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