Chapitre 29 (2/2)

Bien connaître quelqu'un, c'est l'avoir aimé et haï.

Les jours qui suivirent rendirent tout le monde tendu. En effet, chacun était focalisé sur ce qu'il devait faire. Nous avions prévu quelque chose de millimétré et très précis pour éviter au maximum les incertitudes. J'étais d'ailleurs très stressé concernant l'exécution du plan. L'ampleur qu'il prenait était folle, on allait voler l'arme qui faisait certainement plier la France entière et libérer sûrement ce qu'on pouvait considérer comme la prisonnière la mieux gardée de France. Je ne doutais pas que Dpékan lui réservait un accueil des plus « chaleureux » comme il avait pu prévoir par le passé avec ma sœur. J'avais encore en tête le piteux état dans lequel je l'avais trouvé au sortir de l'hôpital ou encore celui quand on l'avait trouvé en forêt, Thalie et moi. Cette maigreur et cette pâleur presque maladives m'avaient crevé le cœur quand je l'avais vue. J'avais d'ailleurs été plutôt content de la voir reprendre des couleurs et quelques rondeurs dans le QG... qu'elle devait avoir reperdus depuis. Cette ordure ne voulait pas de ma sœur en bonne santé, mais il ne voulait pas d'elle morte non plus.

C'était plus qu'évident, s'il désirait la voir six pieds sous terre, elle y serait déjà. Il avait eu tant d'occasions qu'à ce stade, si ce n'était qu'il avait un autre plan, cela se révélait être de la bêtise pure. Cela ne pouvait pas être autant de malchance de sa part, surtout qu'il était tout sauf maladroit. J'avais beau me triturer le cerveau, aucune solution ne venait à mon esprit pour expliquer ce qu'il pourrait bien faire de mon ainée. Il fallait s'avouer vaincu pour l'instant. D'ailleurs, en parlant de Victoire, je ne savais toujours pas comment j'allais réagir face à elle. J'avais en moi cette boule remplie de courroux envers elle qui, j'en étais persuadé, exploserait à ce moment-là. Je verserai toute ma rage sur elle, toute la douleur que j'avais pu ressentir lors de son deuil qui se révéla vaine et toute cette algie liée à sa trahison et son silence.

J'aurais compris qu'elle veuille s'éloigner. Pour nous protéger et prendre du temps pour elle si elle en avait eu besoin, mais elle aurait dû nous le dire, de quelque manière que ce soit. Là, au contraire, elle avait fait silence radio pendant qu'on la cherchait. On aurait pu se faire attraper mille fois en étant si imprudents, mais le jeu nous semblait en valoir la chandelle, si nous le faisions pour elle. Et là, savoir qu'on avait risqué nos vies pendant qu'elle faisait je-ne-sais-quoi avec je-ne-sais-qui, cela me mettait en boule ! Je lui dirais sûrement toutes ces choses qui n'étaient pas plaisantes à entendre, mais que j'avais sur le cœur. Cela me prenait presque à la gorge quand j'y repensais. Plusieurs fois, tout le monde avait voulu savoir comment j'étais, je mentais.

Je mentais parce que je savais pertinemment que si je m'exprimais là-dessus, on me renverrait la bonne excuse « Ne pense pas ça, c'est ta sœur, quand même ! » Chose qui me ferait sortir de mes gonds. De fait, je souriais et niais que tout allait mal pour moi. Ce n'était pas dans mes habitudes de mentir, mais pour avoir un peu de paix, c'était nécessaire. Cependant, une personne arrivait tout de même à me tirer les vers du nez : Eydan.

Il fallait dire qu'il avait ce don de vous sonder avec un regard indescriptible qui vous mettait obligatoirement à nu. Votre bouche révélait d'elle-même vos pensées sans que vous la contrôliez. C'était étrange, mais cela faisait du bien de vider son sac. On s'était retrouvés un soir dans sa chambre sans que je sache réellement pourquoi. Assis l'un à côté de l'autre dans le silence le plus complet, il le brisa avec une question :

— Tu es content de retrouver ta sœur ? Je te sens nerveux dès qu'on en parle et, comme tu étais sûrement le plus proche d'elle, je voulais savoir si le fait qu'elle soit vivante te réjouissait ou non...

Je pris le temps à la réflexion, même si, de pensées, je n'en eus aucune de cohérentes. Tout bouillonnait en moi. De part et d'autres de mon esprit, se battaient mon honnêteté et ma conciliance. Je ne voulais pas lui mentir, mais je ne voulais pas non plus le vexer. Je savais qu'il appréciait beaucoup ma sœur et certainement qu'il avait gardé une bonne image d'elle que je ne voulais pas entacher, car lui et moi avions fini par être amis.

— Tu veux que je sois franc ? finis-je par soupirer.

— J'aimerais, si possible. Je ne suis pas là pour te juger. Tu me connais, à force, non ?

— Oui, oui, c'est pas ça, c'est juste que... J'ai pas vraiment envie d'être responsable de ce que tu penseras de ma sœur.

— Ce que je pense ou ressens pour Victoire est entre elle et moi, ce n'est pas parce que tu vas me dire qu'elle écrasait des insectes étant petite que ça va changer ma façon de la voir. Je vais pas dire que je m'en foutrais parce que c'est pas vrai. Mais je pense être assez grand pour faire abstraction des détails futiles. Tu voulais me dire quoi ?

— Pas grand-chose, sauf qu'elle m'a fait énormément de mal en disparaissant sans laisser de traces. Ça m'empêche presque de dormir, de ressasser ce qu'elle a fait.

— Tant que ça ? s'enquit Eydan.

— T'as pas de frère et sœur, toi, ça se voit...

— Je te permets pas, j'ai un demi-frère !

— Pardon, mais t'étais proche de lui, au moins ?

— J'avoue que non...

— Bon, bah, je rectifie, ça se voit que t'as pas une relation fusionnelle avec ton frangin... Parce que si c'était le cas, tu comprendrais que ça fait mal. Je ne sais même pas si j'arriverai à lui faire confiance à nouveau...

— Je suis sûr que ça viendra avec le temps, ça je peux te le garantir. T'es pas si rancunier que ça, tu finiras par lui pardonner.

— Si tu le dis... Mais tu lui en veux pas, toi ?

— Oh que si, mais je suis partagé... Je n'arrive pas à savoir si je suis plus soulagé que furieux ou l'inverse...

— C'est vrai que t'avais un faible, toi ! le taquinai-je.

— Quoi ? Non ! Enfin... Écoute, c'est vrai qu'elle ne me laissait pas indifférent, mais c'est fini maintenant, j'ai laissé passer ma chance et trop de temps s'est écoulé. Tant pis...

Pour peu, je l'aurais vu rougir, le bougre. Il avait raison, je pardonnerai à ma sœur, et je savais comment j'allais le faire. Ce serait de la plus belle des manières si, elle aussi, avait encore des sentiments pour ce grand benêt. Je souris, fugacement certes, mais je le fis. Un silence s'installa de nouveau, mais pas gêné, non, un silence léger, comme si nous avions confié ce que nous avions besoin de se débarrasser.

— Et pour te répondre, admis-je, oui, je suis heureux que cette tête de mule soit encore de notre monde.

— C'est ce que je voulais entendre, se contenta-t-il. Les autres spéculaient beaucoup ces derniers temps à propos de ça et je pensais être le plus à même de te le demander.

— Pourquoi ? le questionnai-je, curieux. Pourquoi tu penses que tu es le plus qualifié pour ça ?

— Tu l'as fait, non ? Bah voilà !

Il rit. Vexé, je fis la moue avant de le rejoindre dans son hilarité. Il avait raison, je l'avais fait avec lui, mais pas les autres. Il devait avoir une sorte de superpouvoir à la manière des héros qu'on avait pu voir autrefois dans les films. Désormais, les superhéros, on les voyait en vrai, notamment dans nos rangs de résistances. Lutter chaque jour pour sa vie et pour la liberté, ou en tout cas pour sa remise en place, c'était ça, avoir des superpouvoirs, aujourd'hui. Il fallait avoir un mental d'acier, des nerfs solides, une endurance à toute épreuve, une imagination débordante, une tactique imparable et savoir transformer sa peur en boost pour aller toujours plus loin.

Quoiqu'en pouvait dire Dpékan et sa clique qui nous voyaient seulement comme de la vermine, bonne à se débarrasser à coup de pistolet désintégrant. Plus le temps avançait, plus j'avais de la haine envers lui. Il avait fait des millions de morts, exilé des milliers d'autres, détruit des centaines de familles, faisant tout autant d'orphelins de tout âge. Il avait une liste à rallonge de méfaits en tout genre, je me demandais vraiment comment ses adorateurs faisaient pour le vénérer après tout ça. Peut-être n'avait-il pas le choix ? Chez Dpékan, le chantage avait l'air de pas mal fonctionner, donc, c'était une option.

Le jour de la fête arrivait à grand pas et nous répétions inlassablement ce que nous devions faire. Tout d'abord, Sophie, la mère d'Eydan, irait faire diversion si des gardes bouchaient l'entrée que nous avions prévu. Ensuite, notre escouade se placerait dans un endroit un peu caché sur le chemin du camion-benne qui devait ramener du linge propre à Dpékan. Nous plongerions dans les tissus pour nous cacher dessous. Après, lorsque le véhicule sera entrer dans le bâtiment, nous attendrons que tout soit calme et nous sortirons. Avec le badge de Sophie, nous entrerons dans le sas puis dans les couloirs. Là-dessus, deux équipes se formeront : Eydan, Nathan et Malo pour aller secourir Victoire et Thalie, Fulvia et moi pour aller chercher cette fameuse arme dont tout le monde parlait. Si cette dernière pouvait mettre à genoux ce monstre, j'étais preneur.

Le jour J arriva et les angoisses de l'échec aussi. Néanmoins, on se serra les coudes et on se promit de réussir et que la prochaine fois que nous serions en dehors de cette maudite mairie, nous serions libres et Dpékan vaincu. La mission débuta sans anicroche malgré une fouille succincte du camion que nous n'avions pas prévue : ils utilisèrent des bâtons pour tâter les draps et nous dûmes nous retenir de hurler. Nous arrivâmes sans encombre non plus dans le sas, nous nous changeâmes rapidement avec des costumes d'agent d'entretien et nous pénétrâmes dans le couloir. Au début, tout se passa relativement bien, nous marchions lentement, d'un air détaché, mais quand un des gardes vint nous voir pour nous demander notre identité et notre badge, nous paniquâmes et nous sortîmes nos armes.

Les deux groupes tentèrent tant bien que mal de réussir leur tâche. Nous allâmes dans ce qui semblait être le bureau du s*l*ud et nous fouillâmes tous les tiroirs, armoires et autres rangements possibles tandis que nos amis couraient vers les cellules. Nous pensâmes quand même atteindre notre objectif, même à ce stade de la mission. Nous aurions dû déjà pressentir que ça sentait le roussi. Une alarme finit par sonner dans le bureau de Dpékan pour signaler une intrusion. C'était Thalie qui l'avait actionnée sans le vouloir, en appuyant sur un capteur biométrique. Il fallait se douter que ses empreintes étaient enregistrées comme une menace, d'où ce tel dispositif.

Malheureusement pour nous, une flopée de gardes débarquèrent en trombe pour nous mettre la misère. Je regardai un instant Fulvia qui me certifia d'un regard qu'elle n'était pas au courant de ça. Nous nous battîmes comme nous pûmes, repoussant l'ennemi le plus possible malgré leur désintégrateur qui manquaient de peu de nous toucher. Cependant, ils étaient trop forts et trop nombreux, nous capitulâmes assez rapidement, trop à mon goût. En sortant du bureau, nous aperçûmes l'autre équipe, en allant vers les cellules, dans le même état que nous.

— M*rde ! me dis-je en levant les mains en l'air.

Ils nous passèrent les menottes et nous séparèrent chacun dans une cellule différente, néanmoins, je lançai un dernier regard à mes amis, en déglutissant, avant de rejoindre un futur bien incertain et qui commençait déjà à me faire peur. Je fus emmené dans une pièce tout à fait singulière. Elle était parsemée de buissons de mûres. Chaque fruit descendait en spirale le long de ce qui semblaient être des palissades croisées de jardin en bois. Où étais-je tombé ? Je voulus revérifier derrière moi, mais la porte avait déjà été refermée, pire, l'encadrement n'était plus visible. Je me reconcentrais sur mon nouvel univers. Je fus subjugué. C'était magnifique. J'en oubliais presque le danger...

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