Chapitre 2 (1/2)
Le courage s'accroit par l'audace, la peur par l'hésitation.
Point de vue Victoire - 23 juin 2077
Je ne m'aperçus pas tout de suite qu'il me suivait. Oui, « il, » car la carrure était foncièrement masculine, même si je ne doutais pas que certaines femmes pouvaient être de cette morphologie. Or, je savais qui il était. Enfin, je le sus quand je le vis monter dans le bus à ma suite. Il ne s'assit pas près de moi, mais il ne cessa de m'observer. J'appelai ma meilleure amie, priant qu'elle décroche malgré son cours de volley. Seulement, je m'en doutais, je tombai sur la messagerie, mais je fis mine de lui parler à elle, haussant un peu la voix pour être sûre qu'il m'entende bien.
— Ouais ? Allô... Bah là, je suis dans le bus... Je suis là dans dix minutes... Oui... Je sais que tu m'attends devant la porte, mais je peux pas aller plus vite... Oui... À toute !
Dans ma tête, les scénarios pires les uns que les autres s'entassaient dans un méli-mélo d'images floues. J'avais chaud, le sang me pulsait dans mes tempes et mon cœur ratait, par moment, quelques battements sous la pression que j'avais. Voulait-il vraiment en découdre chez moi ? Certes, ce n'était pas la ville, mais il y avait quand même une dizaine de voisins qui pouvaient m'entendre. Ou, du moins, s'ils rentraient le mercredi midi. Je m'imaginais déjà gisante sur le bord de la route.
Je frissonnai, puis je remarquai une petite dame que je voyais souvent prendre le bus pour faire ses courses. Par chance, elle en avait justement. Je tenais ma chance de m'en sortir. Si je voulais lui échapper, il fallait que j'aide cette dame, quitte à devoir le refaire par la suite. Aider les gens ne me répudiait pas, mais je me sentais mal de l'utiliser, cette dame. En même temps, je n'avais pas d'alternatives. Lorsque je descendis du bus, je proposai, comme convenu, mon aide qu'elle déclina. J'insistai un peu tandis qu'elle fronçait les sourcils, signe d'agacement. M*rde !
— Excusez-moi, bonne journée, madame.
— Toi aussi.
Je l'entendis quand même dire que j'étais un peu bizarre, mais en me retournant, j'étais face à lui. Comment je devais faire maintenant ? J'étais seule, personne savait où je suis, mon frère m'attendait sûrement et je n'avais pas la force nécessaire pour me battre contre lui. Il sourit méchamment, sentant sûrement ma peur. Il me poussa assez fort pour que je tombe sur mon séant. Il rit, tandis que je me levai tant bien que mal, puis, il recommença. Je commençai à m'énerver, alors je pris la parole.
— Flavien, arrête, t'as pas eu de colle, donc laisse moi tranquille !
— Bah si, j'en ai eu, binoclarde, Deuxbaies m'en a ajouté trois sur mon quota parce qu'il jugeait que j'étais fautif, alors que c'est toi ! Tu prends tes grands airs de sauveuse, mais t'es rien, Brian, t'es rien.
— Je m'en contente, de n'être rien. Je m'en satisfait même. Je n'aime pas être au centre de l'attention, alors ça me convient de n'être rien. Sur ce, mes parents doivent s'inquiéter de ne pas me voir et vont sûrement descendre à l'arrêt. Donc, si j'étais toi, je prendrai celui qui part dans l'autre sens avant... (Je regardai ma montre) Avant midi quarante. Bonne journée et à demain.
Je jouais au bluff, mes parents ne m'attendaient pas, mais je devais trouver rapidement une solution. Je pensais qu'elle marcherait et mon souhait se réalisa. Je pus donc remonter chez moi sereinement. La pente était un peu rude et mon genou me faisait souffrir. Avec les chutes à répétition, ça n'avait pas aidé. Je marchais quand même vite, je ne voulais pas rester près de lui, j'annihilai ma douleur. Je ne me sentis bien que lorsque je rentrai les clefs dans la serrure et que je verrouillai la porte derrière moi. Sauvée. Je soupirai allègrement.
Cependant, je me repris bien assez vite, j'avais moins d'une heure pour manger et faire mes devoirs avant mes activités de l'après-midi. Je vis mon petit frère manger devant un film policier. Bizarre non ? Seul les films avaient survécu, du moins seuls ceux que l'Etat avait accepté. Il était tellement à fond dedans qu'il avait encore la bouche ouverte et son morceau de sandwich dans la main. Je m'approchai discrètement de lui et lui ébouriffai ses boucles blondes.
— Vicie ! T'es ch*ante ! Je rate le meilleur moment !
— Désolée mon petit, m'excusai-je en l'embrassant sur le front.
Il me repoussa et je me retirai en riant. J'allai me faire à manger et regardai dans le frigo. Il restait les pâtes d'hier soir. Bonne idée ! D'ailleurs en parlant de ça, je n'avais toujours pas fait mes recherches sur le mystérieux jeune homme qui était passé aux infos. Cependant, je n'avais pas le temps, un regard à la pendule et je sus que je devais faire vite, je passai mes pâtes au micro-ondes et j'attendis qu'elles se soient réchauffées pour m'installer à table et manger. J'engloutis mon repas en quinze minutes et filai dans ma chambre pour travailler un peu, au calme, sans le son du film d'Hugo.
Mon ventre me fit sentir que j'avais mangé trop vite. Je posais la main dessus pour tenter de le calmer et commençai mes devoirs. Mon téléphone sonna au bout d'une dizaine de minutes. C'était pour me signaler que devait y aller sous peine de louper le bus. Je me levais et j'enregistrai ma copie en cours. Tant pis, je finirai ce soir si j'ai le temps. Je pris mon sac pour l'après-midi avec partition, texte et PC. Après-midi remplie effectivement. Je commençais par un cours de langue des signes où j'allais retrouver une amie, Léonie. Elle exerçait la langue depuis un moment déjà, donc elle m'aidait un peu quand je galérais trop.
Je pris le bus, veillant que Flavien n'y soit pas et m'assis derrière la chauffeuse. Lorsque je descendis, je fus surprise du monde qu'il y avait dans les rues. Je les regardais scander leurs valeurs quand je remarquai la même police d'écriture que le flyer de ce matin. Ah oui, c'est vrai ! La manifestation ! La marée humaine qu'il y avait se dirigeait sûrement vers la mairie. C'était le lieu le plus logique, ils devaient taper au plus fort. Je tentais de traverser la foule, mais je me fis vite happée. Un garçon me cria que c'était trop cool d'avoir autant de partisans à la cause, mais, quand j'allais me retourner pour lui répondre, il n'était déjà plus là. Je tentai de m'extirper à coup de coude et de « Excusez-moi, je veux passer ! »
Lorsque je fus enfin libérée de leur emprise, je m'accordai quelques secondes pour souffler un peu. Ma poche vibra. Un message. Je devais trouver un endroit plus calme pour le lire et me remis en route. Tandis que je marchais, je déverrouillai l'écran, lorgnant tout de même où j'allais. C'était un message de mon amie. Elle s'inquiétait de ne pas me voir arriver. Je me stoppai au milieu du trottoir pour lui répondre.
Léonie ★ :
Vicie t'es où ? Le cours va bientôt commencer !
To Léonie ★ :
Je suis en chemin, désolée, je me suis pris la manif en pleine face. Dis à la prof que j'arrive. À tout'.
Ça devrait être suffisant pour ne pas qu'elle s'inquiète, mais également pour éviter qu'elle ne pose trop de questions. Elle avait légèrement tendance à trop materner notre groupe d'amies. J'ai dit légèrement ? En fin de compte, c'est plutôt énormément. Malgré ce penchant, on l'aimait beaucoup et c'était sa façon de prendre soin de nous. Je souris en franchissant le portail de l'établissement. Je saluai le monsieur de l'accueil et grimpai quatre à quatre les marches, courant vers la salle où je devais avoir mon cours de langue des signes. Je rentrai, essoufflée, tentant du mieux possible de signer que j'étais désolée du retard, mais je finis par expliquer à voix audible que les manifestations dehors en était la cause.
La professeur me demanda de m'asseoir en signes et le reste du cours se passa bien. Je fis les exercices avec Léonie avec qui j'avais de nombreux fous rires. Parfois, quand je signais mal, elle me traduisait ce que je venais de dire et ça donnait des phrases comme « Je mange la trotinette » ou « Je conduis un steak, » ce qui nous effaçait tout notre sérieux. Le cours se termina dans la bonne humeur, Léonie m'accompagna devant la porte de mon second cours de l'après-midi, étant un cours de piano. Je n'étais encore que débutante et ma dextérité laissait à désirer, mais je n'en démordais pas et c'était ce qui plaisait à mon professeur.
Il me l'avait confié un jour : si je n'avais pas été si motivée, il aurait laissé tomber. J'aimais cet instrument et j'avais une envie, c'était qu'un jour, si nos lois étaient levées, je pourrais accompagner des voix au piano. Or, c'était un secret. Personne n'était au courant, et d'ailleurs, tant mieux. Je ne voulais pas être emprisonnée. On discuta un peu avec mon amie avant qu'elle ne me laisse et que je rentre dans la petite salle. Elle sentait toujours l'odeur de bois vernis, un peu comme une pièce fermée depuis un moment. C'était apaisant. Je m'installai au piano en attendant mon professeur, puis je commençai mes gammes, avant de mettre la sourdine et tentai de reproduire la musique que j'avais entendu ce matin dans mon casque.
Ce n'était que lorsque j'entendis des pas dans le couloir, que je fis taire l'instrument. Je lui souris et il me salua en retour. Je recommençai mes gammes pour m'échauffer et le cours débuta enfin. Canon de Pachelbel. Rien de nouveau, c'était déjà le morceau de la semaine dernière. Tandis que je m'exerçais, le professeur me corrigeait et au bout d'une heure et demie à meurtrir mes articulations, il arrêta ma torture, me félicitant pour mes progrès. Il me conseilla vivement de cotiser pour un synthétiseur afin de m'entraîner chez moi. Je savais que les parents allaient refuser alors j'acquiesçai poliment.
Je descendis les marches et rejoignis l'auditorium, dernier cours de la journée : théâtre. C'était mon moment préféré, je pouvais enfin tout relâcher là-bas, aucun jugement, rien n'était ridicule et l'essentiel étant de s'amuser. Ce n'était pas vraiment un cours, même si on y apprenait tellement que c'était tout comme, c'était moins scolaire. Cette fois, c'était Anna que j'y retrouvais. Je la saluai dès que je la vis et commençai à parler de la journée, j'omis les passages avec Flavien, de peur de l'inquiéter, même si je mourrais d'envie de lui dire.
Quelque part, j'avais peur de rentrer chez moi en sachant qu'il savait où j'habitais. S'il voulait, il pouvait m'attendre devant pour me faire payer. J'espérai que ça n'arriverait pas. J'étais morte de trouille. Je sortis de mes pensées quand les autres montèrent tous sur la scène pour commencer à jouer. Je me sentis mieux. Je jouais un autre rôle,celui de quelqu'un qui n'avait pas peur, qui n'était pas moi, finalement. C'était libérateur. La soirée se finit sur un fou rire, vous l'expliquer ferait tomber la blague à plat, il vaut mieux s'abstenir. Mon père passa me chercher à l'heure et le silence s'installa dans la voiture. Sur le tableau de bord, je vis qu'il était presque neuf heures.
La question me brûlait les lèvres, mais je savais que si l'on brisait le silence, il aurait fallu poursuivre la discussion pour ne pas que ce silence se transforme en blanc. Je ferais moi-même mes recherches en temps voulu. Je repensais aux manifestants de cette après-midi. Ils avaient l'air tellement sûrs d'eux. Je les enviais presque. Si j'avais un tant soit peu de courage, je serais entrée dans leur marché. Seulement, la peur et la couardise m'ont coupée toute ferveur. J'étais une petite fille, de celles qu'on peut appeler « bien rangées. » Je voulais rendre mes parents fiers de moi et réussir.
Le reste m'importait peu. Enfin, si, mais je trouvais le risque bien trop grand. Dans une autre vie, je serais devenue résistante à leurs côtés. Si je n'avais pas de parents et que le climat général était presque apocalyptique. Je me rêvais guerrière, pourquoi pas avec une arme. Bon, je ne saurais pas la tenir, mais soit, j'en aurais été une. Pourquoi pas entourée d'amis fidèles et aidée par Paul. Oh, en parlant de lui, je n'avais pas eu de réponse à mon message. Pourquoi restait-il muet ? Son père devait bien lui laisser des pauses, non ? J'allumais quelques secondes l'écran qui n'affiche rien de plus que l'écran. Je poussais un soupir.
— Tu attends des nouvelles de quelqu'un ? M'interrogea mon père.
— Quoi ? Non, enfin si, mais pas vraiment des nouvelles. Je demandais juste à Lolita si c'était la semaine où on avait EMC ou pas.
— Et c'est ça qui te mine tant ? Insista-t-il.
— Je dois avouer que la fatigue doit ajouter à ma frustration. Désolée.
Ça y est, le silence gênant se déposa. Il ne manquait plus que ça. Je regardai par la fenêtre comptant combien de feux tricolores on dépassait avant de revenir à la maison. Nous mangeâmes en silence avant que je ne prenne ma douche. L'eau me fit un bien fou et m'apaisa. Cela m'aida à m'endormir bien vite, ça, en plus de la fatigue.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top