Chapitre 17 (2/2) :

L'amitié ne connaît ni feinte ni déguisement, tout y est sincère, tout part du cœur


Point de Vue Victoire — 06 février 2078

J'esquissai un geste vers la porte, bien décidée à le laisser en plan malgré mes sentiments contraires. Néanmoins, j'étais plus furieuse qu'empathique à cet instant et il valait mieux pour lui comme pour moi que je prenne la poudre d'escampette avant d'exploser plus. Cependant, il plaqua la main sur la porte dans son dos pour la claquer. Il ne voulait pas que je sorte. Qu'est-ce qu'il foutait b*rdel ?! Il voulait jouer ? On se jaugea du regard avant qu'il ne prenne la parole à nouveau pour briser le silence emprunt de tension.

— Reste, j'ai besoin de toi...

— J'y gagne quoi ? Non, parce que là, j'ai failli me faire égorger, qui me dit que tu recommenceras pas, hein ?

— C'est simple, j'aime pas dire ça, mais... J'ai besoin d'aide, je suis blessé et tu es la seule à pouvoir me soigner correctement, ici. Tu me fais assez confiance pour être restée avec moi et assez forte pour me supporter. Loin de moi l'idée de te chanter des louanges, hein, mais pour le coup, j'ai que toi.

Bon, je ne m'y attendais pas vraiment à ce coup bas, il jouait avec mes sentiments, le bougre ! Je repris contenance et acquiesçai.

— C'est logique, mais fais gaffe, le prévins-je, au moindre mouvement suspect, je déglingue ta petite tête de moineau rachitique !

— Si tu veux, s'amusa-t-il.

— Une autre condition, ajoutai-je.

— Vas-y, soupira-t-il.

— Tu joues franc-jeu, j'ai besoin de savoir à qui j'ai affaire. Je t'ai dit l'essentiel sur moi, j'aimerais que tu en fasses autant, sinon pas la peine de me supplier de rester, je me casse dans la seconde.

Il mit un temps à réfléchir. Durant ces quelques minutes, la tension qui régnait dans mon corps chuta brutalement. M*rde, l'adrénaline me quittait déjà, je devais vraiment être fatiguée, alors. Je retins des larmes, n'ayant plus comme sentiment qu'un immense vide, la peur ayant disparu. Il attendit quelques secondes, hésitant sûrement entre me raconter tout ou se méfier encore plus. Finalement, il posa sa lame sur la table de nuit et tapota le rebord du lit sur lequel il venait de s'installer pour que je le rejoigne. Il boitait, mais arrivait à marcher et s'asseoir. Il me serra l'épaule avec retenue et murmura qu'il était désolé de m'avoir fait cela, qu'il avait juste pensé que je cachais quelque chose derrière ma gentillesse. Il m'expliqua qu'il était un peu perdu à cause de ce qu'il avait vécu, que les faux-semblants avaient fait partie de ses proches, d'où le fait qu'il ait pu partir au quart de tour. J'insistai pour qu'il me raconte.

Je m'impatientais, mais je voyais qu'il était prêt à jouer cartes sur table, il n'avait pas vraiment le choix après tout. On s'allongea et il y eut un silence. Il ne savait pas comment se lancer. Son visage était éclairé par le reflet du ciel étoilé, dans la rivière, qui passait par la petite fenêtre. Il fixait le bas plafond et avait la bouche légèrement ouverte. Une de ses mains lui couvrait le front et l'autre était négligemment posée le long de son corps.

Je ne le quittai pas des yeux attendant qu'il me dise ce qu'il avait sur le cœur. Je savais que c'était dur et sûrement très lourd à porter. Il était pratiquement adulte, mais quelque chose chez lui rappelait cette âme d'enfant qu'il n'avait certainement pas perdue. Je n'osai pas bouger de peur de briser ce moment quasi unique.

Après tout, rien ne l'obligeait à me raconter son histoire, on se connaissait à peine et on partageait juste une escapade, quelques biscuits et une belle frayeur. Je me résignai à ne rien entendre de sa part quand il murmura.

— C'est mon anniversaire... J'ai dix-huit ans aujourd'hui... Du moins, si on est toujours le 6 et que j'ai pas perdu le fil des jours en même temps que ma tête...

Puis une larme coula. Il ne devait pas pleurer souvent. Malgré tout ce qu'il avait dû endurer, seule une larme échappait à son contrôle, qu'il essuya rapidement. Je me levai, pris un biscuit et trouvai une boîte d'allumettes dans un placard et revins avec le tout.

Je craquai l'allumette et lui donna le biscuit. Il ne dit rien, semblant être bloqué. Il était comme figé. Je commençai à m'inquiéter.

— Ça ne va pas ? Tu sais, je ne voulais pas...

— Si, si, ne t'inquiète pas, fit-il au bout d'un moment.

Il souffla l'allumette et mangea le gâteau avant de m'étreindre.

— T'es pas si chiante que ça en fait, un-mètre-moins-vingt, plaisanta-t-il, sûrement sa façon de me remercier.

— C'est tout ce que j'ai à t'offrir pour ton anniversaire, mais sache que leur cœur y est, lui certifiai-je.

Je lui souris chaleureusement comme je ne l'avais pas fait depuis un moment et posai l'allumette éteinte sur la table de nuit. Dehors, les bruits de la nuit me faisaient sursauter. Je m'interrogeais sur la possibilité que ce craquement sur le sol ou ce froissement soit l'œuvre d'un de nos amis.

— Tu as entendu ? soufflais-je.

— Quoi ? Non, j'ai rien entendu, pourquoi ?

— Je, commençai-je en scrutant le dehors sombre, puis, je me ravisai, je crois que je suis fatiguée... Je vais te laisser te coucher je pense...

Je refermai la porte derrière lui et me remis sur le fauteuil pour finir ma nuit. J'ai dû rester éveillée une bonne partie de la nuit, repensant à la frayeur qu'on s'était faite et le petit moment doux qu'on venait de passer. J'étais certaine qu'on finirait par être proches, tous les deux.

Le lendemain, je fouillais les placards pour être sûre de ne pas avoir loupé quelque chose et, à part une boîte de biscottes et deux paquets de gâteaux secs, il n'y avait plus grand-chose. Je me lançai alors dehors après avoir prévenu mon colocataire de fortune que je sortai, à la chasse et à la cueillette. J'essayais de me souvenir de ce qui était mangeable ou pas. Il est vrai que depuis que les réserves naturelles étaient peu accessibles, on avait du mal à trouver de la nourriture par nous-même. Néanmoins, je reconnus des orties, qui, une fois bouillies, pouvaient être mangeables, de même que des racines que j'avais vues quelques fois dans les manuels de biologie. Le nom m'échappait encore, mais j'étais pratiquement sûre de mon coup. J'en sectionnai plusieurs que je fourrai dans une jambe de pantalon de mon uniforme que j'avais fini par raccourcir, afin d'être plus à l'aise pour marcher. J'avais fait un nœud au bout pour fermer, je portai ça comme un baluchon. Lorsque j'eus rempli mes deux sacs faits main, je rentrai à la petite chaumière, me guidant grâce aux arbres que j'avais un peu taillés pour me retrouver.

Ça, c'était Hugo qui me l'avait appris, il parlait souvent de son camp scout. Je ne savais pas comment sa section avait reçu l'autorisation d'aller dans une des réserves naturelles de la région, mais cela faisait quelques années qu'il y allait tous les étés. Quand il revenait, il avait des étoiles dans les yeux et des tonnes d'histoires à raconter. Ce fut comme ça que j'ai su pour le marquage des arbres, la mousse qui pouvait indiquer le nord et tout un tas d'autres choses utiles à la survie. Je ne le remercierai jamais assez pour ça ! Je soupirai, ne le reverrai-je jamais ?

Arrivée dans notre abri, je cherchai des allumettes ou un briquet, car j'avais craqué la seule que nous avions pour « l'anniversaire » d'Eydan. Il s'était bien moqué de moi, car il trouvait que pour une haut potentiel, je n'étais pas très « fut-fut ». Après l'avoir remercié avec un majeur, je m'étais démenée pour trouver de quoi produire un feu, mais je ne trouvai rien de tout ça. Eydan, d'ailleurs, qui s'était réveillé après mon remue-ménage, finit par se faire pardonner, car il se souvint d'une chose qu'il avait étudié en chimie : l'effet joule. Il ne se rappelait plus trop du cours, mais ce qui l'avait marqué, c'était l'expérience qu'ils avaient faite. Il fallait une pile, du papier aluminium et le petit bois que j'étais allée chercher. Une fois plié, le morceau d'aluminium aux deux bornes de la pile, qu'on trouva dans une vieille télécommande, conduisait le court-circuit dans le feu. On dut s'y reprendre à une vingtaine de fois pour obtenir un résultat, mais cela finit par payer.

Ce fut ainsi que, pendant deux jours, peut-être même trois, nous vécûmes de mes récoltes. La routine s'installa entre nous, on commençait à bien s'entendre, quand un soir, au lieu de me laisser partir dans le salon en lui souhaitant une bonne nuit, il me retint par le bras.

— Honnêtement, tu es fatiguée ?

— Non, pas vraiment, mentis-je, curieuse de savoir ce qu'il me voulait, après tout je ne le connaissais pas plus que ça.

On ne s'était pas vraiment parlé de nous, malgré les longues heures que nous avions passées ensemble. Je me contentais de panser sa cuisse – qui allait de mieux en mieux vu la cicatrice qui s'embellissait un peu plus chaque jour, bientôt ce ne serait qu'un vestige – quand il était réveillé. Autrement, je le laissais se reposer à loisir quand je partais à la cueillette. Néanmoins, on se faisait des blagues ou des chatouilles, pour passer le temps, on s'embêtait comme deux enfants. On aurait pu penser à notre avenir, ce qu'on ferait quand tout ça se sera tassé, mais il fallait se rendre à l'évidence, ça ne s'arrêterait jamais. Alors, pendant quelque temps, égoïstement, on avait profité de ce moment de répit. On avait pensé qu'à nous, qu'à cette bulle hors du temps.

Bien sûr, on avait songé à retrouver nos amis, mais Eydan était encore trop faible pour me suivre et je ne voulais pas le laisser seul trop longtemps. Partir en expédition alors que le bois dans lequel nous étions était sûrement très vaste – je n'avais pas réussi à faire le tour encore – n'était pas le meilleur choix. Surtout que l'armée de Dpékan pouvait roder et nous attraper à la moindre erreur. Alors oui, peut-être étais-je lâche, vous auriez raison de le penser, mais il en allait de ma survie. Je revins à moi en entendant la voix de mon compagnon de fortune.

— Alors assieds-toi...

Je m'exécutai en m'adossant au mur et l'observai. Que me voulait-il ? Il enleva son t-shirt et je vis des lignes brunes zébrer son torse viril. J'en fus toute intimidée, mais ne laissai rien paraître. Je n'avais pas l'habitude de voir des poitrails... surtout ainsi dénudés. Je n'avais vu en tout et pour tout que le torse nu d'Hugo et celui de Paul, d'aussi près je voulais dire, dans les lieux publics, j'en avais vu, mais pas à portée de main. Alors celui d'un inconnu encore moins. Au-delà de mon intimidation, j'étais indiscrète et je voulais savoir pourquoi il faisait ça.

— Tu m'as posé plusieurs fois la question, je crois, mais je ne pense pas que tu veuilles savoir le pourquoi du comment...

— Pourquoi tu dis ça ?

— Je ne suis pas comme vous trois, je suis c*n comme un balai sans manche. Je suis un mec normal quoi... J'ai jamais rien fait d'extraordinaire dans ma vie.

— Et alors ? Tu crois que parce que j'ai eu le malheur de naître haut potentiel que j'ai eu une vie palpitante ? Crois-moi que non... Parfois j'aimerais y mettre un terme pour arrêter de réfléchir, juste écouter le silence... Alors peut-être que t'es pas haut potentiel, mais tu n'en aies pas moins intelligent et intéressant...

— Arrête tes c***eries, fais voir tes lunettes. T'as pensé à les changer ?

— Tu n'es pas drôle...

— Je sais...

— Bon, eh bien, si tu n'as rien d'autre à me dire, j'y vais...

— Je retire ce que j'ai dis... T'es une vraie s***pe... Du chantage maintenant...

— Je sais, fis-je en passant ma langue sur mes dents, dans un geste de provocation.

— Allez reviens là, je sais que tu en meurs d'envie...

J'obéis, excitée comme un enfant à Noël. C'était idiot, mais je pensais qu'on avait trouvé une certaine complicité, comme si l'on se connaissait depuis des années.
Je fixai mes pieds dont j'avais replié les jambes en tailleur pour éviter d'être trop insistante auprès d'Eydan en le regardant trop souvent.

Il prit son temps, cherchant sûrement ses mots, il régula sa respiration, tenta de trouver une position confortable qui l'empêchait de souffrir à cause de sa cuisse et se lança. Sa voix commença dans un murmure puis se forma tout à fait.

— Je m'appelle Eydan... J'ai 18 ans et j'étais en terminale au lycée Turgot cette année. Je devais passer mon bac STI2D et partir dans un DUT, mais tout ça, c'est du passé à cause d'une c***erie que j'ai faite... Sûrement la plus grosse de ma vie.

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