Chapitre 29 (1/2)

Bien connaître quelqu'un, c'est l'avoir aimé et haï.


Point de Vue Hugo — 15 mars 2081

— Deux secondes tout le monde, s'imposa Malo. Il y a trop de détails à régler avant de foncer tête baissée. Je sais que tu veux la retrouver, Eydan, mais on doit quand même se poser avant de vouloir entreprendre quoi que ce soit. D'abord, qu'est-ce qu'on en sait, que Victoire est réellement vivante, hein ?

— C'est vrai qu'on ne l'a pas vue à l'écran, confirma Nathan. Si Dpékan avait menti ? Ce serait pas la première fois.

— Non, contredit Fulvia.

— Quoi ? fis-je, n'étant pas sûr de comprendre. Comment ça « non » ? Je veux bien espérer, mais pas pour rien, Iolé.

— Je l'ai vu, j'ai vu Victoire.

Mon cœur rata un battement. C'était confirmé, ma sœur était bien en vie. J'avais pleinement confiance en Fulvia. Elle ne mentirait pas sur un truc aussi grave. Néanmoins, les mêmes questions tournaient en boucle dans ma tête.

— Où, quand, comment ? commençai-je.

Oui, je le savais, cela faisait un peu agressif, mais il fallait me comprendre. Après avoir fait ce deuil douloureux, j'avais l'impression que ma peine n'avait plus de légitimité. Pourtant, j'avais eu le droit de la pleurer, ça, personne ne pourra me l'enlever. Néanmoins, je me sentais blessé, car trahi par la personne en qui j'avais le plus foi.

— Calme, je vais vous le dire, tempéra l'ancienne taupe.

— Et tu nous expliqueras aussi pourquoi tu nous l'as caché, hein ? se fâcha Malo. Parce que bon, on devrait tout se dire, éviter les mensonges, surtout pour une information aussi importante !

— Oui, oui, je vais le faire. Bon, vous le savez que j'étais infiltrée et que j'aidais Lolita dans l'ombre.

— Oui, c'est ce que je t'avais donné comme mission, rappela Angela.

Depuis que Lolita avait viré de bord, elle et Fulvia œuvraient dans l'ombre. Que ce soit sur des informations classées ou sur des dons de nourriture ou vêtements, elles avaient fini par bien s'entendre et à travailler main dans la main. Elle s'était d'ailleurs portée garante pour l'ancienne protégée de Dpékan en nous expliquant qu'un homme avait balancé ses quatre vérités sur le dictateur français devant une cafétéria remplie.

Cela l'avait beaucoup affectée quand elle en avait parlé, comme ce fou, parce que pour se liguer devant ce meurtrier et ses partisans il faut être fou, avait été une personne importante dans sa vie. Elle l'avait déclaré comme mort, car il n'avait pas été retrouvé et qu'il avait dû se trouver dans la bataille au moment des détonations. Néanmoins, je ne pouvais pas le confirmer. Ça avait tellement été la pagaille à ce moment-là que, même si elle me montrait une photo, j'aurais été incapable de certifier sa présence dans nos rangs. Je ne saurais probablement pas le fin mot de l'histoire sur cette affaire, mais ce n'était pas si grave.

— Eh bien, j'ai su que Dpékan avait des doutes et qu'une employée avait comme mission de la surveiller. Du moins, son journal de bord. Le bruit courait que la fille avait réussi à trouver des choses sur les actions de Lolita dans la résistance, les dons de nourritures et tout le reste...

— Et du coup, c'est pour ça qu'ils l'ont enfermée ? demanda Eydan.

— Ils ont fait pire. Dpékan est un tordu, je pense qu'il a fait ça parce que Victoire était l'ancienne meilleure amie de Lolita, mais...

— Qu'est-ce que ma sœur vient faire là ? la coupai-je, confus.

On était en train de parler d'elle et Lolita, en quoi Victoire était concernée ? Elle aussi avait bossé chez Dpékan ? Alors, comment se faisait-il qu'on n'ait pas été au courant ?

— Attends, laisse-moi d'abord finir, s'énerva l'ancienne agente double. Du coup, cette fille qui avait trouvé des infos sur Lolita a été montée en grade et Dpékan lui a confié une mission : tuer sa protégée.

Donc, il était prêt à vraiment exterminer tout le monde. Certes, elle avait fini par le trahir, mais, de ce qu'il se disait, leur relation était fusionnelle presque autant qu'entre un père et sa fille !

— C'est tordu, lâchai-je, mais ça lui ressemble bien à cette pourriture. Et, du coup, elle l'a fait ?

— Oui, malheureusement, oui et j'étais là. Lolita avait besoin de soutien, elle m'avait demandé comme dernière volonté. Je ne sais pas comment vous expliquer à quel point ça m'a touché. On n'était pas si proche que ça, mais elle m'avait choisi moi pour l'accompagner... Ce que j'avais pas prévu, c'est que cette Violet qui devait assassiner mon amie, c'était en réalité Victoire.

Je tombais des nues. Avais-je bien entendu ? Victoire s'était bel et bien rangée du côté de ce monstre ! Je serrais les poings. Pourquoi ? Pourquoi elle avait fait ça ?! Comment c'était possible que ma sœur exécute son ancienne meilleure amie de sang froid ?! Je voulais bien croire qu'en trois ans, elle ait pu changer, mais à ce point ?!

— Tu veux dire que Victoire, notre Victoire l'a tué ? s'offusqua Eydan. J'y crois pas !

— Et vous voulez vraiment la secourir ? en rajouta Sophie, la mère de ce dernier.

— Attendez, avant de tous l'incriminer... Comment ça s'est passé, Fulvia, elle a été contrainte par quelconque manière ? sonda la cheffe de la résistance.

— Elle est entrée dans la salle de torture et s'est dirigée directement vers Lolita. J'avoue, j'ai eu du mal à la reconnaître en premier lieu. Elle avait carrément changé de physique. Elle n'a pas trop de traits communs, alors c'était assez troublant. Déjà, elle avait les cheveux bien plus courts, presque à la garçonne. Ensuite, je ne sais pas vraiment comment c'est possible, mais son nez et la forme de son visage ont changé. Mais au fond, j'avais réellement l'impression que c'était elle. Ça m'a fait bizarre, j'étais fière et soulagée qu'elle soit en vie, mais en même temps, je me retenais de lui coller une droite au visage, même si je suis restée stoïque ! Surtout qu'en plus, elle m'ignorait totalement ! J'étais presque vexée. J'ai essayé d'attirer son attention, mais elle ne me regarda qu'après avoir piqué Lolita et avoir vu son visage. Elle a eu une sorte de soubresaut pendant que Lolita se répandait en excuses. Elle a reculé de quelques pas, profondément choquée et, en me voyant enfin, son visage trahissait une terreur indescriptible. Je n'ai pas vraiment compris pourquoi, mais ce brusque changement de comportement était déconcertant. Il fallait dire qu'avant ça, elle avait l'air d'un fantôme, carrément absente et automatisée, c'est pour ça que j'avais eu du mal à me convaincre que c'était elle. Mais quand elle m'a regardé avec cette terreur brûlante dans les yeux, j'ai revu celle que j'avais connue : une petite fille qui ne demandait qu'à être sauvée.

— C'est comme ça que tu voyais ma sœur ? m'enquis-je.

— En vrai, oui. Je l'ai toujours vu un peu perdue et elle manquait de maturité à l'époque, enfin, c'était complètement comme ça que je le voyais. Je ne sais pas pourquoi. Je pense qu'elle aussi m'a reconnue, mais elle n'a pas réellement eu le temps de réagir que Dpékan l'a interpellée. Pendant ce temps, moi, j'ai pris la poudre d'escampette. Je savais que ça sentait le roussi donc j'ai préféré fuir. S'ils avaient pu avoir Lolita, j'étais la prochaine sur la liste.

— Tu l'as abandonné ? s'enquit Sophie. Tu n'as même pas cherché à t'enfuir avec elle ?

— Désolée, mais l'instinct de survie a pris le dessus. Vu ce que je venais de voir, je ne savais pas vraiment si je devais faire confiance à Victoire. Je ne pouvais pas affirmer qu'elle ne faisait pas partie du camp de Dpékan vu comment elle venait de retourner sa veste. En plus, j'étais sous le choc, c'est plus mon corps qui a réagi dans la fuite que mon esprit. Honnêtement, je ne savais plus où me mettre.

— C'est compréhensible, la rassura Nathan, j'aurais réagi pareil.

— Ça explique toujours pas pourquoi tu nous l'as caché ! s'échauffa Malo.

Il venait de taper un grand coup avec son poing sur la table. Il avait l'air extrêmement énervé. Je ne l'avais jamais vu comme ça auparavant.

— Il a raison, tu aurais dû au moins m'en parler, la rappela à l'ordre Thalie.

— Nous... Nous en parler, la corrigeai-je.

— J'ai rien dit parce que j'avais peur ! J'avais peur que ce ne soit pas la vraie Victoire. Surtout quand on sait l'impact que sa mort a eu sur eux, commença-t-elle en nous pointant du doigt, Eydan et moi, si je leur disais qu'elle était finalement vivante sans en être vraiment sûre, ils auraient pété des câbles.

— C'est faux ! s'insurgea mon ami.

C'était vrai. Si elle me l'avait dit sans en être totalement sûre, j'aurais été effondré et furieux contre elle pour piétiner le peu d'espoir qu'elle m'insufflait.

— Arrête de te mentir Eydan, on a vu comment ça t'a miné et à quel point tu te rattachais à l'espoir que tu la reverrais, insista Malo.

— J'étais le seul à croire en elle ! Et j'ai eu raison, vous voyez ! Vous me preniez pour un fou et un imbécile, mais à croire que c'était vous qui l'étiez ! J'avais eu raison de lui faire confiance !

— Tu t'en rendais malade, c'est pour ça qu'on le pensait, rectifia Nathan. On a un peu laissé couler, c'est vrai, mais chacun faisait son deuil à sa manière. Mais le tien faisait un peu peur, je l'avoue. Tu sortais pas de ton mutisme, tu avais vraiment changé et tu passais tes nuits à chercher où elle pouvait bien être ! On a vraiment vu ça comme une lubie... On se doutait que c'était parce que tu t'en voulais de votre dernière dispute, de ne pas avoir su vous réconcilier avant qu'elle ne parte...

— C'est vrai ? l'interrogea sa mère.

— Disons qu'il y a certains éléments justes, mais il faut me comprendre, je savais qu'elle était vivante. J'ai abandonné l'idée au fil du temps parce que je ne voulais pas souffrir encore si on retrouvait son cadavre quelque part et parce qu'ils voulaient tous que j'abandonne l'idée, j'ai fini par les croire...

— Oh, mon chéri...

— Ça va, tout va bien. Enfin... Mieux disons. Bref, c'est quoi le plan ? La laisser crever là-bas ?

— Si ça se trouve, elle est de notre côté et c'est juste que Dpékan l'a menacée en amont pour Lolita ? prospecta Malo. Parce qu'il était pas obligé de le faire devant Fulvia, elle a peut-être subi du chantage...

— C'est pas impossible, admit Thalie.

Après avoir suivi la conversation presque passivement, je pris la parole, une question me brulait les lèvres à moi aussi.

— Et vous vous demandez pas pourquoi elle ne nous a rien dit pendant trois ans, vous ? Parce qu'elle arrive un peu comme une fleur, là. C'est ma sœur, je le sais, mais quand même, elle aurait pu nous envoyer un message, ne serait-ce que crypté ou j'en sais rien ! La théorie qu'elle ait pu retourner sa veste est vraiment plausible. Je sais qu'elle détestait Dpékan comme nous tous, mais un lavage de cerveau est si vite arrivé !

— Justement, dans les deux cas, il faut aller la chercher. Je m'explique, nous éclaira Eydan, si elle a changé de camp, on pourra lui tirer les vers du nez par rapport à Dpékan, lui poser toutes les questions dont nous avons besoin, mais si elle est du nôtre, on l'aura sauvée !

Je restais sceptique, mais il n'avait peut-être pas tort après tout. Dans les deux cas, cela restait bénéfique pour nous.

— Ça se tient, confirma Fulvia.

— Ça n'empêche qu'il faut établir un plan, réagit Angela. Ça peut nous prendre des jours !

— Si on s'y met maintenant et tous ensemble, je pense que quelques heures peuvent suffire, supposa la mère d'Eydan.

— Vous avez raison, confirmai-je. Allons-y.

On débarrassa la table au milieu de la pièce pour allumer l'holograteur et faire apparaitre un tableau blanc vide. On commença par ajouter les plans de l'ancienne mairie remise à neuf qu'on avait pu obtenir de la part de Fulvia et, à l'aide de ses souvenirs, on marqua les entrées les plus surveillées afin de les éviter. Pendant ce temps Eydan, subissait presque un interrogatoire de la part de sa mère sur ce qu'il était devenu, mais un sujet attira mon attention.

— Et... Cette Victoire que l'on va secourir, c'est une amie ?

— Oui, je te l'ai dit maman, répondit le brun, un peu détaché.

— Amie, ou amie « plus si affinité » ? le taquina-t-elle.

— Maman !

Il baissa la voix, mais je l'entendis.

— Pas devant tout le monde, et puis, c'est compliqué, c'était pas quelque chose de très clair entre nous...

— Était ?

— Je ne sais pas si l'on pourra reprendre où on en était, donc je préfère abandonner l'idée, tu vois...

— Tu verras bien, en attendant, on va peut-être aider tes amis pour que tu voles à son secours, à cette jeune fille !

Il baissa les yeux comme un enfant pris en faute et cela me fit rire intérieurement, ça se voyait qu'il en pinçait encore pour ma sœur. Mais, comme avait dit Sophie, il fallait cesser de divaguer. On discuta, ensuite, de comment on allait s'organiser pour s'infilter dans l'antre du loup. Tout d'abord, il faudra se procurer certains déguisements pour ne pas se faire repérer.

— C'est bien beau les déguisements, mais ça doit être super protégé, doit y avoir des badges ou des trucs du genre pour rentrer, exposa Nathan.

— Je... commença Sophie avant de se faire interrompre.

— On pourrait certainement faire diversion et en voler un à un des gardes, proposa Thalie.

— J'ai peut-être..., recommença la mère d'Eydan, avant de se faire à nouveau évincer de la conversation.

— T'es pas aussi discrète, la taquina Malo. Non, pour aller bien, il faudrait l'avoir avant, comme ça, on limite les imprévus.

— Comment faire alors ? demandai-je.

— C'est là que je rentre en jeu, fanfaronna finalement l'adulte, ayant compris que je lui tendais une ouverture, en balançant le fameux badge sur la table.

— Vous l'avez eu comment ? demanda Fulvia, les yeux ronds. C'est le dernier modèle...

Elle roula les yeux avant de répondre, amusée par notre crédulité.

— Vous pensez vraiment que je m'étais échappée comme ça, en demandant gentiment avec un « siteuplaiiiiiiiiit » ? Vous croyez qu'ils m'ont tenue la porte après un « après vous, très chère ? »

Elle rit avant de reprendre.

— J'ai fait comme vous, les enfants, je me suis battue pour ma vie, quitte à faire des choses que je n'ai jamais faites : me battre. J'ai pas forcément aimé, mais c'est comme ça que je suis devant vous maintenant...

Eydan avait ouvert légèrement la bouche, choqué. Il ne devait pas juger sa mère capable de ça. En même temps, qui le pouvait ? On n'était pas tant habitué à voir des adultes combattre, enfin dans notre camp, ils étaient soit trop résignés pour se révolter, soit ils étaient armés jusqu'aux dents dans la brigade de Dpékan.

De fait, on utiliserait le pass de Sophie pour entrer de façon plus rapide au lieu de devoir crocheter la moindre serrure qui nous barra la route. Puis, il faudrait rejoindre les cellules dans lesquelles devait se trouver Victoire. L'ancienne aqua nous indiqua la zone où elle pouvait se trouver sans vraiment être précise. Elle le justifia en nous disant que ma sœur était un peu plus qu'une simple hors-la-loi et que ce fumier avait peut-être prévu autre chose comme il l'avait fait pour Lolita.

— D'accord, mais si on en profitait aussi pour subtiliser cette fameuse arme qui le rendrait si puissant ? proposa Nathan.

— Je ne suis pas sûre que ce soit judicieux, le contredit Angela. Si on se sépare, on a plus de chance de se faire capturer.

— Mais en restant groupés, on perd plus de temps, lui indiquai-je.

— Et si on s'en foutait ? intervint Eydan, on devrait se concentrer uniquement sur Victoire. L'arme, avec un peu de bol, Fulvia pourra la copier.

— Oui, mais, tempera la mentionnée, il me faudrait au moins la voir et si elle est dans le bureau de Dpékan, ce sera rapide d'y jeté un coup d'œil !

— Et risquer de tomber sur lui ? s'exclama Malo. Hors de question !

— C'est pour ça qu'on va attendre la fête qu'il compte organiser, expliqua la cheffe de la résistance. Il sera occupé et, nous, on pourra infiltrer le bâtiment plus facilement !

Nous acquiesçâmes et on reprit le plan. Il y aurait deux unités. Une pour l'arme, une pour Victoire. Nous passerions par le camion de la buanderie de la mairie qui passait tous les samedis pour récupérer les affaires de « Môssieur Dpékan ». Ainsi infiltrés, nous aurions loisir de nous repérer. Le seul hic, c'est que nous ne savions pas dans quelle salle de torture était Victoire. On verrait sur place...


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