Chapitre 21 (2/2)

Les personnes aimées ne peuvent pas mourir, car l'amour est immortel.


Point de Vue Lolita — 9 février 2078

— Lola ?

— Quoi ? fis-je amère.

— Je peux entrer ?

— Bien sûr, monsieur...

Cela faisait deux jours que je restai devant ma fenêtre à regarder dehors pour tenter de l'apercevoir. Lui, ses yeux d'or, ses cheveux couleur de la mer en furie...

Il me manquait terriblement. Pourquoi avait-il fallu que j'aie cette si mauvaise idée d'envoyer mes troupes vers le camp ennemi ? Surtout après une demi-journée seulement, la rumeur que j'avais soumise à Iolé n'avait pas eu le temps de faire son effet. Je savais qu'elle était une taupe. Ils avaient été un peu plus malins que moi, pour le coup. Ils avaient envoyé leur propre armée dans notre base pendant que le gros du groupe s'enfuyait. Ils nous avaient pris de vitesse, sans compter que nous étions en sous effectif en comparaison à leur armée de bras cassés, nous n'avions pas tenu sous la menace.

Et il avait perdu la vie. Je n'avais jamais autant pleuré. C'était mon ami, mon copain, ma moitié. J'étais anéantie. Moi qui avais été si forte jusque là. J'avais réussi à tenir mes sentiments hors de la portée de mon cœur, mais j'avais vu ses yeux se révulser puis, son corps si beau, chuter sur le sol. Le bruit mat de la peau qui protégeait du choc, puis sa tête qui tomba lourdement.

Je revoyais ces images, son sang qui coulait sous lui, son corps qui ne s'animait plus lors de la respiration. Mon cri qui déchira les bruits des combats. Ma folie à tuer tous les résistants que je voyais ensuite, pour venger sa mort, même s'il n'en restait que très peu après l'explosion. Ces bras qui me happaient vers l'arrière pour me retenir d'en finir aux poings. Et puis, il y eut le confinement. Ceux qui avaient survécu à l'assaut avaient été encerclés dans les dortoirs.

Les terras avaient tous été relâchés, les aquas passaient des tests, mais les bêtas comme nous avaient été confinés sans une once de procès. L'homme était derrière moi. Mon mentor, celui qui m'avait tout appris, celui qui m'avait protégée et qui le faisait encore. Il se fraya un chemin dans ma minuscule chambre et s'asseya sur mon lit.

— Lola ? réitéra-t-il. Ça va ?

— Non, monsieur...

— C'est ton ami qui te chagrine ?

— Il est mort ! criai-je.

— Je sais, mais je ne peux pas le faire revenir...

— C'est entièrement de ma faute... Je n'aurai pas dû... Je n'aurai pas dû...

— Ce n'est pas toi, ne t'en veux pas pour ça... Ce n'est pas de ta responsabilité...

— Vous n'en savez rien !

Je ne voulais plus voir personne. Je voulais pleurer de tout mon soûl. Je voulais faire payer sa mort à tous les responsables. Je voulais égorger tous ceux qui se moquaient de sa mort et qui ne le respecteraient pas. Je ne voulais pas qu'on l'oublie dans l'immensité du néant. Il méritait qu'on raconte son histoire. Qu'on dise comment il s'était battu pour la société et pour la liberté.

Il était de Bordeaux, il était monté voir ses grands-parents sur Limoges pendant les vacances. Lors de la GEE, il était chez eux. Il avait à peine dix-sept ans. Il était de taille et de corpulence moyenne. Il avait les cheveux bleus électriques, mais ils étaient délavés, brossés sur le côté, pas très courts. Ses yeux étaient marron pailletés d'or. Son visage était rond et il avait un nez droit qui surplombait une bouche généreuse, rosée.

Je l'avais aimé au premier regard et il m'avait fallu du temps pour m'en rendre compte. Je ne pensais plus aimer qui que ce soit et le voilà qu'il rentrait dans ma vie. Après trois mois à l'aimer, en cachette, je m'étais annoncée. Il avait souri doucement. Il m'avait enlacée et m'avait murmuré que lui aussi, mais qu'il n'avait jamais su me le dire avant de m'embrasser tendrement le front. Lui aussi avait perdu sa famille à cause des résistants. Il s'était engagé auprès de Dpékan, quelques jours après la GEE.

Ce dernier se leva. Je crus qu'il allait partir, mais il se rapprocha de moi. Je frissonnai. Que me voulait-il ? D'ailleurs pourquoi tout ça ? Pourquoi m'avait-il envoyé M. Georges ? Pourquoi m'avait-il enfermée ? Pourquoi m'avait-il proposé ce poste ? Pourquoi avait-il fait de moi sa protégée ? Je me tins les tempes, ayant un soudain mal de crâne.

— Lolita, on a attrapé le meurtrier, tu sais ? Il s'est fait sauter... Un kamikaze... Je ne sais pas ce qui l'animait. Il avait la main mise sur nous, mais il a pris en guet-apens une vingtaine des nôtres... Peu ont survécu...

— Combien ont survécu à tout ce carnage ?

— Pas beaucoup...

— Combien ? réitérai-je, furieuse.

— Deux bêtas, dix aquas et vingt terras... Les troupes que tu as envoyées ont été décimées sur le chemin... Notre société est morte...

— C'est faux... Ça ne peut pas être vrai ! On était des centaines !

— Je sais, mais ils nous ont pris en embuscade... Va dormir. Tu es exténuée.

— Ok...

J'allais me coucher et je dormis un bon moment.

Je me réveillai en sursaut. Les larmes aux yeux. Je regardais le réveil que j'avais récupéré. Il indiquait deux heures du matin. Je séchai rapidement les larmes que j'avais au coin des yeux. Je m'étais peut-être finalement endormie à force de pleurer et tout ce que je venais de vivre n'était qu'un terrible cauchemar. Je me levai en une fraction de secondes, prise de cette adrénaline venant de l'espoir que j'avais, et je courus pieds nus sur le carrelage glacé dans les couloirs. Ils n'étaient pas bloqués ! Ce n'était peut-être qu'un rêve ! J'arrivai enfin dans la salle commune. Tout était désert. Aussi était-ce certainement normal, vu l'heure...

Je marchais vers l'extérieur du bâtiment, le souffle court, mon cœur battant à se rompre. Je gagnai le cimetière à pas mesurés, dans un silence total, mon sang pulsant dans mes tempes. Si son nom n'était pas inscrit au milieu des autres, alors j'aurais complètement tout rêver. Tout ne serait qu'une méprise, un cauchemar créé de toutes pièces par mon esprit fatigué. Au contraire, s'il y était... Qu'aurai-je fait comme confusion ? Il fallait que je sache... Que je comprenne pourquoi nous n'étions plus assiégés. Avaient-ils eu leur compte ? Avaient-ils été cléments avec nous ? Je doutais de ça vu que ce n'était que des meurtriers sans cœur.

Je poussai la porte du cimetière qui crissa fortement. Tout le monde était enterré ici, peu importait leur religion. On décréta que c'était plus simple et plus hygiénique. Les noms étaient tout de même inscrits sur une pierre tombale pour recenser les morts pour la patrie. Je m'avançai vers elle, angoissée. Avec la lumière de la lune, je pus distinctement lire les lettres gravées. Je passais mes doigts dessus. Ressentant chaque mot.

Je parcourus la pierre des yeux à la recherche de son nom, la liste s'était considérablement agrandie depuis deux jours, il y avait des centaines de personnes qui avaient été rajoutées, les pertes avaient été colossales, les données que j'avais eues en tête n'étaient peut-être pas si chimériques que ça. Et...

Victor MELIS —

22 juin 2061 / 7 février 2078


Il était vraiment mort, il y a deux jours, mais alors ? Pourquoi avais-je rêvé ce blocus ? Pourquoi ce cauchemar ? Je laissai la bise de février me transir le visage. Mes poumons se gorgèrent de cet air frais revigorant et je me sentis bien. Il m'empêchait de pleurer une nouvelle fois. Je l'avais vraiment perdu. Il n'était réellement plus là. Il m'avait définitivement quitté. La marée de ses cheveux bleus s'en était allée pour ne plus revenir. Je m'asseyai contre la pierre un instant pour réfléchir à je-ne-sais-quoi.

Mon esprit carburait, mais je ne pus m'attarder sur aucune pensée, sitôt remplacée par une autre. Mes mains se mirent à trembler sous le froid, et peut-être la peur aussi. Se retrouver à nouveau seule sans avoir personne sur qui s'appuyer, cela faisait mal. Je ne sais pas si je m'en remettrai un jour, mais je comprenais alors Victoire. Enfin non, elle, elle avait détesté Paul avant sa mort. Peut-être qu'elle avait trouvé ça bien qu'il soit décédé, au final. La colère reprit le dessus.

Je me relevai et marchai un peu dans le cimetière, me calmant doucement, de sombres pensées me submergeant à nouveau. Malgré tout, je retins mes larmes. Je rentrais dans le bâtiment. Éveillée, mais à peine consciente, je déambulai dans les couloirs, faiblement guidée par les rayons de lune. C'était étrange, quand même, comme un seul événement pouvait vous détruire de l'intérieur. Je n'oublierai jamais sa mort. J'étais plus déterminée que jamais à retrouver Victoire Brian et à la détruire.

— Lolita ?

Je sursautai. Quelqu'un m'appelait à cette heure-là ? Je me tournai prudemment, mes mains en avant pour parer toute attaque. Dans l'obscurité, je pus discerner les contours d'une stature familière. Je soupirai de soulagement et me détendis.

— Que veux-tu, Daniel ?

— Mes condoléances pour Victor, je sais que vous étiez ensemble...

— C'est tout ? demandai-je glaciale.

— Je-j'ai compris à présent pourquoi tu ne voulais pas de moi, outre le fait que tu n'aies pas de sentiments pour moi. Je t'avouerai que je l'ai mal pris, mais tu sais... Je ne t'en veux pas... Tu es libre d'aimer qui tu veux... Je sais qu'au fond, tu es une fille bien, Lolita. Il faut que tu veuilles le voir. Et puis, tu te trompes de cible...

— T'es du camp des s***uds ?

— Je n'ai pas dis ça... Je veux juste que tu comprennes que ce n'est pas à Victoire que tu dois en vouloir. Ni aux résistants... Ce n'est pas eux qui ont tués ta sœur Justine, ton père et ta mère. Tu dois te méfier de Dpékan. C'est lui qui te manipule le plus !

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Durant ces six derniers mois, as-tu pris des décisions qui n'allaient pas dans son sens ?

— Non ! Je ne le trahirai pas ! Il m'a aidée, nourrie, logée et m'a donné un emploi ! Je ne peux pas être plus heureuse...

— Tu es seule Lolita... Tu as perdu ta famille, tes amis, ton petit ami... Tu n'es pas comblée ici...

— C'est ces f*utus assassins qui me les ont tous fait perdre !

— T'as des preuves ?

— Et toi t'en as peut-être ? le cinglai-je, ayant envie que la discussion se termine rapidement.

— Oui...

Il me tira un peu à l'écart, dans un coin plus sombre du couloir pour chuchoter à nouveau.

— Premièrement, il t'a faite enlever. Il jugeait que tu étais dangereuse. Il savait que tu étais amie avec Victoire. Deuxièmement, il t'a proposé un travail. OK, mais à quel prix ? Tu as bafoué ta morale et tes principes ! Tu as trahi tous ceux que tu croisais et tu as vendu tes amis... Ce n'est pas les résistants qui les ont assassinés, c'est Dpékan qui les a fait exécuter. J'ai les billets d'exécution, expliqua-t-il en me tendant les fameux morceaux de papiers. Et pour finir, c'est lui qui a organisé la GEE, pour faire une purge. Qu'aurait-il pu commander d'autre ?

Je lus les commandes que j'avais dans les mains. Justine et Aurore Soapshop, ma soeur et ma mère. Xena. Keliane. Queenie. Sarah. Océanne. Gisèle. Paul. Paul ?! C'était donc Dpékan qui avait assassiné Paul ? Il ne s'était pas fait renverser par un chauffard ivre ? Bon sang ! Alors non seulement on me mentait depuis le début, mais en plus l'homme en qui j'avais le plus confiance m'avait trahie.

Mon monde s'écroulait complètement. J'étais totalement perdue. Tout ce en quoi je croyais n'était en réalité que de la poudre aux yeux. Il m'avait manipulé comme une marionnette, moi qui pensais agir de mon libre arbitre, j'étais loin du compte. Il y avait quand même quelque chose qui me chiffonnait. Pourquoi ma mère était dans le lot ? Je comprenais pour mon père, car il était dangereux, mais ma mère ?

Et puis, elle était partie de notre famille bien avant Dpékan... Avait-elle été mêlée à des affaires qui concernaient Dpékan ? Avait-elle été son avocate, un jour ? Cela me questionnait encore plus. On m'avait dit qu'elle était morte dans un accident de voiture. Cet accident n'avait pas été si fortuit que ça ? J'en avais la preuve sous les yeux, mais je ne voulais pas y croire. C'était un peu trop pour moi. Et puis... Qu'allais-je faire ? Garder allégeance à cet homme qui m'avait recueillie après m'avoir détruite ou devenir une taupe pour les résistants ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top