Chapitre 23 (1/2)
Une séparation procure parfois plus de bien-être que le fait de rester.
Point de Vue Daniel — 11 février.
Lorsque je me réveillai, le soleil était déjà bas, signe que nous étions en fin d'après-midi. Je me massai la nuque qui m'était douloureuse pour avoir dormi sur la branche d'un arbre. J'étirai un à un mes muscles, puis descendis prudemment en veillant à ce qu'il n'y ait personne aux alentours. J'étais tout de même un fugitif.
Je n'étais pas tranquille, j'avais la constante impression qu'on m'observait. Je marchai un peu et trouvai un point d'eau, je fis ma toilette rapidement dans le froid de février. L'eau n'était guère plus chaude, mais me permettait de me sentir moins sale. Il se mit alors à pleuvoir. Une pluie froide, glacée qui s'insinua dans mes cheveux bruns.
Je commençai à trembler et claquer des dents et je récupérai mes affaires. Je me cherchai un abri. Je jetai mon dévolu sous l'arbre le plus feuillu de ce bois. Un bien maigre parapluie de fortune puisque les feuilles n'avaient pas encore vraiment poussé, même si le printemps arrivait à grand pas.
Je maudis le ciel en levant la tête, la pluie s'insinua au creux de ma nuque, coulant sur mes épaules, le long de mon dos. Je grelottai et me frictionnai pour éviter l'hypothermie. Puis je tentai de trouver un autre endroit un peu plus protégé. Je n'espérai pas plus que quelques planches ou tôles pour m'en faire un toit.
Le ciel fut fâché un long moment qui me parut une éternité. Je continuais de trembler et de marcher, lorsque je trébuchai sur une souche d'arbre... qui gémit. Qui gémit ? C'était un râle humain, d'homme ! C'était encore un corps, mais le pauvre bougre vivait encore ! Je me relevai et m'agenouillai face à l'homme couvert de boue sur tout son visage. Sa barbe ressemblait à de vieilles nouilles chinoises dans leur bouillon de bœuf. Sa jambe était coincée sous une pierre, son angle était inquiétant et ses traits étaient froncés de douleur. Voilà ce qui l'empêchait d'avancer.
— Monsieur ? l'appelai-je calmement, pour éviter de le brusquer.
— Oh ! C'est toi ! Mon fils ! Oh, te voilà enfin ! s'écria-t-il, complètement halluciné.
Gêné, je souris au pauvre homme qui devait probablement délirer, sa blessure était sûrement plus grave que je ne le pensais. Elle s'était sûrement infectée et il avait de la fièvre. Il se mit à trembler et son front suait abondamment malgré la pluie qui continuait. J'étais désolé pour lui, je voulais lui apporter du réconfort, mais j'avais assez feinté, il fallait que je lui dise la vérité.
— Navré monsieur, mais je ne suis pas votre fils, mais je reste près de vous, promis.
— Tu as aussi honte de ton père que tu ne le reconnais même plus, Daniel ?
— Comm... ?
J'étais estomaqué, comment pouvait-il connaître mon nom s'il venait tout juste de me rencontrer. J'accusais le coup. Pourquoi était-il là ? Je ne l'avais pas vu depuis un moment, il avait coupé les ponts. En même temps, je lui avais sous-entendu que ma punition était déjà bien dure sans que je ne l'ai à le supporter en plus. Il avait dû déduire tout seul qu'il ne fallait plus me parler. Il chercha à quand même se justifier.
— C'est moi, Jean Mylost, ton père, mon pauvre fils...
Une colère monta en moi. C'était mon père. C'était le responsable de tous mes malheurs ! Tous ! Si j'avais perdu ma mère, mon avenir que je destinais dans autre chose, mon frère, ma dignité... Et presque ma vie quelque part... Je me levai et je m'éloignai de lui. Je hurlai toute ma rage avant de revenir vers lui, mes yeux remplis de larmes de colère.
Comment pouvait-il revenir dans ma vie comme ça, sans s'excuser, sans aucune explication ? En plus, après sa décision, il était parti et n'était jamais revenu ! C'était une « demande de ma part », mais jamais il n'avait insisté ! Il m'avait laissé tout seul ! Seul face à ce monstre de Dpékan ! Je l'empoignai par le col, mon visage près du sien, ayant envie d'en découdre avec lui, de lui faire payer ma souffrance jusqu'à ma naissance !
Il gémit et je me souvins qu'il était blessé. Tant mieux. J'avais envie d'appuyer fort sur sa blessure avec mon pied, histoire de bien lui faire mal. J'étais cruel, mais il l'avait été pour moi. J'avais toujours donné le meilleur de moi pour le rendre fier. Mes efforts avaient toujours été vains. Il n'avait eu d'yeux que pour mon frère. Je n'avais pas été jaloux de lui... Je n'aurais pas vraiment pu, ce n'était pas sa faute. En revanche, j'avais nourri une amertume profonde envers mon géniteur. Mes larmes coulèrent et tombèrent sur lui, comme la pluie qui avait cessé un peu plus tôt.
— J'ai un couteau dans ma poche... Fais ton choix... Je ne peux pas m'en servir tout seul...
Je pris l'arme à l'endroit qu'il m'avait indiqué et je le regardai. Qu'entendait-il par choix ? Il croyait que j'avais envisagé une seule seconde de l'épargner ? Non, mais son égo n'avait plus de limites ! Il m'avait abandonné ! Et j'avais su être autonome sans lui ! Ce n'est pas maintenant que je le serai moins !
— Tu hésites ? demanda-t-il. Moi qui croyais que tu allais déjà sauver ton vieux père...
— Tu as exécuté Paul ! Tu l'as enjambé comme un rat crevé ! Tu m'as fait vivre un enfer durant mon enfance et pire encore après sa mort parce que je l'avais aidé ! À quel point es-tu insensible ?! M**de ! T'as deux fils et c'est tout juste si on n'est pas des b**ards à tes yeux !
— Vos mères était des c**ins... C'est normal, fit-il, calme et sûr de lui.
— Pas du tout ! Elles avaient un job stable, aucun vice, c'était des femmes respectables...
— Qui ont enfanté des faibles, des lâches, des c**s, m'interrompit-il. Tu parles, tu parles, mais tu n'agis pas... Tu es passif Daniel, une flipette, un gros trouillard... Va-t'en, je veux plus te v...
Je lui coupai –à double tranchant– la parole et par la même occasion l'abdomen.
— JE. NE. SUIS. PAS. UN. LÂCHE. grinçai-je entre mes dents.
— Je n'en ai jamais douté, mon fils... C'était pour que ce soit toi qui me tues et pas ceux qui me poursuivent... Merci.
— Quoi ?! Non ! Non ! Tu reviens ! Tu reviens, tu t'expliques et tu crèves ! Tu t'excuses et après on verra ! Allez lève-toi c**nard ! P**ain, mais non ! Crev**d m**de ! m'exclamai-je en le perforant de nouveau à plusieurs reprises.
Je shootai dans une pierre à côté.
Il m'avait eu une énième fois ! Je levai la tête, aux aguets, il avait parlé de personnes qui voulaient le tuer... Étant son fils, je pouvais être une cible potentielle. Je me mis alors à courir. Il fallait que je me mette à couvert de nouveau. J'entendis alors du bruit au-dessus de moi et quelque chose se jeta sur moi.
Je tombai à la renverse. Mon dos heurta le sol et je gémis de douleur. La personne m'immobilisa. Malgré ma taille, elle sut parfaitement où attaquer pour me faire mal et me rendre vulnérable. Elle s'apprêta à me frapper au visage quand on écarquilla les yeux au même moment, surpris de se reconnaître, elle avait plus de mérite que moi, j'avais changé en dix-neuf ans. On s'exclama en même temps :
— Maman ?!
— Daniel ?!
— Qu'est-ce que tu fais là ?!
— Je cherchai ton père... Ce sal***rd mérite que je me venge...
— Ah, c'était toi qu'il désignait par « ils », déduis-je. Il est mort...
— Tu l'as vu mourir ? Tu ne peux pas être sûr tant que tu ne l'as pas vu ! Cette or*ure est capable de simuler sa propre mort !
— Maman, lui fis-je en lui prenant les mains, désormais tachées de sang. Papa est mort parce que je l'ai tué. Il m'a manipulé pour que je le tue, mais j'ai agi en pleine conscience pour autant... Je l'ai poignardé de nombreuses fois... Survivre à ça relève de la magie !
— Toi ? Mon si beau et doux Daniel ? Non, non, non, je ne peux pas croire à ça...
— Je peux te jurer que si... Je n'ai plus quatre ans... Et tu n'étais plus là pour moi. J'ai un frère, Paul, de sept ans mon cadet, il est mort... Papa lui a envoyé une balle entre les deux yeux, devant moi. Depuis, je n'ai rêvé que de vengeance...
— Je vois, mon chéri...
— Non, s'il te plait, ne dis pas que tu comprends ! Tu ne vivras jamais ce que j'ai vécu et ce n'est pas parce que tu es ma mère que ça changera la donne... Tu étais malade et il a été le pire des c**nards, mais j'étais ton fils... La chair de ta chair, jamais tu ne pourras comprendre ce que j'ai vécu !
— D'accord, je ne peux pas te comprendre, mais je peux t'écouter et être là pour toi désormais...
Et là, ce fut comme une tempête en moi. Je ne sais pas ce qu'il se passait, mais j'eus un flux d'émotions plus fortes les unes que les autres qui monta en moi. Je fondis en larmes. Aussitôt ma mère me prit dans ses bras, me frictionnant légèrement le dos. Répétant que c'était fini.
— Tu sais que je t'en veux ? murmurai-je.
— Oui, répondit-elle.
— Et que ça va prendre longtemps avant que je ne te pardonne ?
— Oui, répèta-t-elle. Sèche tes larmes, mon lapin, ça ira mieux désormais...
— Non, non, Maman, je ne peux pas... Ça n'ira pas... Et sûrement pas pour toi non plus ! Papa m'avait enrôlé de force auprès de Dpékan après qu'il ait assassiné Paul. J'ai découvert que c'était lui qui avait commandé la GEE et le massacre de masse... Le pire, c'est qu'il nous a menti aussi sur le fait que ce soit mondial ! C'est juste en France, même si je suis persuadé que les autres pays vont suivre ! Il a demandé l'arrêt de tous les barrages, éoliennes et centrales électriques, ce qui a entraîné la GEE ! C'était intolérable ! J'ai pas pu garder ça pour moi... J'en ai parlé à ma supérieure, puis finalement à toute la section qu'il restait après l'assaut du Centre... Je suis un ennemi à ramener mort ou vif à Dpékan, désormais...
Le temps que nous parlions, nous avions beaucoup marché. Nous avions trouvé un abri dans une cavité rocheuse. Nous nous assîmes en silence. Me confier ainsi à ma mère me fit beaucoup de bien. J'avais trouvé quelqu'un qui puisse m'écouter, mais je voyais dans son visage qu'elle ne comprenait pas tout, voire quasiment rien. Elle me posa des questions sur qui était Dpékan ou Lolita, sur le centre, la section et la GEE, elle semblait totalement atterrir. Comme si ces vingt dernières années, elle avait habité une autre planète. Ce n'est que lorsqu'elle s'expliqua que je compris.
— J'ai passé près de vingt ans dans un coma artificiel... Et je me suis réveillée un jour... Peut-être était-ce à cause de la GEE... Qui sait ? Quoiqu'il en soit, je n'avais qu'une seule envie... C'était de retrouver ton père et de le tuer pour ce qu'il nous avait fait à toi et moi, mais tu l'as fait pour nous mon garçon, tu es vraiment courageux...
— Non... C'est un acte barbare qui n'aurait pas eu lieu d'être, mais maintenant, c'est fait... Il faut s'en aller maintenant, je ne sais pas où sont mes poursuivants...
— Tu as raison, mon chéri...
Je lui pris la main et nous nous mîmes à courir en silence, la peur au ventre d'être retrouvés. Je ne voulais pas qu'ils embarquent maman aussi... Elle n'avait rien fait, elle ne méritait pas le même fardeau que moi, et je ne souhaitais pas me rendre... Seule issue possible : la fuite. C'était malheureux de le dire, mais il va falloir le faire pour qu'on nous oublie un temps.
On trébucha tous les deux sur un monticule qui craqua bizarrement, nous nous relevâmes et observâmes notre obstacle. C'était de nouveau un corps, mais celui-là était bien mort. Ma mère retint un haut-le-cœur. C'était une jeune fille. Une adolescente certainement. Je chancelai quand je vis l'identité.
— Mais c'est Vi...
— On vous attendait, fit des gars armés jusqu'aux dents.
On était morts.
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