Chapitre 21 (1/2)

Les personnes aimées ne peuvent pas mourir, car l'amour est immortel.


Point de vue Hugo - 07 février

Dès les premières détonations, notre groupe s'éparpilla. Tous prirent peur. Les parents récupèrent leurs enfants et s'enfuirent à toutes jambes, loin des soldats qui menaçaient nos vies. Les couples seuls et même les célibataires délestèrent d'Ilias la charge des orphelins, car il avait une fibre particulière avec les bambins, qu'ils prirent dans leur bras. Il faudrait se battre ou fuir. Je savais que moi et la bande ne fuiraient pas. On avait un groupe à tenir, même si la plupart s'en allaient. C'était compréhensible. Ils avaient peur. Tout le monde avait peur de ce que Dpékan pouvait nous faire s'il nous retrouvait. Nous les reverrons bien à un moment donné lorsque nous reformerons un nouveau QG, car nous ne pouvions garder celui-ci, même si nous comptions le déserter sous peu.

Même si nous étions recherchés à différents niveaux, cela ne nous empêchait pas d'avoir la même rage d'en découdre. Je cherchai ma sœur des yeux pour me battre à ses côtés, mais j'avais beau balayé la forêt ou, du moins, ce que j'en voyais, je n'aperçus pas Victoire. Mon cœur rata un battement tandis qu'une montée d'angoisse me prit, j'espérai qu'elle se soit cachée dans le sous-bois et qu'elle ne soit pas tombée pas sur un soldat armé. Je courus discrètement vers un arbre et décrochai mon talkie-walkie, on en avait tous un dans l'équipe qui dirigeait un peu les résistants, afin de pouvoir se coordonner si nous devions nous séparer. Je tentais de contacter Ilias.

— Ilias ? C'est Hugo, plan Angela ? Terminé.

— Reçu cinq sur cinq. Terminé.

Le plan Angela consistait à rameuter nos ennemis vers une prairie dissimulée derrière l'épaisse forêt, tout prêt du QG. Nous n'avions plus qu'à monter rapidement en hauteur et à les canarder avec nos flingues. On avait exécuté cela tellement de fois qu'on était parés pour le faire en vrai. Oui, on n'avait pas beaucoup chômé en cinq mois, enchaînant les exercices d'évacuations et de bataille. Quelque part, j'avais un peu réalisé mon rêve : protéger notre clan, c'est ce que faisaient les gardiens de la paix. Enfin, c'est ce qu'ils devaient faire en temps normal. Avec le régime de Dpékan, et même pendant celui de Oadkageou et ses prédécesseurs, cela ressemblait plus à une milice qu'autre chose.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la prairie, nous déchargeâmes nos balles sur eux. Malheureusement, beaucoup entendirent notre petit manège et commencèrent à nous pister, se fiant au son et à l'angle des tirs. Ce fut ainsi qu'un des soldats me toucha au mollet. La balle n'avait que frôlé le muscle, mais l'entaille créée par la friction de l'alliage contre ma peau était profonde. Le choc me fit basculer en arrière et, en voulant m'agripper à une des branches, mon épaule se déboita. Comble de tout, mon bras ne tint pas et je tombai dessus en tentant de me réceptionner. J'aurais sûrement un bel hématome dans quelques jours.

Les autres eurent un peu plus de chance malgré les combats en corps à corps acharnés qu'on avait pu avoir. J'avais pu voir des prouesses de la part de mes camarades. Par exemple, Martine, plutôt discrète, terrassa pas mal de soldats à la seule force de ses poings. En prenant un pour taper sur l'autre, c'était une véritable Titan que je voyais devant moi. J'évitais également quelques coups.

Les armes n'avaient plus d'utilité au bout d'un moment, car les chargeurs furent, vite, vides. On se battit à la seule force des mains. Comme j'avais acquis les points de pression chez un être humain normalement constitué, je mis au tapis nombre de mes adversaires, même si autant m'avaient fait mordre la poussière. C'était sans compter l'autre estropié de la bande qui m'aida avec un regard qui signifiait qu'il voulait à tout prix m'étrangler.

— Merci, lui dis-je, en acceptant son aide pour me relever.

— Ne me remercie pas tout de suite, on n'a pas fini, se justifia Eydan.

— Attention ! le prévins-je, lorsque je vis un ennemi avec une branche en guise de gourdin qu'il s'apprêtait à abattre sur sa colonne vertébrale.

Je le poussai à terre et m'armai d'une branche similaire avant de parer son coup, il enchaîna les attaques que je tentai tant bien que mal de contrer. Je perdais en force, car mon bras gauche me faisait souffrir. Il fallait à tout prix cesser les combats. Eydan, toujours à terre, attrapa la jambe du mercenaire et fit levier avec son épaule pour le faire tomber. Il ne me restait plus qu'à lui assener un violent coup sur la tête.

Je passai alors un appel par talkie-walkie à Ilias pour lui demander où nous en étions, mais je n'obtins aucune réponse. C'était vraiment bizarre. Il répondait toujours. Je fis de nouvelles tentatives qui furent vaines. Eydan, de nouveau sur pieds, me proposa d'aller le chercher, ce à quoi je répondis par l'affirmative. Nous ne croisâmes plus personne. Les canons des pistolets s'étant tus depuis un moment, un silence de mort planait sur la prairie presque grise en ce février froid.

Les cadavres jonchèrent le sol encore recouvert de givre. Ce fut à ce moment précis, en étant confronté à la mort, que je me rendis compte de mes actes. J'avais tué, et de sang froid. Je ne pouvais pas me cacher derrière des pseudos raisons héroïques, pouvant me réconforter quant à ma bonne action. Certes, le gouvernement avait commandé ces morts, mais, ces soldats étaient-ils vraiment les responsables ? Peut-être que quelques-uns avaient tué eux aussi, mais les autres ? Ceux qui avaient été lancés comme de la chair à canon dans un combat quasi kamikaze ?

Eux, ils n'y étaient pour rien. Même si certains s'étaient enrôlés de leur propre chef, beaucoup avait été forcés par du chantage. Les exécutions qui servaient d'exemple avaient beaucoup été médiatisées. On n'avait pas de télévisions, mais les radios retransmettaient tout pour qu'un maximum de la population sache ce à quoi elle s'engageait en cas de refus de se plier à l'ordre établi. Rien que les pluies de balles glaçaient le sang et les chocs des corps sur le sol donnaient des haut-le-cœur. Il m'avait valu cinq mois, cinq petits mois pour passer d'un petit garçon frivole et joyeux à un préadolescent noir et meurtrier. Mon regard s'attarda sur mes mains tachées de sang au sens propre comme au figuré.

Je serrai les poings. Ce serait dur, mais il faudrait vivre avec. Si l'on voulait un jour renverser Dpékan, de nouveaux innocents nourriraient le sol de leur sang. C'était horrible à dire et, même si je ne le considérais pas comme une fatalité, c'était un chemin à emprunter. Il paierait cependant au centuple ce qu'il avait fait subir à sa population. Ce gouvernement n'avait que trop duré et c'était à nouveau, à la jeune génération, de le détruire.

— À quoi tu penses ? me demanda le brun qui marchait à mes côtés.

— A tout ça, tous ces changements depuis la mort d'Oadkageou... On aurait dû se douter qu'un truc se tramait, mais on a préféré fermer les yeux.

— Je ne pense pas qu'on a voulu sciemment fermer les yeux, disons qu'on est né avec ces visières.

— T'as jamais voulu te battre contre le système ?

— Tu parles, j'ai œuvré avant vous dans la résistance, j'étais aux premières loges de toutes les manifestations organisées sur Limoges. J'ai réussi à ne pas me faire attraper. Maintenant, je sais qu'ils me laissaient juste m'enfuir, ils désiraient un autre moyen de pression : ma famille.

— Je ne savais pas, m'excusai-je. J'aurais voulu me battre, mais je n'avais pas la liberté suffisante. Je ne parle pas de la fausse que nous laissait le gouvernement, mais bien de celle que me donnaient mes parents. Enfin, mes parents, les agents de Dpékan, quoi. Je ne sais toujours pas pourquoi nous, nous étions élevés par des agents, alors qu'on aurait pu vivre avec nos parents d'origine.

— Peut-être qu'ils vous voulaient dès votre plus jeune âge ? proposa-t-il.

— Mais pourquoi faire dans ce cas ? On l'a vu la première fois, comme vous tous, à la télé. La première fois que j'ai entendu mes parents prononcer son nom, c'est quelques jours après la GEE, lors d'une dispute de mes par... des agents de Dpékan. On ne le connaissait pas avant. Je ne sais pas ce qu'il me veut et surtout ce qu'il avait contre Victoire... J'espère qu'elle a réussi à s'enfuir.

— Moi aussi, je ne l'ai pas vu pendant le combat. Quoiqu'il ait pu prévoir, il avait forcément quelque chose en tête... Tu as su si d'autres personnes étaient dans votre cas ?

— Pas à ma connaissance, ce qui renforce mon sentiment de « pourquoi nous et pas un autre ?» tu te poses mille questions à cause de ces c**neries...

— Je me doute, au moins tu sais que tu peux compter sur ta soeur même si elle n'est pas de ton sang...

— C'est sûr, mais Eydan, tu peux compter sur moi aussi. J'ai pas été très tendre avec toi par rapport à Victoire, mais t'as l'air d'être quelqu'un de bien et elle t'apprécie beaucoup.

— Tu parles, vu notre dispute, elle est pas prête de me reparler...

— Elle est pas rancunière, crois-moi, et si elle a demandé à Thalie de te garder auprès de nous quand elle pensait qu'elle allait être virée, c'est qu'elle t'apprécie beaucoup...

— Comment ça ?

— Thalie l'a appelé dans son bureau et elle m'a raconté la première chose que Victoire a dite en arrivant. Elle pensait qu'on allait vous jarter, mais elle voulait à tout prix que toi, tu restes en sécurité.

— Vous vouliez nous virer ?

— Non, du tout, mais c'est ce qu'elle pensait. Et puis, c'est pas la question, je voulais te montrer que même fâchée, elle s'inquiète pour toi.

— C'est vrai, soupira-t-il. Tu penses qu'elle s'excusera ? Parce qu'elle m'a quand même traité de c**nard sans cœur...

— Sans doute, si tu lui montres que sa mort peut te toucher... Parce que le « si tu veux mourir c'est ton choix...» Ça peut rester en travers...

— J'ai pas dit ça !

— C'était kiff kiff bourrique, mais bref... Vous avez une belle amitié, ne la gâchez pas.

— T'as raison, mais ton bras, ça va ?

— Je ne sais pas comment je tiens encore debout, sûrement l'adrénaline. Si je perds connaissance, n'essaie pas de me relever et va prévenir les autres, si tu les trouves, vaut mieux pas que tu forces avec ta jambe.

— Je suis pas en sucre et vous vous êtes bien occupés de moi, je dois rendre l'ascenseur.

— Pas faux. Je me demande si on va rencontrer quelqu'un de vivant ici, on se croirait dans une des deux guerres mondiales du siècle dernier...

— C'est vrai, mais y'avait pas de gaz ou de tank là, Dpékan n'avait pas assez de financement ou quoi ? plaisanta-t-il.

— C'est ça ! Tout est parti dans la bouffe, renchéris-je.

— Pourtant son nom, là, c'est une noix, c'est censé être fin ! Lui c'est plutôt une pastèque !

On partit dans un fou rire, presque nerveux. Il n'y avait presque rien de risible, mais après les horreurs des derniers mois, un fou rire n'était pas de refus. On mit du temps à se calmer, parcourant encore le sous-bois sur lequel la nuit commençait lentement à tomber, mais lorsqu'on vit Fulvia avec la mine sombre, on se posa des questions. On l'interrogea, mais elle ne répondit pas. Elle se contenta d'hocher la tête de droite à gauche comme pour nous signaler qu'un malheur venait de se produire. L'angoisse monta directement en moi. Était-ce possible que l'on ait retrouvé ma sœur ?

Ce ne fut que lorsqu'on se rapprocha que je vis Angela en larmes. J'accourus vers elle et la pris dans mes bras malgré la douleur transperçante qui venait au galop. Il fallait que je la réconforte. D'ailleurs, où était Ilias ? C'était son rôle à lui. Je me tournais alors vers Eydan qui regardait un corps à ses pieds. J'avais peur de l'identité du défunt. Je pus le reconnaître sans peine. Blond vénitien, une barbe dévorant son visage et la radio dans la main. Ce n'était autre que le dirigeant de la résistance limousine qui venait de s'éteindre. Ilias ne répondra plus jamais à mes appels par talkie-walkie.

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