Vous saurez qui l'on est quand son pouvoir sera sans limite. C'est le moment où les masques tombent.
Point de vue Lolita ─ 13 mars 2081
— J'imagine que oui, vu ton état, ma chère.
— Je suis désolée, je prends mon après-midi, lançai-je en me relevant, avec la tête qui tournait, les larmes aux yeux et la rage au cœur.
Je courus ensuite dans les couloirs, tandis que Dpékan me criait de revenir, qu'il avait une autre personne à me montrer. Honnêtement, je n'en avais plus rien à f*utre. Il m'avait enlevé ma petite sœur, je devais me ressourcer pour éviter de déverser ma bile sur lui et de faire foirer toute ma couverture que je gardais depuis trois ans. Surtout si je f*irais, je mettais en péril les derniers résistants recherchés et je ne pouvais accepter ça.
J'avais changé. Je ne voulais pas régresser. Surtout pas pour ça. Je sortis du bâtiment, attrapai le premier magnétibus, m'accrochant à la barre. Je présentai mon œil au lecteur d'empreinte visuelle et allai m'asseoir sur un des sièges de libres. Je m'installai et regardai au dehors, séchant mes larmes, admirant l'architecture d'une société décadente où tout était déstructuré, les bureaux, les usines, les entreprises agroalimentaires, les immeubles, plus rien ne ressemblait à ce qui existait auparavant.
Tout était carré, seuls la couleur et un signe distinctif les différenciaient comme les cotes des livres dans les bibliothèques. Des centres pour les étrangers étaient disséminés un peu partout. Officiellement, ils devaient servir à ceux qui venaient pour apprendre le français et la formation de leur choix, mais tout le monde savait et fermait les yeux sur ce qu'il s'y passait réellement.
C'étaient des ghettos xénophobes. En trois ans, la population française, littéralement anéantie, était passée d'une vingtaine de milliers d'individus, –la plupart s'étant cachés et ayant fui vers les pays frontaliers, – à près d'un million au vu de tous les exodes. Les autres pays n'étaient pas assez grands pour leur population. Du moins, c'est ce qu'ils se disaient. Dpékan se faisait donc passer pour un bon prince, accueillant tout le monde dans son humble pays.
La vérité était, hélas, toute autre. Non pas qu'il faisait exterminer les populations, mais il les conditionnait et les dissidents étaient renvoyés chez eux sans aucune autre forme de procès. Dpékan voulait une France irréprochable. Pas de pollution, de guerres, de chômeurs, de pauvres, de malades. Si on polluait par quelque forme que ce soit, on était enfermé à vie.
On voulait déclencher une guerre civile ? On était pendu, humilié et souillé comme exemple, pour dissuader les autres de poursuivre. On n'avait pas de travail ? Dpékan vous en trouvait de force. Vous étiez pauvres ? Soit vous deviez travailler plus, soit vous étiez bannis de la société. Vous étiez malades ? On vous implantait de nouvelles cellules souches sans possibilité de rejet, sauf si cela relevait du miracle et là, il vous laissait finir vos jours dans de gigantesque mouroir. Quel grand prince, ce Dpékan ! Pour ce qui était maladie mentale, il enfermait les atteints loin, perdu dans les réserves naturelles pour que personne n'y accède. Il voulait une nation saine, propre et vivante.
Une société qui en faisait vomir plus d'un, se désintégrant un beau matin, las de travailler pour un boulot qui ne le rendait pas heureux et d'avoir une famille choisie par le gouvernement. En plus d'être xénophobe, il était eugéniste. Chaque individu était lié génétiquement avec une autre personne pour concevoir. Pas de place pour l'amour, que ce soit hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, ou d'un genre différent. Tout le monde se voyait attribuer un autre individu pour procréer le meilleur embryon possible.
Chaque spermatozoïde et chaque ovule était analysé pour une union parfaite. Chaque personne en âge de procréer se devait d'aller dans les hôpitaux dédiés à cela. Enfin, la grossesse était faite en ectogenèse*. La femme n'avait donc plus de grossesse et les rapports sexuels n'étaient plus obligatoires, voire déconseillés, pour éviter la surpopulation. Les parents, » cependant, devaient rester ensemble pour accueillir, non pas leurs propres enfants, mais des enfants compatibles avec leur état psychologique.
Tout était calculé à la mesure près, ne laissant aucune marge d'erreur. Le bus s'arrêta devant mon pavillon. Étant la protégée de Dpékan, j'avais eu le droit à ma propre maison et à mon propre arrêt de magnétibus. J'avais mes repas gratuitement et à volonté, un loyer payé d'avance et beaucoup d'autres privilèges comme ceux-ci. Détrompez-vous sur ma personne. J'envoyais tous les jours à raison de trente-deux repas des colis aux résistants pour qu'ils puissent se nourrir.
Je ne savais pas combien ils étaient exactement, mais j'espérais que ça leur permettrait de survivre. Je pensais qu'avec un seul repas, ils pouvaient se nourrir pour quatre, vu les quantités astronomiques de nourriture que contenait chaque colis. Et encore, quand je ne demandais pas des pilules de nutriments, plus coûteuses, mais plus nourricières que les bouillies qui constituaient nos repas.
Ah oui, parce que adieu les viandes, les poissons, les végétaux. On était passé dans une ère alimentaire sans déchet, mais scientifique. Et surtout microscopique, tout était calculé pour qu'une seule gélule contienne les apports journaliers nutritionnels. On ne mangeait plus pour le plaisir, mais juste pour ne pas avoir faim. Les petites gourmandises sucrées n'existaient plus, ou presque, réservées aux caelis, ni les bonbons ou les boissons –chaudes ou froides— remplacée par des fontaines d'eau qui prenait le goût que l'on souhaitait. Sauf, bien entendu si vous étiez, comme moi, un ou une caeli.
Je descendis du bus et marchai le long de l'allée, mon voisin, un haut placé –portant le doux nom de M. Melis– qui ne cessait de me rappeler Victor par ce patronyme, même s'il n'y avait aucune parenté, me salua de la main me demandant pourquoi j'avais triste mine. Je ne lui répondis pas et m'engouffrai dans ma maison après avoir scanné mon œil. Je pris de l'eau brûlante du robinet que j'allai vider dans la baignoire que j'avais préalablement bouchée.
On n'avait pas le droit au bain alors je recourrai à cette pratique pour m'en faire couler un quand la journée était éreintante comme aujourd'hui. Je vérifiai la température de l'eau avec mon doigt, mais le retirai vivement avec un petit '« aïe.» Elle était beaucoup trop chaude pour que je m'y plonge sans risquer de me brûler.
— Lolita ? Je sens que vos terminaisons nerveuses de votre index droit ont été légèrement endommagées par une chaleur importante. Puis-je vous aider ?
— Non c'est bon, Virgile, ça va le faire, merci.
— De rien, Lolita.
Virgile, cet assistant domotique qui me servait de docteur, de pense-bête ou encore d'encyclopédie m'accompagnait déjà depuis deux ans, depuis que j'avais emménagé ici. Il ressemblait aux anciennes enceintes connectées, mais en plus perfectionné. Il pouvait détecter tout ce que vous faisiez, si vous vous faisiez mal, si vous aviez besoin de manger, d'aller aux selles ou même si...
— Vous avez pleuré, quelque chose à rajouter dans votre journal ?
— Toujours pas Virgile, tu sais bien que je ne te dirai rien dans cet état-là.
Il fallait que je tienne ce journal qui était lu par des agents. Je n'y racontais que ma triste journée, omettant mon travail dans l'ombre pour la livraison des résistants. Chaque fait, chaque geste était justifié. J'étais allée dans ce coin de rue ? C'était pour du shopping, mais comme rien ne m'a plu, je n'ai rien acheté. J'ai commandé ces repas ? J'avais drôlement faim ! Cela passait toujours.
Mais je ne me confiais jamais après avoir pleuré, je me connaissais, je pouvais dire ce que je pensais véritablement, il fallait donc que j'ai la tête froide. Et pour ça, rien de mieux qu'un bon bain chaud pour détendre les muscles et l'esprit. Je revins dans la salle de bain, testai à nouveau l'eau puis me déshabillai. Je me coulai dans le bain, fermant les yeux et appréciant la douce et brûlante chaleur qui s'empara de ma peau.
Je me crispai le temps que je m'habitue à la température, puis me détendis dans un long soupir. Les yeux fermés, je me remémorai tous les derniers événements. Il faudrait que je revienne demain et que je fasse bonne figure alors que je ne voulais qu'une chose : crier et tuer Dpékan. Le faire souffrir comme il m'avait fait mal. Le torturer et y prendre beaucoup de plaisir.
Mais je ne devais pas. Je sortis de mon bain lorsqu'il devint froid. J'ouvris le bouchon et laissai l'eau couler. Le regard fixé dessus, ne pensant plus à rien. Lorsque l'eau eut fini de couler, je pris une douche rapide puis je me mis en pyjama pilou blanc que j'affectionnai. Je brossai mes cheveux après les avoir séchés et les attachai en une couette haute.
Je rejoignis mon lit avec un immense vide en moi. Je n'avais définitivement plus de sœur, le doute ne pouvait plus subsister. Et j'avais également peur de la seconde personne qu'il voulait me présenter. J'avais peur que ce soit un autre de mes proches, amis ou famille confondus. Je ne voulais pas subir encore ce chagrin que je venais d'avoir. Je ne voulais plus pleurer. Je m'assis sur le matelas, l'affaissant un peu par la même occasion.
Je laissai tomber ma tête sur l'oreiller, je finis par m'allonger et m'endormir dans un sommeil sans songe.
OoO
Je me réveillai sous la douce voix de Virgile qui me sommait de me lever. Il m'ordonnait aussi de compléter mon journal. Je le fis vite fait d'une voix morne. Je m'habillai d'une chemise à carreau ouverte bleue, d'une jupe courte et droite noire et de bottines couleur cuir d'aspect rangers militaires**. Je refis ma couette, pris une veste et sortis dehors prendre le magnétibus pour me rendre sur mon lieu de travail.
Je fis un arrêt devant la boulangerie où je pris un croissant, des tartines beurrées et confiturées d'abricot et un café. Un autre privilège des caelis, pouvoir manger de la vraie nourriture si on le voulait. Je ne déjeunai jamais chez moi, premièrement parce que mes petits-déjeuners partaient dans des colis, mais surtout parce que le prendre seule était horrible. J'avais l'habitude de le prendre désormais avec Fulvia, également seule. On était à seulement quelques mois de l'Union et cela nous faisait peur.
On ne voulait pas se faire attribuer un homme que l'on ne connaissait pas et que l'on n'aimait pas déjà. Et puis, j'avais encore du mal à accepter la perte de Victor, le remplacer maintenant ne ferait qu'empirer mon mal être. Je ne voulais pas avoir de la compagnie que je ne désirais pas. J'arrivai enfin devant le bâtiment qui servait de mairie auparavant, mais qui avait été refait pour accueillir des bureaux pour la surveillance des journaux écrits par les concitoyens.
Je pris l'ascenseur et marchai calmement dans les couloirs vers mon bureau. Je rentrai et Iolé m'y attendait déjà. Je la saluai et m'installai. Nous déjeunâmes donc ensemble, mais dans un silence que je n'osai interrompre. Je finis mon croissant et mes tartines. J'allais attaquer mon café quand elle parla, ayant sûrement marre de mon silence.
— Ils savent qui tu es Lolita. Ils ont enquêté sur toi, mais il faut à tout prix que tu emportes tes secrets dans ta tombe, sinon ils sont tous morts.
— Hein ? fis-je, complètement déboussolée. Qu'est-ce que tu racontes ?
Elle me tendit un dossier ouvert sur son holograteur. Je le regardai. Dedans, il y avait bien tout une recherche sur moi, des photos, des relevés de commandes, des vidéos, et beaucoup d'autres choses. Toute ma vie depuis trois ans était résumée dedans. Je frissonnai. Qu'allai-je faire ? Fulvia avait raison : je ne pouvais trahir les résistants, mais je ne voulais pas mourir non plus, si c'est ce qui m'attendait, je voulais encore les aider.
— Il veut te voir dans son bureau, elle regarda sa montre, maintenant.
— Euh... Ok.
Je bus mon café en quatrième vitesse et me dirigea vers le bureau de Dpékan, je soufflai lentement pour calmer mon cœur qui battait la chamade. Je saluai quelques collègues au passage, toujours crispée. Si on savait depuis trois ans, pourquoi ne m'avait-on jamais arrêtée ? J'ouvris la porte, tremblante, appréhensive de ce qui allait m'arriver. Il m'accueillit avec un sourire. Il se leva et se dirigea vers moi.
— Ah ! Lola ! Te voilà, ça va mieux depuis hier ? Tu n'avais pas l'air bien.
— Ça va... C'est passé... Vous aviez un autre corps à me montrer non ?
— Oui... Suis-moi...
Je m'exécutai et nous regagnâmes la morgue comme la veille. Le même médecin légiste nous attendait et me reposa la question concernant l'identité du premier corps. Je lui donnais toutes les informations concernant ma sœur. Il nota tout ça dans un carnet et se tourna vers le second corps. Je fermai les yeux et les rouvrit sur une autre personne que je connaissais plus que tout, la colère me submergea sans que je puisse la contrôler cette fois et elle dévasta tout en moi.
— COMMENT OSEZ-VOUS ME MONTRER LE CORPS DE MA MÈRE, ME DEMANDER DE L'IDENTIFIER ALORS QUE C'EST VOUS ! C'EST VOUS QUI AVEZ COMMANDITÉ SA MORT ET MIT ÇA SUR LE COMPTE DES RÉSISTANTS POUR QUE JE VOUS MANGE DANS LA MAIN ! VOUS N'ÊTES QU'UN C*NNARD MANIPULATEUR !
— Ah... Je me demandais quand tu allais enfin réagir Lola. Trois ans que j'essaie de te titiller, mais tu ne disais rien, cachée dans ton coin... Maintenant tu vas parler et tous les dénoncer !
— Jamais !
— Tu m'obligerais à te tuer...
— Je préfère mourir...
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