Chapitre 25 (1/2)
Qui est cruel avec son ennemi sera rude avec son ami.
Point de Vue Violet — 16 janvier 2081
Nous étions en janvier et notre correspondance avait tenu jusque là. Malgré la frayeur qu'il m'avait faite, notre amitié n'en avait pas été entachée, même, elle avait certainement évolué du bon côté. C'était si simple de parler avec lui, il semblait tout comprendre sans juger et, malgré les trois deuils dans lesquels il était, il parvenait à me faire rire avec des blagues idiotes. Parfois quand je riais, Daniel passait la tête par l'ouverture de ma chambre, curieux de savoir qui pouvait bien me faire rire.
Il était bien dépité de voir qu'il n'y avait personne. Il m'offrait un sourire timide, mais je me disais bien qu'il devait me prendre pour une folle. Honnêtement, je n'en avais rien à faire. Je préfèrerais ne pas dire la vérité maintenant que notre relation était si fusionnelle. J'avais beaucoup appris sur lui, il m'avait confié pas mal de détails sur sa vie avant la GEE, je pensais qu'il en avait besoin, il devait tout dévoiler à quelqu'un pour qu'on se souvienne de lui, si jamais le gouvernement de Dpékan avait raison de lui.
J'avais vu ça comme une preuve de confiance, il ne devait pas le faire avec le premier pecno qui devait passer. Alors qu'il l'avait fait avec moi, une inconnue, dont il a reçu par erreur deux lettres. J'avais également une confiance aveugle en lui, c'était tellement... Comment expliquer clairement ? Agréable, fluide ? En fait, je pense qu'il fallait que nous nous rencontrions, c'était comme une sorte d'évidence entre nous. Seulement, la vie déciderait surement seule si elle accepte qu'un jour on se rencontre.
J'étais confortablement installée, du moins, le confort n'était pas luxueux dans mes neuf mètres carrés. Tout était petit, optimisé. Une kitchenette était posée au-dessus du lit, composée de deux plaques de cuisson. Un petit frigo était installé au pied. La salle de bain, enfin le bidet qui me servait de douche, était sous un petit lavabo de l'autre côté. Allongée dans mon lit simple, un plaid en coton, qui me réchauffait faiblement, m'apportait un semblant de réconfort entre ces murs gris et tristes. Je regrettais ma chambre coquette à l'hôpital clandestin, j'y étais bien mieux. Pas seulement pour le confort, mais aussi parce que je n'étais pas seule, là-bas. Honnêtement, je n'avais pas assez d'argent pour plus, je ne pouvais pas payer le chauffage, mais je faisais bonne figure, j'avais appris qu'on ostracisait les pauvres. Alors, je travaillais d'arrache-pied reniant toutes mes valeurs pour suivre le mouvement dans ce gouvernement infâme.
Je dénonçai les pauvres familles qui tentaient de joindre les deux bouts et qui, donc, commençaient à tomber dans la pauvreté, les riches qui trafiquaient de l'argent, les enfants qui se comportaient mal. J'analysai des centaines de milliers de données par jour pour parvenir à une paye convenable à la fin de la journée et, surtout, pour ne pas faire d'erreurs qui engagerait un renvoi immédiat. Les gens n'étaient plus que des proies à traquer. C'était horrible, mais il fallait que je vive moi aussi, même si j'avais très mauvaise conscience.
Honnêtement, il ne fallait pas que je me plaigne. Daniel avait tant donné pour que j'obtienne ce poste. Il avait soudoyé pas mal de personnes sous le couvert d'un anonymat exemplaire pour forcer mon entrée à la mairie de Limoges sous les ordres de Dpékan. Pour ça, je me devais de faire bonne figure, même si me sentais tellement seule : on avait dû couper les ponts pour éviter qu'il remonte à l'hôpital clandestin.
J'aidais les résistants en leur envoyant de temps en temps des données. Ça les aidait et, moi, ça me permettait d'avoir un peu l'esprit tranquille, même si cela me faisait grincer des dents, je l'avouais. Néanmoins, par un travail acharné, mon esprit fut un peu tranquille, car cela faisait quelques mois que je traquais un gros poisson qui n'était pas une pauvre famille. Il n'était autre que la protégée du grand patron. Elle n'était pas sage du tout, enfin du point de vue du gouvernement : elle détournait de la nourriture, de l'argent et faisait la livreuse de mystérieux colis pour les résistants que j'aidais moi-même. Quelque part, elle faisait la même chose que moi, mais à plus grande échelle. Une sorte de Robin des Bois.
Elle remplissait mal son journal de bord numérique et cela se voyait qu'elle était une taupe au sein de ce gouvernement gangrené. J'avais mal de faire ça alors que, moi-même, on pouvait me balancer dans la seconde pour les mêmes raisons, mais je me devais de le faire pour ne pas me faire virer et pour ne pas me faire accuser de trahison. Ce job, c'était le seul qu'on m'avait donné avec mon passé aussi vierge qu'un cahier neuf. Alors je désirais le garder à tout prix, même si je ne survivais plus que je vivais de ça.
Les grandes portes de l'open space de là où je travaillais s'ouvrirent et tout le monde s'arrêta. M. Dpékan était entré et scrutait du regard cette immense pièce, sous-terraine, éclairée seulement par de faibles ampoules. S'y tenaient des milliers d'hommes et de femmes, de toutes ethnies, qui, s'étant levés à côté de leur bureau minuscule où était placé un ordinateur de vieille génération, inclinaient la tête vers le bas, en signe de respect et de soumission. J'avais imité tous les autres.
— Violet Derew ? Où est Violet Derew ?
Mon sang se glaça. S'il était venu en personne pour moi, c'était que j'avais fait quelque chose qui n'allait vraiment pas. Je réfléchis vite, je n'avais rien fait de mal pourtant : je n'arrivais pas en retard, je faisais mes heures, je ne faisais pas de pause, je remplissais mon journal parfaitement. Bien sûr, on m'avait peut-être dénoncée, j'avais si peur maintenant que je tremblais de la tête au pieds. J'étais jeune, je ne voulais pas mourir et surtout pas pour avoir aidé des gens.
Devant le silence macabre qui s'était installé, je levai tout de même la main, gardant la tête basse, il marcha dans le silence glacial jusqu'à mon petit bureau. Il s'arrêta et me regarda de la tête au pied, prenant son temps sans dire ne serait-ce qu'un mot. Je retins ma respiration et mes tremblements comme je pus pour ne pas lui montrer dans quelle détresse j'étais. Je sentis son odeur âcre d'un mélange d'eau de Cologne et sûrement d'un parfum d'homme. Je n'osai plus bouger, tétanisée par la figure autoritaire qu'il dégageait.
— Eh bien, suivez-moi, Violet, me pria-t-il en me relevant le menton de sa main puissante.
Je papillonai des yeux tandis qu'il fit volte-face et qu'il repartit vers la porte d'où il venait. Tous mes collègues me lancèrent des regards compatissants et des « bon courage » franchirent, en un murmure, leurs bouches. Je les remerciai d'un hochement de tête et rejoignis le grand patron à petites foulées, mes bottines claquant sur le carrelage. Les portes se refermèrent derrière moi dans un grand bruit. J'eus l'image d'une guillotine qui s'abattait sur mon cou.
Nous poursuivîmes, un moment, cette marche silencieuse, avant d'atteindre un cul-de-sac qui ne contenait qu'une porte. Sûrement son bureau, me dis-je. Nous entrâmes donc dans une salle très lumineuse, faite de boiseries en apparence simples, mais très travaillées. Tout était en chêne, du sol, un parquet très clair, au plafond dont les moulures rendaient des motifs floraux assez doux, en passant par le bureau, les chaises, les armoires et les commodes qui habillaient la pièce.
Seul, le tapis, d'un velours rouge, dénotait de la pièce. Il me demanda de m'asseoir. Je m'affaissai légèrement dans le moelleux de l'assise tout en essayant de garder une bonne posture. Cela contrastait allègrement avec les chaises en bois rigides de l'open space où j'étais assise toute la journée. Il s'assit aussi, face à moi, joignant les mains et entrelaçant ses doigts sous son menton. Je baissai alors le regard, ne pouvant continuer de le soutenir.
— Arrête de baisser la tête, je ne suis pas là pour te renvoyer, mais pour te promouvoir ! puis il ajouta après quelques secondes. Bravo Violet !
— M-merci ! bégayai-je, mais permettez-moi de vous dire que je n'ai rien fait qui puisse mériter tant d'attention. Vous devriez récompenser quelqu...
— Au contraire ! me coupa-t-il. Tu m'as permis de pouvoir savoir ce que mijotait Lolita ! Donc, voilà, maintenant, tu n'es plus une simple terra, mais un aqua ! Tes nouvelles fonctions prennent effet immédiatement avec les devoirs et avantages qui en incombent.
— Je... D'accord, cédai-je.
— Reviens ici dans moins de deux mois, j'aurai une mission pour toi.
J'étais revenue dans l'Open Space, complètement hébétée pour prendre les maigres affaires que j'avais, qui se résumaient en quelques dessins et les lettres de Joachim. Vous allez me dire que ce n'était pas prudent de les emmener au bureau mais je voulais les avoir constamment avec moi pour ne pas les perdre. Aussi, il valait mieux que je les ai ici plutôt que chez moi : au moins, j'avais un œil dessus. J'avais tout de même hâte de rentrer pour dire ce qui venait d'arriver à Joachim.
OoO
Point de Vue Violet — 15 mars 2081
Cela faisait deux mois que Dpékan m'avait promue, que j'occupais maintenant un poste moins dégradant aux médias puisque j'avais une prédisposition toute destinée aux lettres et tournures de phrases. En d'autres termes, je corrigeais les lettres de ces messieurs et mesdames les caelis dans des courriers de la plus haute importance. Loin de m'importuner, cela me donnait accès à de nouvelles données pour mes camarades.
Mais l'heure n'était pas à cette information, mais à la question de savoir quelle était cette fameuse mission dont allait me pourvoir Dpékan. Cela me rendait appréhensive. Je voulais tellement savoir que je m'étais rendue devant son bureau deux heures à l'avance pour ne pas le rater. Lorsque j'avais dit à mon ami que j'avais changé de poste, il l'avait vu d'un mauvais œil. Selon lui, Dpékan n'était pas aussi généreux et que je prendrais tôt ou tard le revers de la médaille.
J'avais essayé de le rassurer en lui disant que je pouvais toujours refuser si cela ne me plaisait pas et que je le rejoindrai si Dpékan me virait. Ça avait eu le don de calmer ses angoisses. Il se disait peut-être que je serais plus en sécurité avec lui qu'avec n'importe qui. Et maintenant qu'il se remettait doucement des deuils de ses amies, il ne suffisait pas que je sois rajoutée à la liste.
Je lissais péniblement ma jupe pour qu'elle paraisse la plus repassée possible, sachant que je n'avais pas le luxe d'un fer à repasser. À l'heure dite, il arriva dans le couloir, me sourit et me fit entrer. Nous nous asseyâmes comme deux mois plus tôt. Il fit glisser sur son bureau une petite boîte rectangulaire en bois très simple. Que contenait-elle ? Il répondit bien vite à mes interrogations pourtant silencieuses.
— Je vais être bref, il y a dans cette boîte une seringue avec un poison mortel. J'aimerais que tu l'injectes à un criminel qui a tué beaucoup de familles innocentes. Il est dans la salle de La Question. Vas-y sans tarder...
Je m'exécutai, si j'avais fait tout ce chemin ce n'était pas pour en arriver à me comporter en lâche et renoncer maintenant, d'autant plus que j'avais une bonne raison de le faire. Ce criminel ne devait pas exister s'il s'en était pris à des familles ! Je me dirigeai vers la fameuse salle, je toquai et on me fit entrer. Le criminel en question était une femme, dont la moitié du visage, du nez au haut du front, était couvert d'un tissu nouée derrière sa nuque. Je trouvai passablement ça étrange, mais cela me permettrait de faire cela rapidement sans me poser de question.
Il y avait une autre femme dans la pièce. Brune, cheveux courts, yeux verts, air sérieux, concentré sur la criminelle, mais dès que je fus entrée, elle eut un bref sursaut, ouvrant des yeux ronds, elle s'était aussitôt reprise. Elle n'avait pas l'habitude que des aquas fassent ça ? C'était peut-être un « privilège » que j'avais. Je m'approchai de la table avec la seringue.
Je posai la boîte à côté du bras de la criminelle qui semblait calme à cet instant précis. Je sortis la seringue et la plaçai sur son bras à l'endroit indiqué. Je piquai, comme j'avais vu souvent faire Daniel et injectai le produit. La scélérate se mordit la lèvre. Elle n'avait pas dit un mot depuis le début, mais elle formula une étrange requête que je m'empressai de satisfaire. Après tout, je lui enlevais la vie.
— Enlève moi mon bandeau, s'il te plait, que je vois ton visage, demanda-t-elle calmement.
— Bien sûr, fis-je en m'exécutant en ayant un sentiment de familier dans sa voix.
— Je me disais bien, c'est le genre de Dpékan, faut dire que je l'ai mérité, Victoire, et joyeux anniversaire. Excuse-moi pour tout..., ajouta-t-elle en expirant son dernier souffle.
Ma mémoire me revint d'un coup, me soufflant au passage. Une voix s'éleva alors autour de nous.
— Bien, je me demandais comment tu réagirais, Victoire, es-tu prête pour la suite ?
— Je m'appelle Violet ! tentai-je de me défendre en ayant l'impression que tout tourner trop vite autour de moi me plongeant dans un noir d'encre.
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