Chapitre 14 (2/2)
On ne rencontre que ceux qu'on a déjà rencontrés.
Point de vue Victoire – 5 février 2078
Je ne sus pas vraiment combien de temps on resta ainsi, sûrement quelques secondes, afin de laisser planer ses dernières paroles, mais pour moi, ce fut semblable à une éternité. Il me repoussa sans douceur vers les deux autres et se mit à s'éloigner d'un pas rapide, sans se retourner. Ma meilleure amie voulut me prendre dans ses bras, mais je me défis de son étreinte qui se voulait bienveillante. Mon obstination naissante pour ce garçon empiétait sur ma raison.
— Attends ! Hey ! T'en vas pas ! revins-je à la charge.
Mes compagnons se tendirent, me sentant inconsciente, prêts à me retenir si je me mettais à courir vers lui. Cependant, c'était ce que je fis. L'inconnu s'éloigna vers l'orée de la forêt toute proche et je le suivis. Les autres me talonnèrent, mais je fis volte face.
— C'est bon je gère, dis-je simplement.
— Il a encore ma dague, s'interposa la blonde.
— C'est un taré, rajouta Victor.
— Écoutez, mon instinct me pousse vers lui, et jusqu'à présent, mon instinct de survie m'a bien aidé au centre, donc laissez-moi lui parler pour essayer de le raisonner. Et puis, j'ai toujours mon canif, rajouta-je en le sortant de mon faible décolleté. En attendant, essayez de chercher les autres, Ram est malheureusement resté dedans, mais Ka Lio et Ongcái ne doivent pas être loin, je pense.
Sur ces mots, je détalais aussi vite que je pus derrière le fuyard. Il s'arrêta au bout d'un moment, exaspéré par mon attitude. Oui, j'étais bornée, je ne le lâcherais pas avant d'obtenir ce que je voulais. Il se tourna vers moi et me questionna du regard avant que je ne l'interroge à mon tour.
— Tu t'appelles comment ?
Là encore, j'étais d'accord, c'était stupide, mais que vouliez-vous, actuellement j'étais loin d'avoir recouvré mon intelligence. Il roula des yeux et reprit sa marche, sûrement déçu de ma question, — ou seulement las, il s'attendait peut-être à une interrogation plus croustillante. Frustrée, je le hélais encore, puis me remis à le poursuivre. Derrière moi, et malgré mes directives, mes amis accouraient aussi, me laissant une distance raisonnable pour lui parler sans qu'ils entendent.
— Quand... Quand, commençai-je, essoufflée, quand j'ai levé... Ma main vers toi... Pourquoi tu l'as mise... Sur ton cœur ?
Il se stoppa et je lui rentrai dedans. Ma question me percuta autant que son dos. C'était vrai, pourquoi l'avait-il fait ? En le voyant, désemparé, j'esquissai un sourire, contente d'avoir fait mouche et piquée par la curiosité. Il fit volte-face et me domina de sa hauteur, il réduisit l'écart entre nous et plongea son regard caramel dans le mien.
— Pour savoir si je vivais encore, lâcha-t-il pince-sans-rire.
C'était un peu glacial comme réponse, mais ça se tenait. Avoir un contact lui avait peut-être permis de se dire qu'il n'était pas si fou que ça et qu'il ne délirait pas.
— Comment ça ?
— Arrête de poser des questions, t'es chiante un-mètre-moins-vingt...
— Eh oh, l'asperge ! J'ai un prénom ! m'emportai-je en essayant de me dépatouiller avec les buissons environnants. Et c'est Victoire !
Je l'entendais sourire, quel sadique !
— Tu vas me dire le tien, maintenant ?
— Infy, lâcha-t-il simplement.
— C'est comme ça que tu veux que je t'appelle ? me doutant que ce soit un pseudonyme.
Il acquiesça et me dévisagea encore longuement.
— Tu mens, lui fis-je.
— Quoi ? fit-il, surpris.
— Tu mens... Sur le fait que tu veuilles que je t'appelle comme ça. Et sur beaucoup d'autres choses, j'imagine... Vu que tu ne me fais pas confiance parce qu'on ne se connaît pas, déduis-je au fil de ma pensée.
— Des fois t'es intelligente, un-mètre-moins-vingt, se moqua-t-il.
— Arrête de m'appeler comme ça, grinçai-je.
— Euh, fit-il mine de réfléchir avant de lâcher, non.
Et il sourit. J'abattis mes poings sur son poitrail, un peu en colère et m'apprêtai à recommencer, mais il me prit doucement les poignets, sans me faire mal, contrastant avec l'échange de force inégalable, un peu plus tôt, quand il me menaçait.
— C'est là qu'on se sépare Victoire, heureux de t'avoir connu, affirma-t-il, étrangement doux.
Pourrais-je y voir de l'amertume ou me faisais-je encore des films ?
— Tu ne viens pas avec nous, je cherchai dans ma mémoire, Infy ?
— Pourquoi je viendrai ? Je ne vous serai pas utile, admit-il.
— Au contraire... Aller viens... S'il te plait ! le suppliai-je.
Je le scrutais avec intensité, voulant à tout prix qu'il cède. Il me lança deux, trois regards puis voyant que je ne cillais pas, il soupira. Il lâcha mes poignets et recula.
— Je suis désolé, mais je ne viens pas, s'excusa-t-il.
— Mais pourquoi ? insistai-je.
— J'ai perdu beaucoup trop de monde à cause de l'autre c*nnard de dirigeant.
— Nous aussi, tu sais... Lolita a perdu son père et Victor sûrement quelqu'un aussi... c'est ce qui fait notre union !
— Et toi ?
Je m'y attendais à celle-là, mais à chaque fois, ça faisait toujours autant mal. Surtout que Lolita m'avait confié plus tôt que mes parents n'étaient que des agents infiltrés pour Dpékan. Toutefois, je perdrais mon temps à réfléchir à tout cela plus tard. Finalement, il n'y avait qu'une personne qui restait ma vraie famille.
— J'ai, ma voix se serra, mais je me forçai à déglutir avant de répondre. J'ai perdu mon frère... Enfin celui qui était tout comme, pendant une décennie...
— Il ne l'est plus ? Il...
— Il est m... Il est parti, me repris-je, douloureusement, mais ce n'était pas mon frère, au final...
— Ton demi-frère ? Si c'est que ça, moi aussi j'en ai un, il leva les yeux, semblant être fatigué de cette image.
— Non, le corrigeai-je. Disons que c'est... un frère de... circonstances, en quelque sorte. On fait partie du projet GIFT, réservé aux hauts potentiels...
C'était la première fois que je disais cela à voix haute, je n'y croyais toujours pas. Il me fallait vraiment un moment de répit pour l'encaisser, mais pas maintenant. Il se mit à rire. Je le regardai avec incompréhension. Qu'avais-je dit de drôle ? Même, cela me pinça un peu le cœur, je venais de me confier et voilà qu'il se moquait. Ça m'apprendra à faire confiance trop vite ! Il se calma et balaya cet événement de la main. J'attendis patiemment qu'il reprenne la parole.
— En gros, tu vas me dire que vous avez tous les deux été placés en famille d'accueil ?
— Oui, dans les grandes lignes, c'est ça...
— Et ben, t'en as une vie difficile.
— Je ne dirais pas ç...
— Mais excuse-moi, me coupa-t-il, c'est pas une raison valable pour vous accompagner. Je vous connais pas, donc je peux pas vous faire confiance.
— OK, capitulai-je.
J'avais le cœur meurtri, mais j'admettais que le supplier n'était pas un gage de bonne foi et que rien ne l'obligeait à nous suivre.
— OK ? insiste-t-il. Juste... OK ?
— Ouais, opinai-je. T'as vraiment l'air dégoûté de te retrouver avec nous... Je ne vais pas te déranger plus longtemps.
Je tournai les talons vers mes compagnons la tête basse. J'avais été naïve. Ça faisait quand même un peu mal. Il soupira et marmonna des choses que je ne compris pas. Cependant, je ne sais pas si ma tête me jouait encore un tour, mais j'entendis « voulu » et « insistes plus longtemps.» Il m'arrêta, me retenant par le bras et me força à le regarder. Puis, il baissa les yeux sur moi et sourit. Bon sang qu'il avait un beau sourire !
Oui, calme toi Vicie, c'est juste un sourire.
OK, mais un p*tain de beau sourire quand même !
D'accord, on m'a perdue, ça y est on m'a définitivement perdue !
— Tssss, t'as gagné... J'viens avec vous un-mètre-moins-vingt, me taquina-t-il en croisant mon regard.
— Arrête avec ce surnom idiot, le tançai-je.
— Non, j'ai pas envie, me titilla-t-il.
Je sentis que la tension du départ venait de s'évanouir et le couple nous rejoignit pour continuer notre périple, malgré les réticences de Victor qui se lisait ouvertement sur son visage. Nous marchâmes en silence, deux par deux, — presque aussi sages que les élèves que nous étions, — perdus dans nos pensées. Pourtant, quelque chose trancha la tranquillité qui planait. D'abord, le bruit se répéta par à-coups, puis, ce fut une salve.
Infy me projeta à terre pour me protéger, me serrant très fort contre lui, son cœur battant la chamade. Il eut une onde de choc qui traversa son corps et un gémissement de douleur s'échappant de sa bouche tandis que mes yeux virent les silhouettes floues de Lolita et Victor s'enfuir dans une autre direction. M*rde, il se passait quoi au juste ?!
— C-ca va ? fis-je le souffle coupé par son poids conjugué avec la vitesse qu'il avait prise en tombant.
— Je pourrais aller mieux on va dire, tenta-t-il de plaisanter.
Je le soulevais tant bien que mal pour m'extirper et le fis rouler sur le flanc. Avec horreur, je vis une immense tache de sang maculer l'uniforme bleu pas très propre qu'il portait. Heureusement, il n'était pas tomber du coté où il avait fourré la dague de mon amie, sinon, il aurait pu se faire encore plus mal.
— Il va falloir urgemment qu'on te sorte d'ici pour soigner ta blessure...
— Je suis pas blessé, se força-t-il à dire. C'est qu'une égratignure, ça va passer.
Il tenta de se relever en tenant fermement sa cuisse là où la balle était entrée, mais en dehors d'un cri de douleur, rien de concret ne sortit de cette affaire. Ce qui était bien, c'était que la balle n'était pas ressortie, on avait encore un peu de temps, vu qu'elle comprimait la plaie. J'arrachai une de mes manches et lui entourai la jambe. En essayant de repérer d'où ça venait, je le relevai. Je me mis à genoux et passai son bras sur mes épaules. Au bout de quelques essais, je réussis à le relever.
— Aller Infy ! Sois fort ! hurlai-je en courant, pour éviter les balles, qui pleuvaient de l'hélicoptère, qui nous survolait.
Je ne savais pas comment nous avions fait pour ne pas entendre les pales de l'engin, ça nous aurait permis de nous mettre à l'abri et d'éviter les blessures. J'essayai de repérer les deux autres tandis qu'il chipotait.
— Je suis pas fort, laisse moi !
— Jamais ! Jamais, tu m'entends ?
— T'es chiante...
— Je sais ! Allez, cours !
Nous fîmes une distance assez conséquente en essayant d'éviter les projectiles, mais quand un nous frôlait ou passait très près, nous redoublions d'efforts pour nous en sortir indemnes.
Je commençais à faiblir. Le poids du brun s'alourdissait à chaque pas. En lui jetant un regard, je voyais qu'il était de plus en plus pâle et qu'il suait beaucoup.
— M**de, tu perds trop de sang !
— Quoi ?
— Ta cuisse... Ta plaie libère trop de sang...
— On s'en fout, laisse-moi là, je te dis !
Je serrai les dents ne voulant pas l'incendier, et je bandai encore plus mes faibles muscles comme il l'avait fait auparavant pour lui prouver que, moi aussi, malgré ma petite taille, je pouvais être forte, aussi bien mentalement que physiquement. Soudain, je me sentis très légère et mes yeux se fermèrent lentement.
« Nous avaient-ils attrapés ?
Je pensais malheureusement que oui.
Ça voulait dire que tous nos efforts avaient été vains.
Je ne reverrai jamais Hugo.
Si tant était-il qu'il fût encore en vie.
Je ne respecterais pas mes promesses.
Celle pour Ram de vivre et de revenir le chercher.
Et...
Pardon Infy... Tu avais raison... Je n'ai pas pu te secourir. Je suis une incapable. Je suis naïve et j'ai cru pouvoir te sauver, toi. D'ailleurs pourquoi toi ? Je ne le saurais jamais. Pourras-tu me pardonner n'importe où nous allons ? »
Ce fut mes dernières pensées avant de tomber en avant, la tête contre le sol.
⁂
— TOURNE À DROITE, VICTOR ! entendis-je crier à côté de mon oreille.
Hmmm... Ma tête... Le cri résonnait dans ma boîte crânienne à m'en faire mal. Je sentais qu'on me déplaçait, qu'on me forçait limite à courir. Je ne comprenais pas tout. Je me sentais brouillée, fatiguée.
— Montez les enfants !
Une nouvelle voix, d'un homme, sûrement d'un adulte. Qui était-il ? Pourquoi étais-je avec lui ? Je n'ouvris pas encore les yeux. Encore du mouvement, on me déplaça sur une assise, on m'attacha, puis ma tête retomba sur quelque chose de dur. Je ressentis alors des petites secousses.
Etions-nous dans une voiture ? Comment était-ce possible ? On nous avait dit que l'essence était en pénurie !
Les stations services avaient été réouvertes après la grande purge qu'était la GEE ?
— Qu'est-ce-qu'ils vous voulaient ces sa***iauds ?
— Ils veulent nous exterminer...
— Vous êtes hauts potentiels ?
— Tous les trois... L'autre gars, on sait pas qui c'est, mais bon Victoire a décidé de l'emmener avec nous, il doit y avoir une bonne raison...
— Hum...
— Ne vous inquiétez pas, monsieur, nous savons être discrets... Je vous en prie, hébergez-nous juste une nuit... Au moins pour sauver sa jambe...
L'homme soupira et un silence tomba. Le reste du voyage, personne n'osa parler. J'en profitai pour me reposer un peu.
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